mx mk^ '^tY. Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/lesconditionsdel01maur LES CONDITIONS DE LA VICTOIRE LA FRANCE SE SAOVE ELLE-MEME OUVRAGES DU MÊME AUTEUR A LA MEME LIBRAIRIE L'Avenir de l'Intelligence, suivi de : Auguste Comte; Le Romantisme féminin : Mademoiselle Monk, ou la Génération des événements. — Un volume in-S" écu (5« mille) 3 fr. 50 Le Dilemme de Marc Sangnier. Essai sur la démocratie reli- gieuse. — Un volume in-18 jésus (3° mille) ... 3 fr. 50 L'Enquête sur la Monarchie (1900-1909). — Un volume in-18 Jésus (3» édition, 11^ mille) 3 fr. 30 Le même. Édition in-8°. Un volume 7 fr. 50 Kiel et Tanger. La République française devant l'Europe. — Un vol. in-lG de cxviii-432 pages (10= mille). . . 4 fr. « La Politique religieuse. Un volume de lxv-447 pages (7" mille) 3 fr. 50 L'Action française et la religion catholique. Un volume de 354 pages (6« mille) 3 fr. 50 Une Campagne royaliste au Figaro. — Un petit volume in-18 Jésus (2' mille) 0 fr. 75 Si le coup de force est possible (en collaboration avec H. Outrait- Crozon). — Un petit volume in-18 jésus (8" mille) 0 fr. 75 En cours de publication : Les Conditions de la Victoire (1'^= Série). ' La France se sauve elle-même. De Juillet à mi-Novem- bre 1914. — Un vol. de 476 pages 4 (r. . " La Session du Parlement. De mi-Novembre 1914 à fin Août 1915. Unvol.de 300 p.env. (paraîtra en Novembre 1916) » » *** Ministère et Parlement. De Septembre à fin Décembre 1915.— Un vol. de 320 pages 3 fr. 50 "" Vers un Gouvernement. De Janvier à fin Mai 1916. — Un vol. de 250 p. env .(paraîtra en Décembre 1916). » » Jean Moréas. Etude littéraire. — Brochure (épuisée). L'Idée de la décentralisation. — Une brochure (La- rousse) 0 fr. 60 Trois idées politiques : Chateaubriand, Michelet., Sainte- Beuve. — Un volume in-8\ (Nouvelle édition, Cham- pion) S fr. » Les Amants de Venise. George Sand et Musset. — Un vo- lume in-S" écu (Fontemoing) 3 fr. 50 Un débat nouveau sur la République et la décentralisa- tion (en collaboration avec MM. Paul Boncour, .loseph Reinach, Clemenceau, Xavier de Ricard, Varenne, Clémen- tel, etc.). Un volume (épuisé). Libéralisme et Libertés. Démocratie et peuple. — Une bro- chure 0 fr. iO Idées royalistes. Réponse à l'enquête de la Revue hebdoma- daire. Une brochure 0 fr. 10 L'Etang de Berre. — Un volume in-S" (Champion). 5 fr. « GIIARLKS MAUHRAS LKS CONDITIONS DE LA VICTOIRK LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME JUILLET A MI-Î^OVEMBRE 1914 NOUVELLE LIBRAIRIE NATIONALE 11, RUE DE MÉDICIS, PARIS IL A ETE TIRE DE CET OUVRAGE QUATRE-VINGT-HUIT EXEMPLAIRES NUMEROTES SUR PAPIER VERGÉ PUR FIL DES PAPETERIES LAFUMA, A VOIRON LES EXEMPLAIRES NUMÉROTES DE 1 A 82 SONT IMPRIMÉS AU NOM DU SOUSCRIPTEUR LES NUMÉROS ET LES NOMS FIGURANT SUR LE PRÉSENT VOLUME, PREMIER DE LA SERIE Tous droits do traduction et de reproduction réservés. A CAMILLE BELLAIGUE EN SOUVENIR DU 28 JUIN 1014 Cher et grand ami, vous alliez à Rome, et vous me permettiez de vous confier pour le déposer entre des Tuains sacrées et augustes V hommage d'une grati- tude qui ne périra quavec moi. J' accourais donc vers votre Passy, une voiture m'emportait vers la maison charmante où fut sauvée TAclion française dans la même rue, presque vis-à-vis la maison où elle fut fondée. Mais voici qu'à l'Étoile, il fallut arrêter à cause des journaux (la Patrie, si je ne me trompe) dont les coureurs Iiurlanls déployaient la haute manchette. — Ah! vous dis-je en entrant dans votre cabinet de travail, c'est le plus grand événement de l'Europe depuis vingt ans. L'archiduc héritier est assassiné. Comme je disais peu! L'Europe entière s'effon- drait. Il y avait trois ans que Léon Daudet parlait d'aoant-guerre. Jacques Bainville avait fait le tour de la France, l'année durant, afin de propager le même garde-à-nous. Tous, d'une même voix, nous suppliions nos compatriotes de sentir qu'il faisait un « temps bismarckien » ' sur les champs de l'Eu- 1. Action frunruist' ilu 1') février 1914. VI DEDICACE. rope. Mais Vinoiibliable dernier dimanche de juin sonna pour moi la cloche de Vextrême alarme, l'avè- nement du nouveau siècle de fer. Qu'y avait-il dans cette trouble affaire de Sara- jevo? les panslavistes? ou plutôt les pangerma- nistes? Ignorant d'où venait le coup, il m,' était im- possible de ne pas en saisir les conséquences. Des amis., plus rassurés ou plus confiants, se moquèrent. Mais la pierre de l'avalanche était bien détachée. De Rome, oii vous avez recueilli quelques-unes des suprêmes paroles de Celui qui bénit la paix et mourut de la guerre, avez-vous éprouvé l'intensité cruelle du mois qui suivit? Pour nous, ni les audiences d'un grand procès, ni les remous parlementaires contre la loi de trois ans, ni le voyage européen du prési- dent et des ministres, ni le congrès socialiste, la con- férence de Bruxelles et la mort de Jaurès ne nous ont empêché de voir apparaître le plus haut point des émotions de Vheure au cadran du palais de nos sénateurs. Là, sous les vieux lambris de la reine tos- cane, des hommes de valeur diverse, mais que l'âge a instruits, n'avaient pu s'empêcher de flairer dans le vent les nouveautés pleines d'orage, et ils en frémis- saient. C'est /e 10 juillet que leur fut distribuée la pièce fameuse appelée le Rapport Humbert. C'est le 13 qu'elle fut discutée au Sénat. Au matin du 14, quand notre journal fut achevé, nous nous diri- geâmes, Maurice Pujo et moi, vers la pelouse de Longchamp pour y voir défiler tant de beaux jeunes hommes que la France martyre ne reverra plus ! La pompe militaire pleine de vigueur et de grâce ne DÉDICACE. vu pouvait dissiper iobsession des paroles qui, la veille, iHdienl échanrjées, palais du Luxembourg, entre iWdminisiration militaire et le Parlement poliiujue. — Eh ! bien, gtmissait, en substance, l'organe du contrôle collectif, enfin averti des nkilités, comment est-îl 2)0. Les merveilleux effets du canon de 75 qui terrifie les troupes allemandes, permettent aujourd'hui de juger l'œuvre géniale accomplie obscurément par à Saint-Dié nous eûmes la pluie battante. N'empêche, à la montée, le joli soleil! 62 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. ce grand serviteur du pays qui s'appelait Félix Deloye et qui est mort il y a cinq ans.... Lorsque le général de Gallifet rendait cet éclatant et solennel hommage au général Deloye, celui-ci était directeur de l'artillerie au ministère de la Guerre. Peu de semaines après, le général André rempla- çait le général de Gallifet, et son premier soin était d'éloigner le général Deloye du poste où il avait rendu d'inappréciables services. Les ennemis de l'armée ne par- donnaient pas au général Deloye sa noble attitude dans un procès fameux.... . . . Nous avons, en de nombreuses circonstances, rendu à l'éminent constructeur du canon de 75 les hommages que nous devions à sa personne vivante, ensuite à sa mémoire ! Quelqu'un qui lui tenait de près nous a fait l'honneur de nous en remercier. Mais les mérites du général Deloye, qui construisit et mit en service le canon de 75 sont d'un ordre, ceux du général Mercier qui avait choisi, adopté, imposé le même canon, sont d'un autre ordre, comme les mérites du colonel Déport, le premier inventeur, sont d'un autre ordre encore. Tous les trois doivent être associés dans la juste gloire*. Le mot de Gallifet et les applaudissements de la Cham- bre ont défini et consacré la gloire du général Deloye. Tantque nous n'aurons pas obtenu la même recon- naissance pour le général Mercier, nous la réclame- rons sans cesse, avec une grande pitié pour ceux L Le 19 août, nous rappelâmes la part qu'avait prise à la construction du 75 le général Sainte Claire Deville, le 20 août nous rendîmes hommage au colonel Rimailho; plus tard au commandant de Pistoye. Le choix du canon Déport reste l'œuvre personnelle du général Mercier. Vi:HS STHASBOUUG. 0,^ que les passions politiques rendent iniques ou ingrats pour un général royaliste. Une note publiée dans un journal du malin ajoute à ces faits connus des précisions qu'il faut utiliser et des imprécisions qu'il faut dissiper. Il n'est pas exact d'écrire que « ce canon merveilleux fut adopté par nous on 1895 ». Le canon de ce type est connu sous le nom de « modèle 1897 ». Et l'époque de son adoption remonte au moins à avril 1894, c'est-à-dire à l'époque à la(juclle le général Mercier était ministre de la guerre. La note déclare qu'en 1898 (ou 1897?) il n'existait encore « qu'une demi-douzaine de batteries de 75 », car « l'adoption n'en avait été décidée qu'en principe et en cas de besoin ». Outre qu'une décision de principe était assez nécessaire à l'exécution, on ne nous dit pas d'où venait le retard de cette exécution. Nul ne saurait l'attribuer au général Deloye : mais, de 189i à 1897, si le directeur de l'artillerie n'avait pas changé, le ministre de la guerre avait été rem- placé dès janvier 1895. « 'L'influence prépondérante » du général Mercier cessa de se faire sentir et l'orien- tation allemande de notre politique extérieure, accu- sée en juin suivant par la visite de Kiel, rendait tout le monde officiel sceptique sur la nécessité d'armer contre l'Allemagne. Heureusement, poursuit la note à laquelle nous faisons allusion, le général Billot, ministre de la guerre en 1896, fut prévenu par les voies les plus détournées que l'Allemagne construisait un matériel d'artillerie nouveau. Malgré les dénégations de Pic- quart, alors chef et chef incapable du bureau des 64 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. renseignements, la nouvelle fut confirmée : Picquart, disgracié fut envoyé aux confins tunisiens et, avec un zèle auquel nous avons rendu hommage en temps utile, le général Billot, patriotiquement sou- tenu par M. Méline, fit procéder à la construction rapide du matériel que le général Mercier avait fait adopter mais dont la mise en service avait été sus- pendue par l'anarchie, l'ataxie et la discontinuité du régime : ce fut seulement en 1900 (rappelons ce détail déjà donné par nous) que toute l'artillerie se trouva pourvue du matériel de 75. Cet exposé découragera-t-il les velléités d'une injustice et d'une ingratitude qui seraient scanda- leuses? Le général Mercier est un de ces Lorrains qui ne se soucient pas de paroles, mais d'actes. Ses actes subsistent, et leurs conséquences foudroient l'invasion allemande. Une décision prise par lui il y a vingt ans sauve, de nos jours, la Patrie. Cela lui suffit. Je me demande seulement si le témoignage des faits, si éloquent soit-il, peut suffire aux besoins de la gratitude française. V\K X' ^n aoi1l191i. Le cri d'admiration, de douleur et de reconnais- sance élevé ci-dessus par notre directeur Henri Vau- geois me dispenserait de rien dire aujourd'hui du grand deuil qui vient de frapper le monde si nous n'avions l'humiliation de voir en tôte d'un impor- tant journal français, dans l'article consacré à cette mémoire, couler de tels flots d'inexactitudes et de rêveries que le patriotisme aussi bien que l'honneur oblige a rectifier sans retard. On pourrait s'en tenir à déchirer la première page du Temps pour ne retenir que les paroles véridiques enregistrées dans la troisième, comme elles échap- pèrent à la douleur du peuple romain : « Quel mal- heur! Quelle perte ! // était si bon, si généreux, si juste! » On pourrait aussi se borner au mot si direct et si vrai, par lequel le correspondant romain du Temps résume l'espèce de popularité tendre et par- faite dont jouissait cette grande âme pontificale, à Rome et partout : « Il était aimé pour lui-même. » Comment M. André Tardieu ou son intérimaire peut-il oser écrire : « Sans éclat personnel et sans mérites brillants. » Des rancunes de mauvais clercs ou de diplomates manques valaient-elles une pa- reille offense à la vérité lumineuse? Eh! quoi? « Pie X n'a considéré que l'idéal », 1. Lignes parues en noie d'un article de Henri Vaugeois, directeur de YAction française. 66 LA FRANGE SE SAUVE ELLE-MÊME. c'e«t-à-dire (si je sais lire l'allemand), il a perdu de vue les réalités? Ceux qui ont lu l'histoire de son pontificat ne peuvent ignorer qu'il fut un adminis- trateur merveilleux. Il a refusé de connaître « la po- litique »? Mais le correspondant romain du Temps montre au contraire avec quel sens incomparable des réalités politiques cet esprit sublime allia le maintien des revendications romaines et les rela- tions avec l'Italie de l'unité. Il a été trompé par son entourage? Cet entourage empêchait la vérité d'ar- river à lui? Un « rigoureux contrôle s'exerçait au seuil pontifical »? La vérité, audacieusement tra- vestie dans chacune de ces assertions, est, au con- traire, que nul seuil n'était plus accessible, nul en- tourage mieux contrôlé ni surtout mieux défendu de ces informations inexactes qui assiègent les cours sans que d'ailleurs elles respectent les chau- mières. Tout ce qui travaillait au-dessous de Pie X savait que rien n'était fait ni ne pouvait l'être sans avoir été examiné dans la conscience sévère et dans la limpide intelligence du Maître. « Oui, oui », disait-on couramment dans les bu- reaux, « mais il y a là-haut l'IIomine blanc... » Blanc comme la lumière, blanc comme on aime à se représenter la pure pensée, le Vieillard auguste, le doux et saint Docteur qui vient de rendre l'âme, laisse une mémoire si belle, il a tracé un tel sillon dans les mouvements de son siècle, qu'il n'y a rien à craindre des médiocres nuages d'encre amassés par une plume inconsidérée. On excusera cette re- montrance inutile. Mais le plus grand journal de la République avait mieux à faire aujourd'hui que PIE X. 07 de mettre au compte du Pape les torts de son propre gouvernement. L'avenir ne nianfinera pas de trouver également frivole un jugement respectueux et adniiralif, mais encore inexact, de M. André Chaumeix. Le rédac- teur en chef des Débats a cru devoir caractériser une politique de principe par « Tindifférence aux faits » ; il a cru devoir en exclure « le sens du réel ». Cependant c'est un fait réel que relate notre confrère Eugène Tavernier, neveu et biographe de Louis Veuillot, quand il dit que Pie X a laissé son Église « honorée et unie ». Posséder un honneur immaté- riel n'est pas un fait sans réalité. Disposer de l'union intellectuelle et morale, imposer au monde plus que le respect, une vénération qui ressemble à un culte, c'est peut-être jouir de réalités' plus solides et plus enviables que beaucoup d'autres; en tous cas, elles ne sont point à exiler dans la catégorie de l'idéal. Je n'ai aucune qualité de plus que les rédacteurs des Débats et du Temps pour apprécier le règne d'un Pape, mais à qui soutiendrait que, dans Pie X, le profond souci des principes, une foi de mystique, un sentiment presque passionné des devoirs et des droits de l'autorité purent enlever quelque chose à la lucidité d'une pensée maîtresse, à sa vue claire de toutes les nuances les plus subtiles, surtout à cette ardente et tolérante bonté palernelle qui fut peut-être le caractère essentiel de ce prêtre si humble et de ce pontife si grand : à qui dirait cela, j'aurais le devoir de répondre qu'il se trompe et que l'histoire, un jour, élal)lira la fausseté radicale, hon- teuse, de ces confusions ou de ces mensonges. LES NOUVELLES D'HIER 22 août 1914. Nous voici entrés dans l'une des grandes semaines de la campagne. La grosse partie semble s'engager. Dans la Haute-Alsace, « les Allemands sont en re- traite sur le Rhin* ». La route de Colmar nous semble ouverte. Mais, dans le district de la Lorraine qui mène à Strasbourg et à Metz, nous rompons et nous nous replions. Enfin, sur les champs de la mys- térieuse Belgique, de Namur à Anvers, de Namur à Arlon, l'invasion germanique dégorge à pleins flots. L'entrée dans une capitale ouverte est déjà mon- tée au cerveau des Allemands. Les communiqués officiels s'étendent sur les opé- rations de la Haute-Alsace. Des éloges et des blâmes y sont distribués, les blâmes pour la phase de la première entrée à IMulhouse, les éloges pour les manœuvres qui ont abouti à la reprise. Si M. Clemenceau n'avait donné hier en tête de son journal une sorte de mise en demeure exigeant la rédaction et la publication de cette critique, nous ne nous permettrions pas d'en rien penser : nous demeurerions fidèles à notre règle qui est d'agir, voire de sentir comme si toute la direction gouver- nementale était aux mains d'une poignée de héros du patriotisme, éclairés par le génie même de la patrie.... Mais il nous déplaît d'avoir à constater 1. Communiqué du 21 août. LES NOUVIÎLLES D'HIER. (iO (ju'il a suffi à M. Clemenceau de récriminer pour se voir exaucé dans les vingl-qualre heures. Dira-t-on que M. Clemenceau en porte la grave responsabilité devant l'avenir? mais cela n'a jamais gêné son inco- hérence. Ceux qui se laisse méduser par son ton- nerre de carton devraient se dire qu'en fin de compte ils resteront un jour tout seuls sous le poids des initiatives prises de compte à demi avec lui. Dans la rédaction de ces communiqués, je noterai, par contre, deux traits qui honorent les hommes qui en ont eu la pensée. En exposant et en commentant les erreurs ou les fautes qui se sont produites lors de la première occupation de Muliiouse, on ne nomme ni les troupes blâmées, ni le général qui se trouvait à leur tête. Ceci sera connu plus tard, à l'heure de la justice. Nous ne sommes encore qu'à l'heure de l'action. Ce n'est pas le moment de livrer le nom des soldats malheureux aux aigres discus- sions de la place publique. En revanche, après la description d'un mouvement habile couronné de succès, son auteur est cité. Le premier nom de général inscrit au Bulletin est celui que chacun prononçait à voix basse : le général Pau. L'ALLEMAGNE AU-DESSOUS DE TOUT 23 août 191i. La loi est dure, mais éternelle : toutes les fois qu'une civilisation affronte une barbarie, la bar- barie, même succombante, blesse la civilisation. Il faut s'y résigner ou consentir à une extrémité autrement effroyable, la victoire pure et simple de la barbarie. Sans doute les civilisés ont le devoir très strict de faire effort pour rester eux-mêmes et dignes d'eux-mêmes, pour maintenir la supériorité de leur cause qui forme leur titre moral à la victoire maté- rielle; mais il n'est pas moins obligatoire, il l'est beaucoup plus, d'éviter d'être dupes! La duperie ici serait une bien sanglante sottise puisqu'elle mettrait au tombeau des armées immenses, unique sauve- garde de grandes nations. Jamais le salut public n'a imposé plus fermement sa suprématie. La nature des choses nous impose, sous peine de mort, de prendre les moyens nécessaires et suffi- sants pour notre défense. Mais cet honneur du nom français, sans lequel nul ne se résout à concevoir la vie de la France, interdit d'appliquer littéralement le talion des sauvageries allemandes. Les uns donc parlent de représailles, et, comme le faisait le général Ilumbel l'autre jour, ils de- mandent qu'une note énergique du commandement français au quartier général ennemi l'avertisse de L'ALLKMAGNE AU-UESSOUS DE TOUT. •/! la fenno rc'-sohilion do ne laisser aucune cniaulé iinpnnie. Mais les autres protestent. Ils protestent (railleurs avant qu'aucun fait de reprc^'sailles se soit, je ne dis pas produit, mais esquissé. Et ce sont des actes tout contraires qui ont eu lieu à chaque instant avec un raffinement de magnanimité presque exagérée. Nous avons cité le cas d'un général invitant à sa table un officier uhlan prisonnier. Au môme instant, la Libre Parole relevait, d'après le compte rendu du conseil général des Deux-Sèvres, qu'à Niort les internés austro-allemands étaient traités comme des hôles de distinction. La moindre infraction aux règles de notre cour- toisie est très vivement relevée. Ainsi, à Mont- pellier, des cris déplacés, poussés sur le passage des prisonniers allemands, ont provoqué une très belle et très noble protestation du général commandant d'armes.... Non, non, les révolutionnaires ont beau s'échauffer, l'autre excès n'est pas à craindre. Le gouvernement lui-même le craint si peu qu'une note officielle, parue hier, avertit qu'on ne saurait « conser- ver vis-à-vis de nos adversaires actuels la générosité chevaleresque qui, jusqu'à ce jour, était de règle entre les soldats. Le temps de la guerre en dentelles est passé ». Cette espèce de faire-part du décès de l'antique fraternité des armes, celte lettre de deuil de la chevalerie émanée du Ministre de la guerre de la République française constitue un rappel à la réalité et à la plus dure, à celle de nos jours et de notre temps. L'histoire dira que la dernière guerre en den- 72 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. telles, vive mais élégante, a été menée de J908 à 1914, à l'inlérieur de la France, par les adhérents de rAction française, soucieux d'atteindre leur but national, sans rien détruire de précieux, sans rien casser d'irréparable. Nous opérions dans la Patrie, nous savions quels ménagements nous imposait son sol sacré. Mais nous savions aussi que la prochaine guerre extérieure serait terrible et que les horreurs qui nous seraient faites imposeraient aussi d'impla- cables ripostes. Ces vérités se dégageaient pour nous d'un simple regard promené sur un univers où le perfectionnement des biens scientifiques et indus- triels a été accompagné du recul religieux et moral qui, depuis la fin du xvn^ siècle, sinon du moyen âge, a été constant. Au fur et à mesure que les passions sont moins réfrénées, les objets de désirs, tout ce que les pas- sions tendent à posséder et à utiliser, sont devenus plus divers et plus désirables : du fait de la rapidité croissante des communications, chacun un peu par- tout commence à savoir fort bien où se trouve, en chaque ordre et sous chaque ciel, le meilleur : com- ment les riches plaines belges, comment l'incompa- rable variété du territoire français auraient-elles échappé aux convoitises des barbares? Il y a dix-huit ans, un de mes amis, réfléchissant aux destinées de la Toscane, s'accusait, comme d'une véritable folie, d'avoir noté comme un con- traste la suavité du paysage florentin et la rude physionomie de la ville. « C'est cette douceur du pays qui fit courir aux armes.... C'est elle qui forma l'appareil guerrier de ces murs. Lorsque le paradis L'ALLEMAGNE AU-DESSOUS DE TOUT. 17, régnera sur la terre » (et mon ami songeait au para- dis matériel de Karl Marx) « comptez, disait-il, (jue toutes les maisons seront fortifiées comme les palais de Florence, car tout le monde aura beaucoup {i perdre cl à gagner*. » Nous n'en sommes pas en- core à ce paradis-là. Mais c'est bien pis : nous tra- versons une époque de paradoxes où les plus puis- sants organes de la force se trouvent au service de la nation la moins capable de l'employer, car elle est la moins dégrossie, le peuple retardataire par excel- lence et qui fut toujours le traînard de la civilisation. Tout était à craindre de lui au premier condit, et les conflits ne paraissaient pas évilables : il les cher- chait. Écoutez, disions-nous et n'avons-nous cessé de dire à nos concitoyens depuis que nous tenons la plume, écoutez ce que chantent les Allemands : leurs paroles d'orgueil publient que leur race est la première du monde, mais elles font comprendre que le contraire est vrai, c'est r Allemagne, V Allemagne qui est au-dessous de tout. En France, nous craignons de tomber dans le voi- sinage de sa bassesse par la nécessité où elle nous a mis de lui rendre plaie pour plaie. Mais la plus grande erreur que nous puissions commettre serait ici de céder à notre vieille pente gauloise et de nous former en deux camps selon que nous serions d'un avis ou d'un autre sur le degré et la mesure des représailles françaises. Des camps, des partis sur la question de savoir ce qui doit l'emporter de la patrie française ou de l'honneur français! Gomme si un 1. Anthinea, le Génie toscan, 1897. 74 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, choix s'imposait! Comme si de justes mesures ne pouvaient les concilier ! Il devrait suffire en pratique de faire généreusement confiance aux autorités res- ponsables quelles qu'elles soient, puisqu'elles ont pour agents d'exécution des militaires de sang fran- çais. Et théoriquement, si les théories importent encore, il suffit de bannir du code de nos représailles un acte de barbarie quel qu'il soit. Mais les repré- sailles loyales sont toutes absolument de droit contre un ennemi déloyal. M. lAVISSK RKTROUVK 24 aoûl 1014. Un homme que M. Ernest Lavisse n'aime peul-ôtrc pas encore autant qu'il le faudrait, le général Mer- cier, nous disait il y a sept ans : — Si vous saviez comme tout change quand l'en- nemi est là ! Un éclair humide, accompagné d'un sourire triste, passa sous le voile des paupières, comme pour sou- ligner ces prophétiques paroles. Je no les ai jamais oubliées. Il eût été impie de souhaiter cette menace des barbares pour assister à la réconciliation des Français. Mais enfin, si le mal est là, emparons-nous des avantages qu'il nous apporte. Si l'ennemi nous met d'accord, savourons ces accords et profitons-en pour le mieux combattre! Hier, c'était Maurice Donnay qui portait à l'auteur des Amitiés françaises, à l'auteur du Romantisme français, l'aveu de ses doutes anciens et de son adhésion présente : comme Barrés, comme Lasscrre, il bannit les Germains de l'humanité. Aujourd'hui, c'est Ernest Lavisse qui vient ajouter à ses récentes considérations sur l'Al- sace et la Lorraine de nouvelles réflexions sur l'unité française, qui sont magnifiques. Je ne sais si j'oserais dire en termes assez cordiaux notre joie. M. Lavisse nous manquait, à nous qui, pou ou prou, sommes ses anciens écoliers, auditeurs ou lecteurs de ses belles leçons sur la Prusse et enrichis d'une morale politique extraite de ces 7(3 LA FRANGE SE SAUVE ELLE-MÊME. leçons. Celui qui nous manquait ne s'était-il pas exilé un peu, je ne dirai pas de lui-même, mais des plus hautes préférences de son esprit? N'avait-il pas quitté l'histoire, ses constatations, ses inductions et ses lois concrètes pour suivre la pente de la méta- physique historique, celle qui se vante de rechercher et de retrouver la loi unique du mouvement de l'hu- manité"? Bref, lui qui avait été entre 1885 et 1890 une sorte de Boulanger universitaire, professeur et doc- teur d'un patriotisme intellectuel des plus militants, il assista au nationalisme et il n'en fut pas! Il sembla même le combattre. On le croyait rangé du côté pacifiste et résigné à cet abandon de l'idée de revan- che qui fut la grande faute des premières années de l'alliance russe et aboutit à la fatale gaucherie de Kiel. Chose curieuse : au fur et à mesure que M. La- visse paraissait s'éloigner du séjour naturel et de la maison natale de son esprit, il s'attristait. Son front se plissait, ses yeux se rembrunissaient. On disait : l'âge. Mais l'âge n'y était pour rien. La pensée et le cœur de l'écrivain ont, comme le marin, leur étoile. Quand elle s'obscurcit, tous les deux se troublent. La lueur ranimée ranime aussi la joie. Si cruelles que soient nos journées d'attente anxieuse, les semaines de guerre ont manifestement rapporté à M. Lavisse ce ferme sentiment d'une mâle allégresse qui met l'accent vital sur tous les mots écrits ou dits et donne témoignage de leur résonnance pro- fonde. Plus d'hésitation, ni de recherche inquiète. * Plus de nuées : elle est retrouvée! Oui? Une étoile teinte de sang, mais étincelante au plein ciel. M. LAVISSK RETROUVE. 77 M. Lavissc conlo dans le Temps daté d'aujour- d'hui « la découverte de la France parles Français ». Disons mieux, il la chante. Il dit la mobilisation sans retard et sans heurt, l'union et l'admirable élan vers les champs de bataille, de ces Français que tout divisait, « pays, conditions, églises, clans politiques », M. Malvy suspendant « l'exécution des lois contre les congrégations », M. Augagneur « nommant des aumôniers à nos vaisseaux de guerre ». Tiens! tiens! s'écrie le sosie de I\l. Lavisse, et M. Lavisse feint de s'étonner avec lui, bien que, tout au fond, comme nous, aucun doute ne l'eût pressé I M. Lavisse ajoute : Sans bruit, par un travail qui occupa les jours et entama les nuits, des officiers ont préparé jusque dans le plus petit détail l'œuvre de la mobilisation, ils ont fait un chef-d'œuvre. D'autre part, des ingé- nieurs de chemins de fer ont désigné les quais, dressé des horaires, calculé, combiné jusque dans le plus petit détail; ils ont fait un chef-d'œuvre. Or, les Fran- çais sont capables éminemment de chefs-d'œuvre de cette sorte, par la précision de leur esprit, leur amour de l'ordre, leur ingéniosité, leur goût pour l'ouvrage « bien faite ». Enfin, M. Lavisse écrit : Remercions de toute notre gratitude les hommes qui, dans les bureaux et dans les rangs, depuis des années, moins honorés qu'il n'eût fallu, humiliés par Ve protocole des préséances qui exalte les sous-préfets, insultés par maints journaux, souffrant dans leur honneur des affronts à nous infligés par la brutale Allemagne, ont travaillé silencieusement pour o])éir au devoir et malgré tout soutenus par l'espoir dune guerre réparatrice et vengeresse. 78 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Enfin, M. Lavisse écrit : c Être ou n'être pas », -a dit l'empereur allemand, et notre peuple a dit aussi : « Être ou n'être pas ». Et alors infiniment petites et misérables sont apparues les questions qui passionnaient ce pays dans les récentes batailles électorales; ridicules les affiches encore collées aux murs, les échanges d'injures, les rivalités de personnes et de clochers ; et les députés et les sénateurs, un moment assemblés pour écouter debout de simples et grandes paroles, se sont séparés; l'intrigue ne bavarde plus dans les déplorables cou- loirs, et la tribune est muette. Dans ce silence, on entend battre le cœur de la France. ... A ce battement grave, régulier et puissant du cœur de la nation, dans cet heureux silence de la tribune, M. Lavisse voit s'évanouir tout rartificiel de la vie politique contemporaine. Il voit aussi se dissiper, aux yeux du monde comme à nos yeux, les préjugés qui avaient forgé l'image d'une fausse France, d'une France qui se calomniait plus encore qu'elle ne se déchirait : Quel contraste avec la France que nous paraissions être, tuberculeuse, alcoolique, pornographique, divi- sée contre elle-même, incapable de discipline, de sacri- fices et de courage, vouée à la servitude! Et M. Lavisse conclut, comme s'il écrivait un cha- pitre d'histoire du moyen âge. « C'est à cette France que les empereurs germaniques ont cru avoir affaire. » Cette France fictive, tous les Français en sont évadés et ils se rejoignent sur les réalités à défendre, à venger et à protéger. Les dissentiments ne sont M. LAVISSE lŒÏROUVK. 79 pas oubliés, mais les dissensions s'apaisent : si je sens bien, sur quelques sujets, la pensée de iM. Lavisso entrer comme une pointe vive dans ma pensée, si je n'ignore pas que la mienne peut lui produire çà et \k les mômes eilets, tout de môme je me rappelle un curieux retour de pensée de Jules Lemaître' dans les premiers temps de V Action fran- çaise quotidienne : — Et Lavisse? aimait-il à dire. Croyez-vous qu'il n'y ait aucun espoir dans Lavisse? Nous hochions tristement la tête.... Combien nous nous trompions ! Et combien notre illustre ami eût souri finement à mener son triomphe sur les ruines de notre erreur ! Nous marchons au milieu des tombes. Mais com- prenons-en le conseil. L'autre grand mort de ce cruel mois d'août 1914, Pie X, a répondu à l'Autrichien qui lui demandait de bénir les armes de son empire : — Je bénis la paix. N'est-ce pas sur la France qu'est tombée cette incomparable bénédiction? Notre incroyable paix française ne nous est-elle pas venue des mains tremblantes du saint 'Vieillard moribond ? Étendues sur le monde elles ont rencontré notre pays, qui les cherchait ! 1. Jules Lemaitre était mort le 5 août. Les Adieux funèbres à nos morts de l'année seront recueillis dans un autre vokune. DEUIL PROVENÇAL 25 août 1914. Quelques journaux de diverses couleurs s'étaienl mis d'accord ces jours-ci pour déclarer que le silence des bureaux militaires était ce qu'il y avait de pire au monde et qu'un bon petit bavardage sérail inoffensif. Nous n'étions pas de leur avis. On a bavardé ; le résultat ne s'est pas fait attendre. Plus direct et plus douloureux que tout raisonnement, il nous a donné trop raison. Un hurluberlu du nom de Gervais, qui est sénateur de la Seine et rédacteur au Matin, ayant découvert que son « inébranlable confiance dans la valeur de nos troupes » lui donnait toute « la liberté d'esprit nécessaire » pour faire des sottises, il s'est fourré en tête de livrer au public les causes de notre insuccès et de notre recul en Lorraine, et il a publié qu'une « division du 15« corps composée de contingents d'Antibes, de Toulon, de Marseille et d'Aix a lâché pied devant l'ennemi. » Le ministère de la Guerre a rectifié. Les quelques coupables ont été châtiés, le journal criminel blâmé. Et le parlementaire? Est-ce qu'il s'en ira sain et sauf? L'homme qui lâche pied devant l'ennemi mé- rite le peloton d'exécution, mais un homme d'État qui lâche le secret dont il a le dépôt, mérite le fouel. Je dis peu. Fouetté ou non, M. Gervais peut se dire que le mal est fait et qu'il ne dépend même plus de lui de e réparer. Quelque beau coup, un acte d'héroïsme DEUII, l'HOVIÎNÇAL. 81 hardi ol sauveur réussi on pleine lumière par les IVovençaux du 15" corps lavera le; nom provençal du crime collectir qui leur est imputé. D'ici là, quoi que l'on rectifie et quelques explications que l'on donne de vive voix ou par écrit, le « vievx peuple fier et libre » se croira en deuil de l'honneur. Ceux des nôtres qui sont aux frontières ne le sentiront heureusement pas, puisque la bataille charme toute inquiétude et qu'ils peuvent montrer, en le versant à flots, que leur beau sang n'a pas dégénéré encore. jMistral est mort à temps. Le vieillard de Maillane eût frémi de l'opprobre du 25 août. Il est vrai qu'il se fût redressé l'autre jour au bruit des applaudis- sements qui saluèrent l'intrépide traversée de la Lorraine, dirigée au milieu des croiseurs allemands par mon éminent homonyme le commandant Maur- ras, que je n'ai pas l'honneur de connaître, mais qui est né quelque part autour de La Ciotat. Comme dans les pays de plaine restés quelque temps à l'abri des incursions de l'étranger, les Provençaux n'ont pas toujours fourni un peuple 1res aguerri. Walter Scott n'apparaît pas mauvais historien quand il nous le montre à la fin du quin- zième siècle presque perdu par les délices de la paix. Or, moins de cinquante ans après la réunion à la France, il se lève en Provence des générations singulièrement batailleuses et valeureuses dévouées jusqu'à l'héroïsme dans la défense contre les armées de Charles-Quini; cela s'est retrouvé pendant les guerres religieuses et les guerres de la Révolution. INLiis, de tout temps, ce fut sur mer que le Pro- vençal donna sa mesure. II suffit au mocô d'avoir 82 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. de bons chefs et de combattre sous leurs yeux: sa frugalité, sa sobriété, sa prestesse, sa sensibilité prodigieuse aux nuances du point d'honneur et enfin cette ténacité de race, si éloignée de la prétendue « impressionnabilité des méridionaux » dont parle M. Clemenceau ce matin, ténacité qui faisait dire à la vieille France: « têtu comme un Provençal », le rendait redoutable sur tous les océans. C'est avec lui que Suffren a fait ses miracles, et quelques-uns de nos matelots enfermés à Montrouge en 1870 n'ont pas laissé pâlir cette réputation. La mer est une éducatrice. Mais les Provençaux ont connu, depuis, une corruptrice : la politique. On ne saura jamais les torts que la politique a faits à notre race. Les facilités croissantes de naturalisation commencèrent par introduire ces derniers cinquante ans un flot d'étrangers trop divers. Ensuite le régime électif surprenant le pays dans une heure de dépression^ fit jouer ses mauvais ressorts. Une repré- sentation politique désastreuse, fonctionnant au rebours de l'organisation sociale et s'occupant même de la combattre méthodiquement, y réalisa peu à peu, mais de plus en plus et à la lettre, ce que Jules Lemaître nomma « le gouvernement des pires ». Nous avons expliqué en de vieilles études (le mauvais Midi, le Midi esclave), comment le régime fut dans cette région plus entier que partout ailleurs et put aller jusqu'au bout de sa malfaisance. Op- portunistes, radicaux, socialistes, anarchistes for- mèrent dans le Midi une chaîne continue, commen- 1. La grande agitation électorale menée par Gambetta coïncide avec le phylloxéra. DEUIL PROVENÇAL, 85 ranl aux Rouvicr, conlinuanl par les Clemenceau ou les PcUetan et se terminant par ces fauteurs de l'anli-militarismc avou6 qui n'ont que trop infesté nos parages, qui n'ont que trop chanté dans le voi- sinage dos troupes : Salut, salut à vous! Nobles soldats du dix-septième!... Dans un port de mer qui le mettait d'ailleurs volontiers en minorité, j'ai vu pendant vingt ans, un député de la circonscription, agitateur et doctrinaire, rallier les moins bons éléments du pays contre les plus honorables fonctionnaires de la Marine. La vingt et unième année il reparut avec sa cour des miracles habituelle, mais, cette fois, pour récompense, il était ministre de la Marine, et les habits brodés d'argent se tenaient inclinés devant lui au débarcadère .... La prime ainsi donnée à un certain talent révolu- tionnaire élève forcément la cote de l'esprit d'anar- chie. Enchérir sur le radical paraît la voie normale des honneurs, des triomphes, d'ailleurs suivis d'assa- gissements fructueux. La conscience d'aucun peuple ne tiendrait contre celte immoralité en action. Et la fibre morale une fois relAchée, la fibre physique est malade. Mais, encore une fois, devantl'ennemi, toutchange, tout se réforme, quand les énergies du passé veu- lent refleurir. La mobilisation s'est faite en Provence avec un enthousiasme, un élan auquel nul ne s'at- tendait, les régiments ont quitté nos villes comme pour une promenade h la campagne, le mauvais esprit ne s'y faisait pas sentir et les renseignements 84 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. qui circulent s'accordent à montrer que les défail- lances partielles ont causé une vive horreur parmi les compagnons d'armes des défaillants. De cette horreur sacrée jaillira bientôt la revanche de nos soldats. Peut-être déjà est-elle obtenue. Nous ne demandons d'ailleurs pas à la connaître, non plus que nous n'aurions demandé à savoir le crime. En de si cruelles rencontres, un seul parti est sage, le parti pris, bien pris, de ne point gêner l'action par la critique. On ne me fera jamais prendre les bureaux officiels pour un organisme infaillible. Ils peuvent et doivent se tromper. Mais ils peuvent aussi paraître se tromper en ne se trompant pas ou en se trompant moins qu'il ne semble : dès lors leur position de gens qui savent n'est-elle pas supérieure à la nôtre, qui sommes aussi faillibles qu'eux, et qui ne savons pas? Les silences de ces messieurs peu- vent avoir tous les défauts et tous les inconvénients énumérés par M. Clemenceau ou par M. Pichon. Mais voici qui doit tout régler : dans l'excès de parole que l'on réclame d'eux ou dans celui que l'on se permet sans leur permission, il peut se cacher tel péril incomparablement supérieur, inconnu de nous et qu'ils savent ! CONTRE LES MURMURES 2G août 19li. Il court de beau récits de rhéroïque endurance de nos blessés. Si nous voulons bien raisonner sur n'importe quelle question, commençons par lire ces Actes magnanimes. Celui-ci remuera le meilleur de chacun de nous; il m'est parvenu hier soir de la frontière : Un convoi de blessés arrive à rambulance tenue par les Dames delà Croix Rouge. Il y a là trente chas- seurs à pied dont le bataillon vient de repousser, après un violent combat, une troupe très supérieure en nombre. Ils sont précédés de cinquante prisonniers allemands dont plusieurs sont également blessés. Parmi ces derniers se trouve un malheureux Alsacien auquel un projectile français, hélas! a fracassé la jambe. Son caleçon est inondé de sang et le pauvre garçon se console en disant: « C'est presque un panta- lon rouge. » II me semble qu'en méditant l'exemple donné au loin, en tendant énergiquement les esprits dans la direction des beaux jeunes gens déchiquetés par la mitraille, amputés par la chirurgie, et qui serrent les dents pour guérir ou mourir sans bruit, il serait moins difficile d'avoir le silence à Paris ; peut-être même serait-il possible d'y faire comprendre que les plus grands blessés ne crient pas toujours le plus haut. 1. Écrit aux premières rumeurs de nos grands échecs de Belgique. 86 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Certains hommes d'une réelle capacité, beaucoup d'autres dont la capacité est moindre s'appliquent depuis quelques jours à critiquer la mesure dans laquelle le pays est bien ou mal renseigné sur la guerre. Le trop, le pas assez et le juste milieu se trouvent ainsi dosés, pesés, contre-pesés en d'il- lustres balances sur lesquelles chaque docteur expose de combien de manières il a raison d'être mécontent, raison de le montrer et finalement de le dire : c'est tantôt leur patriotisme qui saigne et tantôt leur logique, tantôt même leur sens commun. Ne pouvant critiquer les opérations militaires insuf- fisamment définies, ils censurent le travail de style qui nous en rend compte, et toute objection que suggère leur cerveau ou leurs nerfs est couchée par écrit pour montrer que leur tête est forte ou solide leur cœur. La démonstration, je l'avoue, ne me con- vainc pas. Elle serait meilleure s'ils savaient opposer un peu plus de calme aux malaises. Fût-on agacé, irrité et blessé mille fois plus profondément, il serait beau et digne d'attendre avec patience afin de juger sur pièces définitives. Certes, il ne faudrait pas se contenter d'écrire ou de parler, et il faudrait crier, agir si les interven- tions de cet ordre étaient de nature à améliorer quoi que ce soit. Mais on vient d'en faire l'expé- rience, les coupables l'ont même avoué : ce courant de critiques vaines et vagues n'a fait qu'aggraver la situation. Les rédactions jugées mauvaises sont de- venues pires, et les comptes rendus qui étaient un peu gauches ont été déclarés ensuite tout à fait maladroits, chaque correctif suggéré ou exigé de CONTRE LES MUIlMUni-S. 87 fi^aucho et de droite ayant abouti à produire des impressions plus fausses que les premières. Sans doute les hommes qui, appartenant, i'i roligarchie du rég-ime, ont leurs grandes et petites entrées dans les -Ministères pourraient, en s'y prenant avec un soin extr(^me et une discrétion scrupuleuse, demander, obtenir de réelles améliorations. Seulement, il fau- drait intervenir avec tact, prudence, légèreté de main et surtout s'abstenir de crier son nom ou même de le dire. Mais quoi! l'habitude est plus forte! Si les Chambres étaient réunies, on verrait ces mes- sieurs à la tribune : ils n'ont que les journaux, ils s'en servent avec l'inconscience de l'automatisme et de la manie. Quant à redouter des sanctions, ils sont au-dessus de telles misères. Avec une superbe qui ne lui était probablement pas perceptible, l'un d'eux, dans un procès fameux, répondait doucement à un témoin qui le menaçait de la loi : « S'il existait c/cs lois qui me fussent applicables.... » Jusqu'à la preuve tlu contraire, je demeure persuadé qu'il n'y a point de loi applicable à M. Clemenceau, ni à M. Pichon, ni à M. Gervais. Les lois sont pour le Peuple maigre, ainsi qu'on disait à Florence; ces messieurs sont du Peuple gras. La presse leur sert de tribune, nul pou- voir non pas même l'état de siège, nulle autorité non pas môme le salut public, ne peut les empêcher d'installer sur cette tribune de papier un tremplin d'où ils comptent rebondir dans quelque ministère en projet. C'est leur jeu naturel, c'est leur art et c'est leur talent.... Sembat, dans Faites un Roi, a déjà expliqué comment d'anciens ministres demeurés ministrables ne peuvent «'employer de bonne foi à 88 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, éclairer, ni à conseiller les ministres qui les ont sup- plantés : tout ce qu'ils peuvent faire, c'est d'essayer de leur succéder. — Même en temps de guerre? Même devant l'ennemi? — Hélas! Voyez. Et voyez comme nous voyons : sans récriminer. Ce gouver- nement d'opinion est à tout instant menacé de mort par l'opinion qui l'a créé. Mais il est le gouverne- ment de la France envahie : que pas un mot, que pas un murmure venus de nous n'aident à le rejeter dans le gouffre natal ! Jamais notre paix intérieure n'a été plus digne d'être appelée le premier des biens. Jamais il n'aura été plus utile de tenir les jjons citoyens en accord. Les mauvais le troublent? Eh! quïls le troublent tout seuls! Blessés souvent à la surface de nos opi- nions, de nos appréhensions, de nos préjugés, de nos soupçons ou parfois même (tout se peut) dans les profondeurs de nos certitudes, blessés, dis-je, ne crions pas. Soucieux, alarmés, ne murmurons pas. D'autres là-bas, se taisent, qu'on entaille à des pro- fondeurs autrement cruelles ! L'EMBUSQUÉ 27 août 191i. Il est partout question de nommer de nouveaux ministres, sans éliminer les anciens. Des noms sont prononcés : Millerand, Dclcassé, Briand. On a imprimé aussi le nom de Marcel Scmbal. Et Cle- menceau ? M. Clemenceau veut-il en ôtre? Ou se réserve-t-il? Cela ne regarde que lui. En doit-il être? Cela nous regarde, nous. Pour répondre à ceci, il faudrait savoir où M. Clemenceau sera le plus dangereux : dans le ministère ou dehors ? N'ayant pas fait partie du ministère Clemenceau, ni d'aucune combinaison politique, littéraire, scien- tifique ou mondaine à laquelle M. Clemenceau ait été mêlé, j'ignore ce qu'il vaut comme collègue ni s'il a mérité sa réputation de mauvais coucheur. Ce qui est certain, c'est que sa profession de journaliste et la faculté qui lui est laissée, malgré Tétat de siège, de dire à tort et à travers tout ce qu'il peut savoir comme homme public, fait de lui un danger public évident. Aucun devoir qui le limite ne lui est sup- portable. Ily a des fictions qui peuvent être d'intérêt national : incapable de s'y plier lorsque son caprice est en jeu, il répandra à pleine gorge toutes les fables qu'il lui conviendra d'imaginer. Grâce à lui, 1. J'ai plaisir à dire que ce litre excellent appartient à Maurice Pujo, alors mon compagnon de travail, aujour- d'hui soldat au front. 90 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. on peut dire que les conseils de la défense se tien- nent en plein venL Son article d'hier est particulièrement inouï. On y trouve d'abord toutes les sages invitations au calme, toutes les justes recommandations de faire confiance au gouvernement quel qu'il soit : bons conseils qui traînent partout. Mais, ailleurs, ceux qui les donnent, commencent par se faire un devoir de les suivre. Cet homme vraiment libre ne s'embar- rasse point de ses propres principes. Il écrit : Forte ou faible, quelle que soit raction gouverne- mentale, nous ne pouvons commettre de plus grande faute que de la contrarier. La légalité, l'ordre, le calme comme nos meilleurs points d'appui. Cela dit, s'estimant couvert par ces protestations, M. Clemenceau fait ce qu'il peut pour troubler l'ordre, ébranler la confiance, critiquer le gouverne- ment « dans la mesure où il le rend nécessaire », qui n'est autre que la mesure du plaisir de M. Clemen- ceau. Il délivre au généralissime (qu'il n'était pas chargé d'apprécier) un brevet de satisfaction, mais « pour la défensive » seulement; il fait savoir de cette sorte aux Français et aux étrangers, aux amis et aux ennemis, que la question du généralis.sime a pu être posée en haut lieu. Et ce premier paquet lâché, il renouvelle le conseil de « patience » et de « tranquillité ». Alors, l'agitation de M. Clemenceau recommence. Contre le ministère de la guerre, cette fois. «■ Sous prétexte de concentration », on s'en est remis » de L'EMBU&OUÉ. 01 tous les services les plus imporlanls » à ce minis- lère qui est déclaré « hors d'élal de « les diriger et de les conirôler ». Tous ses « dirocLeurs abandonnés à eux-niômes ont eu pour première occupation de s'octroyer la plume blanche ». Enfin, les communi- cations dudit ministère à la presse ont besoin d'être « contrôlées ». Par qui? Par la presse elle-même, particulièrement par la presse de Londres. C'est une opinion. Peut-être vraie ! Peut-être fausse ! Mais elle contredit l'opinion des autorités responsables et elle correspond aux passions du public, à ses nerfs, à ce que M. de Mun appelle éloquemment les perfides conseils de la fiévreuse curiosité et les tentations de la critique ignorante. L'article de M. Clemenceau intitulé La volonté annonçait de bonnes recettes pour discipliner les réflexes du public : il ne tend qu'à libérer ces réflexes jusqu'à la folie. Si je publiais les mêmes renseignements, si j'émettais les mêmes affirmations, si je me permet- tais, chétif, de critiquer bureaux, ministres, prési- dent, d'abord on ne laisserait pas passer cette prose et l'on aurait raison. Mais, à supposer qu'elle parût et circulât, le beau malheur! On sait que les sphères d'informations des écrivains d'opposition sont tou- jours suspectes aux officiels. Il serait trop facile de maintenir par tous les organes de l'Etat la vérité gouvernementale audacieusement contestée ! Mais avec M. Clemenceau, c'est une autre paire de manches. Que répondre à l'homme qui écrit : Ayant reçu la visite de M. Viviani le lendemain, je lui parlais de cette affaire.... 92 LA FRANCE SE SAULE ELLE-MÊME. Qu'objecter au sénateur qui ose écrire : Je m'inscris en faux contre le démenti de M. Mes- simy qui est bien placé pour savoir de qui je tiens une information accompagnée de cette remarque, etc. Notez que les points abordés par M. Clemenceau ne sont pas en cause. Que faut-il penser de Tinter- diction, puis de l'admission, puis de la nouvelle interdiction du journal le Timesl Ou encore du récit de M. Gervais sur l'abominable incident du 15'' corps, du démenti que M. Gervais a reçu du gouvernement et du démenti que M. Clemenceau donne au démenti gouvernemental ? Questions par- ticulières! Sujets dont discuterait indéfiniment en une heure où la discussion est pire que tout! Mais sur l'indiscrétion avec laquelle M. Clemenceau se mêle de faire juger ces divers incidents, il n'y a pas de doute possible; le désordre ainsi provoqué peut avoir des conséquencesépouvantables,nonseule- ment pour la patrie, mais pour chacun des membres de la patrie, pour vous qui me lisez, pour votre enfant ou votre frère qui est à l'armée, pour le toit sous lequel s'abrite votre paix douteuse.... Les né- cessités de l'ordre sont aujourd'hui vitales et les désordres sont mortels. Si pareille situation devait s'éterniser, l'Histoire de France dirait qu'une somme effroyable de catastrophes collectives et de deuils personnels porte pour signature la parole légère et l'intempérant journalisme d'un parlementaire fameux. Que faire donc de cet homme libre, trop libre? A la place de M. Poincaré, disent quelques-uns, L'EMBUSOUl^:. 93 lions donnorions à M. Clemenceau le choix entre un siège au Conseil des ministres ou le passage en conseil do guerre. Mais M. Poincar(5 a sans doute des objections.... Elles peuvent tenir à ce petit fait (jne, du prinlemps à l'automne lilOl», il fut le collègue de M. Clemenceau dans le cabinet Sarrien : ce n'était pas drôle, dil-on. D'autre part, I\I. Clemenceau peut trouver que l'autorité sans la responsabilité a des charmes, et qu'il est doux de tout pouvoir sans avoir i\ répondre de rien. Alors, quoi? Alors, le ministère est remanié, paraît-il. A l'heure où j'écris, on annonce que M. Clemenceau, qui a rendu le service d'écarter M. Caillaux, ne sera pour- tant pas de la combinaison. M. Clemenceau va donc continuer avec son journal à former un gouvernement à côté, ou, pour mieux dire, un gouvernement au-dessus, qui s'arro- gera le droit de contrôler, de critiquer et de cen- surer le gouvernement nominal : tiraillant à sa guise, en franc tireur, gênant les opérations de cette troupe gouvernementale régulière, dont nous acceptons la discipline, nous, royalistes! Il faudrait pourtant que M, Clemenceau prît ses responsabilités directes ou qu'il se tût : chef ou soldat, il n'y a plus à chercher entre ces deux postes un lieu d'intrigues où s'embusquer! LES NOUVEAUX MINISTRES 28 août 1914. Notre espoir dans l'heureuse issue finale de cette guerre est trop ferme, notre patriotisme est trop profond pour qu'il nous soit permis de nous asso- cier à ceux de nos confrères qui saluent dans le nouveau ministère un second Gouvernement de la Défense nationale. Non, non, il n'est pas né, comme le gouvernement du 4 septembre, d'une révolution devant l'ennemi, il ne doit pas finir en donnant au monde le speclacle de la défaite compliquée de désarroi, de gaspillage et de trahison. Les anciens ministres du premier cabinet Viviani ont quitté la place soit par le sentiment justifié de leur insuffi- sance, soit en vertu d'un jugement porté sur leurs actes par ceux qui avaient vu ces actes de près, c'est-à-dire leurs collègues, leur président et le prési- dent de la République. Il y a peu d'exemples de mutation plus régulière. Beaucoup de bons citoyens auraient souhaité d'éviter une crise ministérielle nouvelle, mais c'est là un scandale auquel nous sommes faits, et l'Europe aussi. Beaucoup d'autres auraient préféré qu'on opérât ce remaniement comme en Belgique dès les premières hostilités. L'occasion n'a pas été saisie le 4 août, peut-être parce que du point de vue des partis et de l'opinion, mieux valait se laisser forcer la main par l'événement que de le dominer en cou- rant le risque effroyable de susciter sur l'heure LES NOUVEAUX MINISTRES. or toutes les difficultés et les résistances inhérentes au inéconlenlcniciit des coteries et des groupes. Les ministres incapables ou médiocres se sont ainsi usés eux-mêmes. Oui, mais avec leurs forces ils ont usé celles du pays. A la diflerence des hommes du 4 septembre, les nouveaux ministres ont l'avantage d'avoir occupé le pouvoir, quelques-uns, comme Millerand, d'y avoir fait œuvre utile. On sait tout ce qui nous sépare de Millerand depuis qu'il a consenti à plaider dans un procès auquel l'ancien ministre aurait dû rester étranger. Mais nous le soutenions en 1912. Nous mettrons la même raison et la môme passion à la soutenir aujourd'hui. Par lui, il y a trente mois les préoccupations militaires et l'esprit militaire sont rentrés rue Saint-Dominique. Ses dons personnels de labeur, de méthode et d'organisation seront maintenant secondés par les vérités politiques nées de la guerre, au lieu d'être combattus par toutes les illusions et toutes les fables de l'ancien pacifisme parlementaire. Cette heure de l'action a remis en place un homme qui paraît avoir le sens de l'action. Sa lettre au général Joft're, sobre, simple, sans flafla ni guirlandes, dit ce qu'il faut comme il le faut. Sa réunion matinale des directeurs du ministère de la guerre, est mieux qu'une parole. Enfin l'annonce de la mise en état du camp retranché de Paris indique un esprit disposé à examiner toutes les possibilités, à commencer par les pires. Des actes très prochains jugeront M. Ribot, dont l'expérience n'est pas douteuse. La situation va contraindre MM. Briand et Delcassé à accentuer leurs 96 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. attitudes les plus récentes, de préférence aux autres caractères de leur passé. Ce sera encore tant mieux! Quant aux deux nouveaux, il faut d'abord dire que Jules Guesde a toujours été patriote : il s'est même souvent distingué, par des nuances suffisamment perceptibles, de ce socialisme qui a fait prévaloir, aux vingt dernières années, des tendances individua- listes, cosmopolites, démocratiques et libérales. Un journal exhume des déclarations patriotiques de lui qui datent de 1805, précisément l'époque où la « social-démocratie » française devenait plus démo- crate que sociale. Bien plus social que démocrate, plus attentif à la doctrine de l'organisation qu'à la doctrine individualiste, le Guesdisme au rebours du Jaurésisme sentait les rapports du social et du na- tional. Ces observations ont été faites plusieurs fois dans notre vieille Revue entre 1899 et 1904. Il était équitable de les renouveler aujourd'hui. MARCEL SEM8AT AU COMITÉ DE SALUT PUBLIC Quant à Sembat, eh bien, voilà Marcel Sembat établi dans cet « organisme collectif » auquel il a souhaité, dans un écrit fameux, de boucher « le trou par en haut » '. La constatation que j'enfais est sans vaine ironie, d'abord parce que l'ironie n'est pas possible en ce moment, ensuite parce qu'en elle- même elle serait absurde. L'effort d'un nouveau Comité de salut public peut et doit réussir à l'heure qu'il est, en raison de l'admirable, de la prodigieuse 1. Voir Faites un roi sinon faites la paix de Marcel Sem- bat et les parties nouvelles de mon livre Kiel et Tanger (1915}. LES NOUVEAUX MINISTRES. 97 faveur des circonstances intérieures et extérieures dont il bénéficiera. Léon Daudet vient de vous énu- mérer les plus saisissantes' : au travail de l'Élat- Major, au canon de 75, à la renaissance et aux pro- grès de l'armée russe, s'est hcureusemeut ajouté le précieux accès de démence bien germanique dont Guillaume et son peuple viennent d'être saisis, au point de conjurer l'univers contre leur empire, ensuite le sursaut merveilleux de l'esprit et du sang français. (Quatorze ou quinze hommes associés par le danger, scellés étroitement l'un à l'autre par la présence de l'ennemi, peuvent parfaitement suffire, en ce cas donné, à sauver la France. A elle seule la nécessité souveraine leurimpose tous les équivalents, d'une foi, d'une loi, d'un roi : ils peuvent trouver dans l'idée de la revanche, ou dans celle de la résis- tance, ou dans l'idée plus simple encore de« durer », tous les éléments de concorde et d'unité indispen- sables à l'emploi discipliné de leurs forces. Ces hommes politiques seront alors dans les mêmes con- ditions morales que notre État-Major hvré à lui- même, sans chef réel, pendant quarante ans. Il pourrait leur manquer le soutien, l'adjuvant des habitudes de la hiérarchie militaire; en échange, ils auront cet incomparable mot d'ordre : « devant l'ennemi ! » L'OPINION, L'ARMÉE, L'ÉTAT Le tout est de ne point permettre de gâter les excellentes dispositions du pays par les réactions 1. Article intitulé : Tenir bon. 98 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. indiscrètes d'un esprit public trop mouvant. Le pro- blème à résoudre est de laisser à l'opinion toutes ses forces d'adhésion et d'enthousiasme en s'efTor- çant d'apaiser, d'anesthésier, d'fn)20/'/»'ses prurits de critique et de jugement. Non qu'il soit mauvais de juger. Non que le silence de la critique soit appro- bation aveugle de tout ce qui est tenté ou fait. Mais pour juger, il faut connaître, et il est trop clair que les connaissances, les renseignements manqueront au public et devront lui manquer. Comment public ou publicistes portoraienl-ilB, dès lors, un jugepient utile? Sans doute il existe un homme précieux, M. Cle- menceau qui, dans ses articles « patriotiques », comme dit le Temps, lance dans la circulation le bon et le mauvais, l'utile et le nuisible sans plus de réflexion qu'un enfant de six mois et qui se taille là-dedans une réputation d'impartialité, peut-être même de justice. Un tel homme est bien agréable! Il attroupe les gens pour donner des nouvelles ou distribuer des prix et des verges, rengainant ceci aujourd'hui pour le tirer demain et donnant de toute façon pâture aux nerfs, à la badauderie, à la malignité, à la duperie. Et de bons patriotes lui apportent déjà les éléments de la popularité qu'il tournera contre eux.... Attendez seulement la note des dégâts de ce touche-à-tout, elle ne viendra que trop tôt ! En supposant qu'elle soit courte, ce qui met les choses au mieux, on verra toujours se cons- tituer, grâce à M. Clemenceau et, il l'espère, autour de lui, un pouvoir d'opinion, lequel si, par malheur, l'étoile de nos armes venait à pâlir quelques heures, LES NOUVEAUX MINISTRES. '.l'.t pourrait donner bientôt nu pouvoir politicjuc niiisi cprau pouvoir militaire, un fil assez rude à retordre. Ce prolecleur saura abafire. Et celui qui se fait applaudir en accordant l'éloge à d'admirables chefs militaires, se donnera alors les gants de les critiquer: avec quelle Apreté venimeuse, avec quelle folie rageuse, il suffit de se souvenir du Clemenceau d'hier pour concevoir celui de demain! Le point noir est là. Et il n'est que là. Au nom de la France, évitons par-dessus tout les pressions sur le gouvernement d'une opinion extérieure au gou- vernement, afin que ce gouvernement ne soit pas entraîné à exercer même pression sur l'autorité militaire. Que l'Armée soit laissée purement auto- nome par un gouvernement lui-même respecté dans tout son libre jeu. Il faut le défendre de toute in- fluence de l'opinion. Étant, de sa nature, ignorante, passionnée et frivole, l'opinion est capable de pro- voquer tous les malheurs. Veut-on un exemple terrible? Au 9 août 1870, comme au 2() août 191 i, c'est-à-dire dans les deux cas le 25^ jour de la guerre (je dois l'idée de ce synchronisme à notre admirable secrétaire de rédac- tion, ancien lieutenant de voltigeurs à Saint-Privat, le commandant Biot) il y eut aussi une crise mi- nistérielle. Crise heureuse, car le cabinet qui suc- céda au cabinet Ollivier, s'il ne dura que trois semaines et demie, fit une telle besogne d'organisa- tion, d'approvisionnement et de recrutement que le régime de Gambetla n'eut plus qu'à gaspiller les heureux éléments ainsi réunis sans môme parvenir à les épuiser. On trouvera, dans le beau livre Gam- 100 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. betta et la défense nationale de noire ami Dutrait- Crozon le détail du labeur militaire technique accu- mulé par ce ministère de vingt-quatre jours. Le grand effort réussi par le ministère Palikao ne témoignait pas d'aptitudes médiocres, il promettait à la patrie, sinon la victoire complète, au moins une résistance efficace et une paix digne de nous. Qu'est- ce qui perdit cet effort et brisa l'avenir de ce pouvoir actif, sérieux, (;ompétent? Peu de chose. Un élé- ment purement psychologique et moral : la peur de l'opinion, des violences de l'opinion, dans un régime né de l'opinion et asservi à l'opinion en sa qualité parlementaire et plébiscitaire, cet élément qui décida l'envoi du maréchal de Mac Mahon le plus loin pos- sible de Paris, dont on craignait les mouvements révolutionnaires, dans cette direction de Metz qui le conduisit à Sedan! Le gouvernement ne pourra laisser à l'armée la liberté dont elle a besoin qu'à la condition d'être lui-même libéré des murmures et des censures de l'opinion. La défense nationale exige l'entière liberté du pouvoir politique. Le silence imposé aux politi- ciens comme aux nouvellistes est devenu la condition du salut public. « L'APPEL .. DU GOUVERNEMENT 20 août lill i. Même en vacances parlementaires, riiabitude du régime parlementaire exigeait un morceau d'élo- (juence. Celui-ci est venu. Il est bon. Il est ferme. Retenons au passage un mot qui sonne toutes les réalités constitutives d'un peuple résolu à ne pas périr: « Gloire aux vivants et aux morts. Les hommes tombent. La Nation continue ». C'est ainsi qu'il eût toujours fallu concevoir, en paix comme en guerre, la durée de la France. Elle tient, pendant que les Français successifs se remplacent. Si les individus succombent, la race alimentée de leur sacrifice re- fleurira sur leurs tombeaux. Cette floraison généreuse doit continuer à côté des fosses qui se creusent. Les ministres ont raison d'oxhorter à ce que « la vie nationale » « ne soit pas suspendue ». Mais ils ont bien senti que cette vie économique et industrielle avait besoin de paix inté- rieure. Leur parole conciliatrice « Oublions tout ce qui n'est pas la patrie » sera la bienvenue. Bien- venue, la fière réponse que la « France n'est pas la proie facile que s'est imaginée l'insolence de l'en- nemi ». Quel malheur que, pour affirmer cette vérité avec certitude, il ait fallu ce « devoir tragique »! Sans une brusque simplification du paysage intellectuel et moral, sans cet « ouragan de fer et de feu », « le plus formidable qui ait été déchaîné sur un 102 LA FRANGE SE SAUVE ELLE-MÊME. peuple », sans ce fléau céleste activé par une énergie infernale qui dissipe les arrière-pensées diviseuses et qui devrait les anéantir jusque dans leurs germes, en un mot, sans la chute des toits de l'Europe et du monde, étions-nous donc condamnés à nous laisser pourrir pour un nouveau siècle par ces guerres plus que civiles qui mettaient notre nationalité en char- LE MANIFESTE SOCIALISTE Le manifeste des socialistes s'inspire naturellement des préoccupations de leur parti. On a agi comme si l'on avait eu besoin d'eux. Ils eu prennent acte. Le concours de tous était nécessaire, mais, assurent- ils, « plus particulièrement peut-être » le concours « de ceux qui redoutent pour l'émancipation proléta- a rienne et humaine l'oppression accablante du des- « potisme ■» et ils rappellent qu'à toutes les heures graves, en 1795 comme en 1870, c'était « en ces « socialistes, en ces révolutionnaires que la nation « mettait sa confiance ». Les verbes sont mis judicieusement au passé, car il ne semble pas que le crédit public se soit particu- lièrement tourné, depuis la guerre, du côté de ceux qui, durant vingt ans, ont fait une politique sans cesse contredite et en fin de compte démentie aussi catégoriquement que possible par le cours des événe- ments! Dès la faillite du pacifisme et du germa- nisme, les Français ont donné leur confiance aux pouvoirs publics, quels qu'ils fussent, dans la mesure où ils se montraient les bons serviteurs de l'armée, mise elle-même au service de la Patrie. . l.'ÂI'l'KI. . DU r.OrVKHNEMKXT. 10.1 Los socialistes promettent (pie leurs deux mandu- tairos au gouvernenjent : 1" vérifieront les ressource?* d'équipements, d'approvisionnements; 'i" s'elïbrce- ront de les multiplier. Nous souhaitons à l'action comme au contrôle do MM. Guesde et Sembat toute la fécondité désirable. Depuis rouvcrturc des hostilités, le journal où j'ai l'honneur d'écrire ne cesse de répéter le double conseil : « N'essayons pas de savoir ce que nous ne pouvojis savoir, ce (ju'il vaut mieux ne pas savoir, ce qu'il est salubre, hygiénique, patriote de vouloir ignorer et, là, faisons comme si nous avions con- fiance; mais à côté du champ interdit par les inté- rêts do la vie nationale, il est d'autres domaines où s'impose la chasse aux fables et aux erreurs; pui>;- qu'il est possible d'y voir, ouvrons les yeux là- dessus, faisons affluer les lumières, ne nous laissons berner d'aucune blagologie. » VÉRITÉS DE SALUT En particulier, nous avons fait ce qui dépendait de nous, Léon Daudet, Bainville, Pujo, Lasserre, moi, pour dissiper la ridicule nuée : c'est une guerre d'officiers; pour exterminer la sotte illusion que les rois, princes, comtes, barons et hobereaux de l'em- pire allemand ou du royaume de Prusse seraient nos seuls vrais ennemis; pour faire justice du pré- jugé révolutionnaire qu'il y a peut-être un ami inconnu du peuple français dans le peuple allemand. Le goût naturel de la vérité nous guidait et aussi cette conviction qu'une vérité générale de cet ordre est de la plus haute utilité publique, car elle peut 104 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. nous épargner bien des duperies pleines de péril! Au bout de quelques jours, un auxiliaire imprévu mais sans prix nous est venu dans la personne des réfu- giés alsaciens-lorrains. Eux, peuvent dire : « Nous connaissons l'Allemand. ». Ils l'ont vu 40 ans à l'œuvre et, de ce chef, leur autorité est sans réplique. Mainteneurs énergiques de la cause française en pays annexé, quel service vous venez de lui rendre à Paris! — Ce sont des rois et des empereurs qui nous font la guerre. — Non pas, c'est tout un peuple, toute une race, répondent-ils. Voilà ce qu'a indiqué M. Blumenthal. Voilà ce qu'a fermement établi M. l'abbé Wetterlé, avec une netteté qui n'a pas craint de paraître trop crue. L'Allemagne, dit M. l'abbé Wetterlé S a voulu la guerre : l'Allemagne en corps. Le pangermanisme, qui ne reconnaît de valeur aux peuples que « dans la mesure où du sang allemand coule dans leurs veines », le pangermanisme qui « traite en esclaves tous ceux qui ne descendent pas des blonds Ger- mains », ce pangermanisme « a fini par s'infiltrer dans les masses populaires ». Le civis germaniis sum est aussi orgueilleux et aussi excessif, dit M. l'abbé Wetterlé, que l'antique civis romanus... (Encore la cité romaine avait-elle délégué son droit à toutes les races et à toutes les villes de l'univers. M. l'abbé Wetterlé n'a pas vu d'Allemands pratiquer le parcere subjectis du Romain). 1. Écho de Paris du 22 août. — Opinion du 29 août. - L'APPEL - DU GOUVERNEMENT. 105 11 écrit : « La guerre acluclle est donc et elle devait ôtre Irrs populaire en Allemagne ». La nation allemande l'a tenue pour « inévitable », elle a consenti tous les sacrifices pour en assurer le succès. « Trois fois le Reiclistag fut dissous parce qu'il se refusait à voter les crédits militaires, trois fois le peuple allemand renvoya au Parlement des majorités plus complaisantes. » Guillaume II hési- tait à risquer dans l'aventure l'avenir de sa dynastie : il a été traité de poltron. De 1905 à 1914, toujours « cette pression » belliqueuse « s'exerçait par en bas ». Par en bas, il faut entendre, au sens des hiérarchies prussiennes, « le corps enseignant », « l'industrie », « le commerce » et, naturellement, le peuple, toujours! « L'Allemagne populaire attendait donc, elle voulait la guerre. » « Elle eût été déçue » si l'échéance en avait été éloignée! Pour l'Allemagne officielle, elle guettait impa- tiemment l'heure où sa préparation serait achevée. Elle était à bout d'effort financier. La situation diplomatique créait bien dans les plus hautes sphères de l'État, jusque chez l'em.pereur, des « hésitations ». Mais quoi! « l'Allemagne des professeurs, des indus- triels, des commerçants et aussi l'Allemagne popu- laire, surexcitée par une longue et savante agitation (celle des pangermanistes), voulait la guerre et la voulait immédiatement ». C'est ce qui donne à cette guerre, dit M. l'abbé Wetterlé, « son caractère sans merci ». « Le vaincu devra disparaître ». Il sera, en effet, le vaincu d'un peuple, vaincu en tant que peuple et que race, en tant qu'échantillon d'un sang, d'une civilisation, d'une histoire.... 406 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Non plus que nous, M. l'abbé Wclterlé n'hésile pas. Entre la « vieille civilisation latine et cette civi- lisation artificielle et de pure surface qui dissimule mal la barbarie germanique », le sort des armes, le jeu des forces en conflit ne peuvent hésiter non plus! C'est à nous qu'est dû l'avenir. Il nous sera d'autant mieux dû que nous posséderons une notion plus claire de la véritable nature de notre ennemi : ses idées, ses sentiments, ses volontés définissent, dans une cer- taine mesure, les nôtres; du moment qu'on se bat, son destin, en un certain sens, détermine notre destin. L'erreur sur un pareil sujet serait notre perle. Mais la vérité sauvera. DICTATURE? Plusieurs de nos confrères avaient d'abord suivi l'habitude gauloise de faire chorus avec quiconque parle contre les chefs : ils donnaient partiellement raison à M. Clemenceau. Les voilà qui s'arrêtent à la vue du chemin où les engageait le meneur radical. Quel chemin ? Tout bonnement celui d'une popula- rité à créer par l'indiscrétion continue et par l'exploitation du mécontentement. Une fois popu- laire, en des temps agités, à quelle dictature ne peut-on prétendre ? Nos confrères ont paru sentir que la dictature de l'incohérence en 1914 n'aurait pas de meilleurs effets que la dictature de l'inca- pacité en 1870-1871. Décidément ils n'en veulent pas. Des articles comme ceux de M. Clemenceau, s'écrie M. Ernest Gaubert {Aclion, Paris-Midi), « inquiètent l'opinion « L'APPEL .. DU (iOUVKHNEMKM, 1(»7 forlemenl.... Us ne sauraient avoir que deux conclu- sions : ftlre écoulés et obéis ou être 8upf)rimés,... S'il a raison, qu'on l'écoute. S'il a tort, qu'il observe le silence comme nous tous. « C'est la sagesse UK^me. Conseil de guerre ou Conseil des ministres! M. Gaubert conclut : Au nom de la Patrie, que M. Clemenceau et le gou- vernement se mettent d'accord ! Il le faut. L'opinion est suffisamment inquiète. Il faut qu'elle ait confiance dans ses chefs! Attendons le nouveau ministère à l'œuvre ! M. Clemenceau a dit qu'il avait confiance dans le généralissime. Attendons ! Sachons attendre. Je sais bi'cn que cela est difficile, mais que les anciens nous donnent l'exemple. « Si un autre journaliste que M. Clemenceau, dit encore M. Gaubert, avait révélé le quart de ce qu'il a révélé, on eût saisi le journal' ». D'autre part, M. Bailby constate que M. Clemen- ceau ne craint pas de troubler le public en manifes- tant des craintes qui ne sont pas justifiées. Le directeur de V Intransigeant s'étonne « qu'un homme comme M. Clemenceau, qui est souvent bien ren- 1. Parlant de la lettre qui lui avait valu son commentaire, M. Gaubert disait le lendemain : • Le plus triste commentaire est celui-ci • hier, j'ai vu deux mobilisés en venir aux mains, dans le train de midi, sur la ligne Luxembourg-Limours, à propos des articles de M. Clemenceau et de ses critiques. Ce petit fait peinera cer- tainement le patriote qu'est M. Clemenceau ». <■ Dans Y Auto, M. Desgrange qui en développant la pratiriue des sports en France, nous a donné plus de deux corps d'armée, écrit au directeur de Vllomme libre : Vous faites de la mauvaise besogne, en un article simple, de bon sens et de raison. ■■ 108 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. seigné », ait pu lancer certaines erreurs pernicieuses. Eh! cela n'est pas étonnant! Nos mots d'erreur et de vérité, d'utilité publique ou de nocuité n'ont pas de sens pour M. Clemenceau. Ce qu'il connaît, c'est son caprice, plus exactement son prurit de parole et d'agitation. Il n'y a rien à faire contre ce proces- sus physiologique. Je lui ai prêté un dessein, parce que, de l'ensemble de ses démangeaisons profondes et de ses velléités superficielles, il se dégage quelque chose qui a pour eftet de mettre M. Clemenceau en avant et que l'on a le droit d'appeler une brigue ou une ambition. Mais peut-être qu'il ne s'est même pas fixé une visée aussi précise. Il parle, il écrit, il se remue, remue les autres uniquement parce qu'il est incapable de se tenir. Cette vieillesse incontinente serait bouffonne en d'autres temps. Mais du moment qu'elle intervient au premier plan sur la scène où se joue la vie de la France, le démolisseur décrépit apparaît dans une lumière tragique. On se dit alors que M. Clemenceau est entré dans la vie politique active comme maire de Montmartre en 1871, et qu'il en est sorti comme premier ministre par les champs de Narbonne et de Villeneuve- Saint- Georges. Fusilleurde généraux, fusilleurdu peuple, ce seraient là pour lui deux bonnes raisons de se tenir coi. POUR « TENIR » D'autres que lui se taisent. D'autres que lui acceptentles nécessités de la défense de la patrie, qui n'ont pas ses raisons de pudeur et de silence. Avons- .. LAPPPIX •• DU GOUVERNEMENT. 109 nous réclamé parce que M. Cocliin ou M. de Mun ne sont pas entrés au ministère de l'unification natio- nale? Jetons-nous les hauts cris pour la composi- tion, assez étrange, du cabinet ministériel de Marcel Sembat qui compte au moins trois juifs et un pro- testant sur six membres? Cependant nous avons connu M. Gustave Kahn poète aussi détestable que somptueux et M. Léon lilum critique littéraire médiocre et passablement pillard : ils feront peut-être des administrateurs supportables. Et, s'ils ne le sont pas, tant pis : il serait pire encore de perdre le temps de la France à les déloger. Ces piqûres d'épingles données par les circonstances à ce que nous avons de bon sens, d'esprit de justice ou d'intelligence peuvent être désagréables ; elles le sont certainement beaucoup moins que ne fut pour cet homme de guerre la nouvelle de la mort de son fils: il ne prit même pas le temps de s'en désoler : face à l'ennemi ! Faisons comme lui. TAchons de comprendre et de pratiquer son incomparable fermeté romaine. Au loin flambent Louvain, Malines, avec de merveilleuses reliques d'art. Plus près de nous, les campagnes de Flandre et d'Artois, les vallées de la Somme et de l'Oise sont violées par la botte prussienne. Nous n'avons pas le temps de songer aux objets secondaires. Les plus grands seuls auront la vertu de nous occuper. Or, le plus grand de tous est cette paix publique, condition première de la Défense heureuse. Tout ce qui la trouble est maudit. — Mais ce ministre ne me plaît pas. — Ni à moi. — Mais il a galïé tout un septennat. — Ces galles 110 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. septénaires lui ont peut-être appris son métier. — Il la appris à nos dépens. — Aussi a-t-il sans doute fini par le savoir : n'est-ce pas l'occasion ou jamais de rentrer dans tous nos débours? Voilà ce que se disent tous les bons citoyens. Voilà ce que M. Clemenceau ne peut pas se dire. II ne peut pas dialoî^uer avec lui-même. Un interlocu- teur lui manque : la Raison. Il est tout entier dans chacun des réflexes qui défilent à la débandade de ses pauvres nerfs. Mais gare aux nerfs de la nation ! Gare aux nerfs de la population parisienne ! Ce mal est de ceux qui se prennent. Le gouvernement serait sage de surveiller ça*. 1. Il fallut de nouvelles incartades pour que le Gouverne- ment suspendît enfin cet Homme libre, qui ressuscita à Bor- deaux en Homme insuffisamment enchaîné. LA MEMOIRE DE PIE X ".I aoùl 1914. La réunion du Conclave qui a lieu ce malin va mettre fin h l'interrègne pontifical. Ce sera, disent les uns, par lV*Icclion de Léon XIV. Par l'élection de Pie XI assurent les autres. Exercices futiles qui altèrent, selon moi, l'essence des choses, car la série des papes, les deux derniers compris, me Irappe beaucoup plus par leur ressemblance que par leur contraste, par l'unité de la conduite que par la diversité des personnes. Mais ce n'est pas manquer de respect au succes- seur de Pie X ni à aucun de ses prédécesseurs, ni aux soixante-cinq augustes Princes de l'Église qui prendront part à cette élection que d'essayer d'ex- primer, en quelques paroles, ce que le siècle semble avoir perdu à jamais au terme de ce pontificat de onze ans. Les institutions historiques ont le beau caractère de disposer d'une sorte de fixité éternelle. Mais les hommes ont cet intérêt pathétique de dis- paraître en peu d'années. Ceux qui ont médité sur la personne humaine du Pape défunt peuvent se de- mander aujourd'hui si l'on reverra un autre Pie X. Tout ce qui fut écrit de lui et que beaucoup d'en- tre nous, môme peu fervents catholiques, même incroyants, ont lu et relu avec une avidité curieuse, tout ce qui a été raconté de celte grande âme émeut par la puissance et par la plénitude. Après lui avoir reconnu des dons magnifiques, il n'était pas possible 112 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. de le surprendre en état de médiocrité par ailleurs. Ni la hauteur, ni l'étendue de l'intelligence ni la forte pénétration du regard dont il a donné tant de signes n'épuisent cette image de Docteur qui fut aussi un Chef et un Père. Sa miséricordieuse bonté ne l'inclinait pas seu:lement à aimer les hom- mes; il cultiva toutes les nobles amours qui donnent du prix à la vie, le goût des belles choses, une pas- sion céleste pour toutes les formes de l'harmonie, qu'elles fussent logiques ou musicales, issues de la science ou de la poésie. Cette extrême vigueur à laquelle le saint monarque d'un royaume spirituel porta l'exercice de son autorité vient peut-être en partie d'une puissante conviction de la bienfaisance de l'Ordre, comme de sa beauté parfaite, quand il est conforme à une vérité stricte et pure. De là, la paix sereine et splendide du visage sévère et doux. De là aussi, le charme et le demi-sourire qui, au témoi- gnage de bons biographes, errait volontiers sur ses traits. On cite de lui des paroles qui sont de l'esprit le plus vif, des ironies qui sont terribles, et puis des mots de compassion découvrant le cœur le plus tendre : facile, prompt, ardent à toutes les communes émotions de l'humanité. J'ai cru longtemps que la respectueuse admiration que Pie X avait inspirée était née du caractère de dé- cision et de prévoyance imposé à sa politique. Mais non. Ce qui nous a conquis d'abord, ce fut sa parole, son accent profond, son mouvement rapide, son revêtement dépouillé de ce qui n'est pas l'essentiel. Il n'y avait rien de plus simple et, cependant, dès les premières lettres ou discours publiés, rien de plus LA MKMOllŒ \^E l'IK \. 11' grand, rien qui allAt plus vile au IoikI des choses, des silualious et, autant qu'il était possible d'en juger, au fond des hommes mêmes. Au milieu des outrages, (pKîlquefois au milieu des ruines, il par- lait, et (ont ce qui n'était pas de lui s'évanouissait, ("e vieillard austère et sans pompe, non pas même de style, qui portait le dédain de l'ornement pour l'ornement au delà de tout ce que les orateurs atti- ques ou les moines d'Occident purent le tenter, tenait les esprits attentifs et l'attention saisie, impo- sait la docilité, je dis peu, l'enthousiaste volonté de l'obéissance etdu sacrifice. Peu d'êtres dans l'histoire ont autant demandé aux hommes : à qui a-t-il été répondu avec plus de profusion dans l'amour? Les plus petits enfants mêlèrent leurs voix à ce chœur. L'analyse des magnificences du règne, le souve- nir des hautes émotions qu'elles provoquèrent m'en- traînent, on le voit, jusqu'au seuil des choses sacrées. Mais on y est traîné par quekjue chemin qu'on aborde cette mémoire : la charité vivace, la foi éloquente et lucide, la dialectique de feu y mène- raient aussi les sceptiques et les mécréants. Une seule pensée possédait ce génie, cette sainteté, celte autorité; manifestement, avec une évidence solaire, elle rayonnait de tous les actes de sa vie. Quiconque l'approcha, ne fût-ce qu'en pensée, pour peu que cette pensée fût sérieuse et forte, s'est senti conduit à méditer, malgré toute objection, le dogme essen- liel de l'Église, par la force, par la hauteur, par la gravité du témoignage de ce témoin. A son dernier jour, il ne lui manquait que d'avoir offert sa vie en gage de la parole qu'il annonçait. Mais le suprême 8 114 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. honneur ne put lui faire défaut. En se brisant à la nouvelle de la guerre et, à la lettre, en succombant sous la pensée du carnage universel dont un souve- rain qu'il tenait pour son fils avait donné le signal, Pie X semble avoir mis le sceau du sublime aux vertus assemblées autour de son nom. Il les a couron- nées d'un véritable martyre pour cette paix que, seule, il a voulu bénir. Ainsi sa mémoire sainte reste liée à tout ce que l'Europe livrée aux flammes peut receler encore de bon et de beau. ...Revivra-t-il? L'esprit sacré qui l'anima et le transporta va-t-il ressusciter et devenir visible au bout de peu de jours ou d'heures, dans Télu qui succédera? La réponse des croyants est toute prête. Aux autres il sera permis d'exprimer ce qu'ils voient. Un observateur désintéressé ne fait pas de difficulté d'accorder que, si le catholicisme subit devant nous des assauts cruels, les princes et les chefs de ses prêtres forment de nos jours une élite digne des plus beaux âges de l'Église : pour ne prendre que la Belgique, c'est son philosophe le plus éminent et son penseur le plus complet qui occupe le siège primatial et qui porte la pourpre. Un collège de tels électeurs et qui ne prétend pas créer l'autorité, mais la démêler et la saluer dans son dépositaire inconnu encore, autorise toutes les espérances catholiques et mérite d'avance la vénération du reste de l'uni- SEPTEMBRE 1914 LIBÉRALISME ET BARBARIE •1°"^ septembre 1914. Le mauvais langage est la source des confusions, les confusions entre hommes qui usent de la môme langue mènent directement aux coups. Dans l'acuité des préoccupations militaires, nous ne nous excuse- rons pas de soulever une discussion de mots; car, au contraire, nous nous en ferons honneur. Des mots bien choisis dépend la pensée bien comprise. Tous les hommes de guerre savent qu'un « ordre » rédigé en termes impropres peut amener des cata- clysmes, et de grandes victoires sont quelquefois sorties d'ordres conçus en termes justes, précis et nets. Et maintenant voici le fait : L'industriel bien connu, M. Ernest Solvay, su- jet belge, a été taxé de trente millions par les barbares qui ont envahi la Belgique. On rappelle de divers côtés qu'il fut socialiste convaincu ou philan- thrope mihtant, et les Débats retiennent cette parole prononcée par lui à l'inauguration de la * Maison d'éducation » de Bruxelles, le 21 décembre dernier : Le règne de la liberté s'achève, le règne du déter- miné s'y substitue comme par un mouvement de bascule. M. Solvay, en parlant si mal, pensait peu. Qu'est- ce que le mouvement de bascule entre deux règnes, IIG LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. l'un caractérisé par la liberté, l'autre par le déter- miné? De quelle lune tombe cette substitution inouïe? Il n'y a donc plus d'actes libres. Ou les actes déterminés sont-ils nés d'hier? Pur jargon, pure ferblanterie labiale.... Mais les Débats, prenant au mot M. Solvay, par- viennent à l'égaler. Il leur suffit de se placer à l'opposite de son erreur : « Cette volte-face contre le libéralisme fut alors très remarquée », disent-ils. Notons qu'il y avait de quoi. Si M. Solvay se fût borné à dire qu'il n'était plus libéral, que le libéralisme s'était montré infé- rieur à ses promesses en économie comme en poli- tique, il n'y aurait rien eu à lui dire que les formules de l'approbation et de l'éloge. Il eût ajouté : « Sortons du libéralisme et mettons-nous courageusement à l'organisation », nous n'aurions pas manqué d'ap- plaudir des vues aussi conformes aux réalités natio- nales, européennes et planétaires. La menace alle- mande suffisait à légitimer cette mise en défense du monde civilisé. Mais, justement, les Débats font grief à M. Solvay de l'âme de vérité contenue dans sa formule blagologique, ils écrivent : M. Solvay se doutait-il que le déterminisme dont il annonçait la venue se confondrait avec le retour à la barbarie? Qu'est-ce à dire? Si l'on eût pratiqué ce qu'il y avait de juste dans la pensée de M. Solvay, on eût — en France et en Belgique — donné aux préoccupations (l'organisation nationale, aux soucis de l'ordre mili- taire, le pas sur ces querelles des partis parlemen- IJIU'IUI.ISMK KT BAIUÎAUIE. 117 laircs inhérenlcs î\ nos coiislilulions libérales; l'arméo française, l'armée belge auraient été plus fortes encore qu'elles ne sont, et nous aurions pos- sédé beaucoup plus de chances d'arrêter plus vite et plus complètement l'inondation germanique; le succès des barbares aurait diminué dans la môme mesure. C'est le libéralisme, par sa faiblesse propre, par le pacifisme qu'il détermine et môme provoque, qui est le premier complice et le premier facteur du « retour h la barbarie » dont se plaint le Journal des Drbats; il suffit, pour le voir, de remettre en lan- gage net le fâcheux amphigouri de M. Solvay. Plus une civilisation a de prix, plus il est sage de la soumettre aux conditions de l'ordre et de la cuirasser contre les assauts de l'étranger. Or, le libéralisme est le complice naturel de l'ennemi inté- rieur et de l'ennemi du dehors. Il favorise l'anar- chisme et le désarmement. Les Barbares n'ont pas d'allié plus sûr. LA PRESSION ORIENTALE GAGE DE LA VICTOIRE 2 septembre 1914. De Bâle, d'Anvers, de Copenhague, au Daily Mail, d'Anvers encore au Petit Parisien, arrivent des dépèches annonçant que les effets de la pression russe sur les provinces de la Prusse orientale com- mencent à se faire sentir sur l'armée qui nous envahit. Il est fort question de 160 trains ramenant tout un corps d'armée et traversant la Belgique du Sud-Ouest au Nord-Est; l'organe du parti socialiste allemand, le Vorwaerts, aurait signalé que l'on « fait rentrer des troupes en quantité » ; la région de Courtrai, la province d'Anvers, une partie du Limbourg seraient dégagées. Ces bonnes nouvelles n'ont encore rien d'officiel, on ne les admet que sous bénéfice d'inventaire; mais leur conformité à l'esprit de cette guerre ne peut faire de doute. Jamais occasion de revanche ne s'est présentée à un peuple dans des circonstances plus favorables ni plus brillantes. Jacques Bainville a expliqué ici plusieurs fois comment l'intervention anglaise et surtout l'offensive russe furent de tout temps le cauchemar du fondateur de la nouvelle unité alle- mande : c'est ce qui arrêta Bismarck dans sa tenta- tive de 1875. Bismarck savait l'histoire. Mieux encore que de la comprendre, il la sentait. Les derniers historiens de la Révolution ont mis en lumière depuis vingt ans l'importance de la près- LA PRESSION ORIENTALE GAGE DE VICTOim:. ! 10 sion orienlalo dans les victoires de la Législative et de la Convention. Le fait avait été longtemps ignoré ou négligé de leurs prédécesseurs. Albert Sorcl a fait là-dessus la lumière. En 1702, 1795, 1794, ce néUiit certes pas l'alliance russe qui opérait, mais pratiquement c'est dans le même sens et pour le même résultat que militèrent les aflaires de Pologne, d'abord par la rivalité des cabinets de Vienne, de Pétersbourg et de Berlin, ensuite par les insuneclions ou mouvements divers qu'y suscitèrent les partages successifs et la dure oppresion qu'ils tléterminaient. Ceux qui voudront feuilleter rapide- ment l'Europe et la Révolution française loucheront du doigt ce que Sorel appelle « une liaison qui forme toute la trame de cette histoire ». Les actions et les réactions exercées sur les campagnes de la France par les affaires de Pologne et vice versa « ont déterminé tous les mouvements de l'Europe pendant la Révolution française. » Cet imbroglio polonais suivi de près, selon les alternatives de réveil et de la torpeur, rend compte en très grande partie de quelques-unes des premières victoires révolutionnaires et, en partie, du mys- tère de Valmy. En avant de Yalmy, on voit déjà les progrès de Catherine II en Pologne inquiéter à la ibis Autrichiens et Prussiens et « suspendre » ou retarder « leur mouvement » ; la canonnade et la « démonstration » appuyèrent de raisons nouvelles les dispositions des Prussiens à la diplomatie et à la retraite. Même phénomène en avant de Jemmapes qui est du 6 novembre 1792 : dès la fin octobre, la Prusse « ne considérait que la Pologne », nous no LA FKANXE SE SAU\E ELLE-MEME. n'avions plus affaire qu'aux Autrichiens': Cela était si vrai que tous les diplomates révolutionnaires en eurent l'esprit frappé, exception faite pour Robes- pierre qui vécut et mourut fermé aux ré ilités. Les concordances se poursuivent : la Pologne une fois partagée, l'offensive de la coalition devient plus vigoureuse, nos armées traversent de nouvelles périodes de détresse, Neerwinden est loin de sau- ver la situation, Dumouriez ose trahir, il évacue la Belgique.... Il était facile de marcher sur Paris; on ;t Autrichiens se les Prussiens se refusent à toute action sérieuse « avant que les affaires de Pologne fussent réglées », le peuple polonais s'avise de dire son mot dans ses affaires, les agitations de la diète de Growno retiennent tout à fait l'attention des souverains, le roi de la Prusse n'y tient plus : en mai 1795, on parlait couramment de donner à l'Autriche la Belgique et la France jusqu'à la Somme et, le 29 septembre, Frédéric- Guillaume quitte nos frontières, court à Berlin pour « ramener les Polonais « aux termes du traité de partage : nous étions à deux doigts de la ruine au mois d'août et, dès le 16 octobre, nous nous déli- vrions des Autrichiens à Wattignie ! Toute la fin de l'année est pleine des victoires depuis Toulon jusqu'au lignes de Wissembourg. Veut-on vérifier sur l'année suivante la splendide efficacité de la pression orientale? Sorel établit que « l'option s'impose » entre les campagnes de France et les affaires de Pologne. L'insurrection polonaise reprise en décembre et qui dure jusqu'en avril 1794, I.A PHKSSION 0IUI:NTALK (iAOK DI- VICTOIRE. 121 n'ayant cessé d'accaparer les meilleures forces de la coalition, semble retentir en juin aux ciiamps de l^'leurus (juand Tempereur d'Autriche et le roi de Prusse étaient d'accord pour estimer que le « véri- table théAtre des opérations «était en Pologne! Dès lors, la paix se dessina des Alpes au Rhin. Il serait inutile de prolonger la démonstration. Elle est irréfutable pour les trois premières années où nos moyens d'action militaires n'étaient pas encore trempés par l'expérience. Et cette preuve fonde pour nous la plus sûre des espérances. La Législative et la Convention n'étaient appuyées à l'Orient de l'Europe que par la discorde des con- quérants et la noble, la frémissante volonté de vivre du peuple dépecé. Il y a mieux aujourd'hui : la coopération n'est plus inconsciente, elle esl repré- sentée par les armées et les Etats. Ne seraient-ils pas entraînés et soutenus par leurs victoires, ne seraient-ils que menaçants, les Russes créeraient à la frontière prussienne un état de difficulté et d'angoisse autrement inquiétant pour Guillaume II que ne le furent pour Frédéric-Guil- laume les convulsions polonaises ou les intrigues austro-russes de ce temps là. Les jalousies et les convoitises du roi de Prusse suffirent à nous don- ner le concours décisif qui permit la défense et le salut de la nation. La pression orientale de 1914 obtiendra plus et mieux : elle dégagera nos fron- tières, elle permettra à notre armée de les balayer, elle assurera l'abaissement, le démembrement des Allemagnes, la liberté de l'Europe et de l'univers. LE DÉPART ET LA VICTOIRE 5 septembre 1914. Le gouvernement de la République quitte Paris devant la probabilité d'incursions allemandes dans les environs de la capitale. Un gouvernement, quel qu'il soit, ne peut délibé- rer, commander ni traiter qu'en possession de la plénitude de ses pouvoirs. Une des raisons qui nous ont de tout temps éloignés de la République, c'est que cette sorte de régime est insuffisamment libre, surtout par rapport à ses électeurs, à ses argentiers et aux colonies des étrangers de l'intérieur. Nous ne pouvons que l'approuver de vouloir du moins se soustraire à toute influence de l'Étranger du dehors, notre envahisseur. Le salut national était à ce prix. Comme l'explique la proclamation gouvernemen- tale, il tombe sous le sens que cette utile retraite signifie avant tout l'énergique résolution de résister jusqu'à la victoire. Charles VII avait reculé sa capi- tale jusqu'à Rourges. Le vieux Louis XIV, à la veille de Denain, parlait de renvoyer la cour sur la Loire, avant d'aller prendre en personne le commandement de ses dernières troupes. Ces épisodes de nos plus vieilles annales montrent que le centre de l'Étal fran- çais est établi sur un point excessivement rapproché des limites du territoire. Les progrès des moyens de communications ont réduit encore la distance de notre capitale aux frontières de l'Est et du Nord. Les chemins de fer, les télégraphes, l'automobi- i LE DKPART ET LA VICTOIRr-:. 123 lisme ayant ainsi diminué une sécurité qui déjà était fort précaire, une politique prévoyante aurait dû parer depuis longtemps à ce danger, soit en interdi- sant la formation de grandes unités nationales sur notre côté le plus découvert soit encore en nous arrondissant du côté du Rhin. Après les invasions de 18ii et de 1815 qui auraient dû servir de leçons, nous avons suivi une voie diamétralement opposée. VA\e nous a conduits à 1870 et, comme nous y avons [lersévéré, voici 1914 qui nous menace d'une qua- trième insulte aux franchises du sol parisien. Quatre invasions en un seul siècle, ce sej'ait beaucoup trop! Cette fois, l'ennemi en sera pour des menaces vaines. Nulle possibilité de succès ne lui est laissée, si nous tenons, si nous jurons, comme on l'a juré, de tenir et de durer, POUR LA DÉFENSE DE PARIS On le peut, on le doit. Parlant des précédents de notre résistance, j'ai évité, tous ces jours-ci, de me référer à ceux d'il y a quarante-trois ans, car des divisions lamentables, une révolution opérée devant l'ennemi, la scission en deux groupes rivaux du Gouvernement provisoire firent donner leur plein aux puissances de catastrophe. En septembre 1914, l'opposition se montre plus patriote que l'opposition de septembre 1870 et le gouvernement paraît bien plus sage que le gouvernement d'alors : quoique les dirigeables et les avions lui ouvrent le chemin de l'air, il prend le train quand il est temps, part tout entier, laissant Paris à une autorité militaire subor- donnée. 124 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MEME. Ce qu'il a d'unité étant sauvé, il lui sera possible de bénéficier des circonstances européennes qui sont, en somme, toutes pareilles à celles qui précé- dèrent de peu de mois en 179'2 les victoires de Valmy et de Jemmapes, en 1795 la victoire de Wattignies, en 1794 la victoire de Fleurus et la paix de Bâle. La pression orientale exercée par la Russie produira sur les champs de Belgique et de France exactement les mêmes effets que la pression orientale causée par les complications, brouilleries et insurrections de Pologne, Puissent les gouvernants républicains d'aujourd'hui s'inspirer du grand modèle de réalisme donné par les Conventionnels dans la conduite de la guerre et des affaires extérieures! Un verbiage gambettiste ne nous mènerait à rien.... Tout au com- mencement des grandes guerres de la première République, on croyait aussi pouvoir diriger les armées avec des discours et conduire les négocia- tions avec des principes métaphysiques. Mais les armées étaient battues. Et les négociateurs se cou- vraient de ridicule. L'expérience les corrigea peu à peu. Pour vaincre, ils se plièrent aux conditions de la victoire, dont la première est la discipline, l'orga- nisation, la préparation. Elles n'ont pas changé. Ceux de nos confrères républicains qui s'attardent encore aux trompeuses nuées qui nous valurent tant de mortelles faiblesses devraient, par pitié pour la France, sonder le vide extrême de toutes ces fictions. Nous mourons de ce qu'ils exaltent, l'anarchie libérale et parlementaire, la démocratie guerrière à l'intérieur, pacifiste au dehors. Nous sommes nés, nous avons grandi de u: i)i:i»AKT i:t i.a mctoii;!-;. 1-25 nolro aiicionno, joyeuse el ^énéieuse docililô aux principes conslitutifs des sociétés. Tout Téclat de noire civilisation repose sur ce fond solide. ( Vest sur le même premier fond que nos ennemis ont construit leur sombre el sotte Babel. Il est un point, un seul, par lequel rAUemagnc échappe à sa misérable con- dition de peuple barbare, et ce point qui fait sa force actuelle, qui établit sa suprématie militaire, c'est l'ordre, c'est la discipline, c'est l'autorité, c'est la tradition, et la continuité de son gouvernement. Par là, et par là seulement, ses qualités inférieures, ses dons médiocres furent orientés vers un succès si grand que le mondç a pensé lui être asservi'. Le monde échappera à cette servitude, cet ignoble succès va trouver son terme, mais les Français n'aboutiront au terme sacré qu'à la condition de comprendre, de voir ou du moins d'agir en confor- mité avec les lois naturelles des réussites humaines, ([u'elles soient militaires, qu'elles soient politiques. Nous ne réussirons à échapper au joug germain et à i. Le jour même où Y Action française ipuhUail ces réflexions à Paris, Vldca Nazionale de Rome donnait un très intellii,'ent article signé Antonio Pagano et qui s'élevait contre ceux (\u'\ avaient : 1° placé à Berlin la Mecque de la Pensée ita- lienne; 2° transféré à l'Allemagne le monopole du génie phi- losophique et de la profondeur de la pensée; 5" méconnu les trois grands facteurs de l'esprit latin (le catholicisme, le sentiment civique des petites républiques médiévales, l'humanisme de la Renaissance); 4° haï chez les Allemands co qim nons aurions dû reconnaître pour nôtre (le ferme État à la romaine, autoritaire avec mesure) et 5" admiré au contraire ce qui était spécifiquement allemand. Mais, ajou- tait Pagano, dans l'art de gouverner ou de combattre, il n'y a pas de méthode allemande ou non allemande. Il y a l'ordre on le désordre. (Voir sur le même article à la page 315). 126 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, recréer la plus grande France qu'à force d'esprit, de discipline, d'ordre, d'autorité, de tradition. La démo- cratie républicaine ne facilite pas l'observation spon- tanée de ces lois, elle les contrarie même très puis- samment; mais le gouvernement militaire et la sévère économie de l'état de siège ont déjà, sous la pression de l'ennemi, fait éclore quelques-unes de ces rares vertus. L'insigne honneur de la presse parisienne sera de les maintenir telles qu'elles apparaissent depuis un mois, hautes, graves, simples, calmes, paisibles, dignes en tout point du nom français. Cette presse mère de tant de maux peut aujourd'hui un bien immense : il lui suffira de travailler dans le sens d'un esprit public si beau et si pur, une censure exacte se chargeant d'exclure tout essai de critique, toute entreprise de murmure et toute tentative de récrimi- nation. Les soldats se battront tantôt loin de Paris, tantôt sous nos murailles : ceux d'entre nous qui ne pourront porteries armes avec euxles;soutiendront, les encourageront et applaudiront à leurs exploits. Le gouvernement sera libre de l'invasion, et l'armée de Paris, la ville de Paris, libérées aussi de tout souci politique, adonnées tout entières à leur libre défense, combattront, tiendront, durèrent autant qu'il le fau- dra : puis, quand le canon russe, le sabre russe, l'épée russe retentiront sur le pavé de la Germanie, les échos d'occident leur apporteront la rumeur du triomphe parallèle de nos armées ^ 1. Le même jour, M. Ernest Gaubert, dans Paris-Midi, rendait hommage notamment à la réserve des royalistes LE DÉPART ET LA VICTOIRR. 127 qui « pourraient trouver à glos(M' sur certaines mesures • «;l qui •- ne le font pas " : • L'Action franraise s'abstient de toute critique, par principe. Voilà le bon exemple. Il est bien évident que moi qui vais dans trois ministères, depuis un mois, plusieurs fois par jour, je pourrais posé au renseigné et au critique militaire. Tous mes confrères pourraient en faire autant! Ils ne le font pas, parce que chacun connait son devoir. S'il y a des détails qui nous choquent ou nous chagrinent, disons-nous que nous ne sommes pas bien sûrs de les comprendre, ni d'en saisir l'importance. Devant le résultat final, cela ne compte pas. Au contraire par des critiques bien intentionnées, mais inexactes, nous risquons de faire beaucoup de mal sans nous en rendre compte. Enfin, en ce moment, le Français qui parle de trahison est plus dange- reux que l'aviateur allemand lançant des bombes. - VIVE LA NATION ! l septembre 1014. Tout patriote parisien se fera un devoir et un honneur de souscrire à la proclamation du gouver- neur de Paris. Il s'agit de « défendre » Paris contre Tenvahisseur; de le défendre « jusqu'au bout ». C'est l'aspect parisien du problème posé par l'Allemagne à la France. Ni moyen terme, ni composition ne sont de mise. Ou renoncer à être, ou faire dispa- raître l'invasion et la cause de l'invasion. Sur l'invasion, tout le monde est d'accord. Sur sa cause, que l'on peut désigner par des noms très divers, l'union des esprits se fera au fur et à mesure que les faits mieux connus éclaireront d'un jour plus net l'orientation de l'Allemagne et du monde. On a beaucoup crié, le mois dernier, contre l'Allemagne impériale et royale, aristocratique et féodale : il a fallu déchanter lorsque tous ceux qui avaient vu les Allemands d'un peu près montrèrent à l'œuvre l'Al- lemagne populaire et universitaire. Pour l'Allemagne socialiste, elle vient de se pré- senter elle-même. Nous n'avons pas voulu faire allusion hier au voyage à Rome de M. Sudekum, député au Reisch- tag, ambassadeur de la social-démocratie alle- mande auprès des socialistes italiens pour les en- traîner dans Torbite de l'empereur et de l'impéria- . lisme allemand. Nous attendions que la nouvelle fût dabord confirmée par ceux qui avaient qualité pour ï VI \L' LA NATION. • 1'29 le l'aire. « Cevoy.age « a eu lieu », avoue V Humanité. Nous alleiulions aussi rappréciation. La voici, dé- coupée dans le même journal : « Nous avons le de- voir, sur un sujcl aussi grave et aussi douloureux pour les socialistes irréductiblement internationa- listes que nous sommes, de ne nous prononcer qu'a- vec la plus expresse réserve. Mais, etc.... » On vou- drait que le sujet grave et douloureux devint surtout inslructif. M. Sudekum s'est heurté, disent les dépêches ita- liennes, à lirrésislible opposition des socialistes ro- mains. En quoi, ceux-ci étaient absolument d'accord avec le sentiment national et rinlérèt national de toute rilalie; comme les socialistes français sont d'accord avec le sentiment national et l'intérêt na- tional de la France entière ; comme o le grand écri- vain socialiste anglais »,M. Wells, qui vient de donner aussi son avis sur la guerre, s'est trouvé tout à fait d'accord avec le sentiment national et l'intérêt natio- nal de son Angleterre. Si les socialistes y veulent réfléchir, le fait pourra paraître « grave » et même '« douloureux » pour leur doctrine qui élève la soli- darité sociale des classes au-dessus des liens natio- naux, car il est vrai que cette doctrine est détruite par les faits. Mais que peut donc leur importer une doctrine si elle est fausse? Reconnue telle par eux, elle cesse de leur appartenir, c'est une étrangère et une ennemie. Ils n'ont qu'à la quitter comme une défroque et prendre les couleurs nouvelles et splen- dides de la vérité retrouvée. Le changement s'impose. Caria persévérance dans l'erreur peut créer des mécomptes nouveaux. Je vois 9 150 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-iMËME. M. Wells qui s'excite contre le Kaiser et M. Krupp. Jacques Bainville lui a déjà péremptoirement ré- pondu par anlicipalion dans l'article qu'on vient de lire, écrit loin de Paris/. Il y a cent vingt-cinq ans, la France, pour venir à bout des « tyrans, des rois conjurés », dut recourir aux procédés et aux mé- thodes militaires de la monarchie qu'elle venait de renverser ; la France dut abdiquer les méthodes ora- toires et libérales de la Constituante, qu'elle avait tant pratiquées et applaudies, pour se ranger au réalisme, à l'empirisme organisateur de ces comités delà Convention qui, à l'automne de 1794, publiaient le plus bel éloge qui ait jamais pu être écrit de la politique bourbonnienne. Comme ces comités, on peut suppléer quelque temps à la monarchie. Sup- pléera-t-on à Krupp? Et peut-on venir à bout d'un fondeur de canons autrement que par un autre fon- deur de canons? Il n'y a pas longtemps, on affec- tait de mépriser et d'insulter comme les exploiteurs des peuples européens les chefs de la métallurgie française. Mon maître Anatole France répudiait dans un banquet de 1911 une « grandeur de ferraille». Où seraient nos armées sans cette grandeur-là? Que deviendraient nos soldats sans cet admirable colonel Déport, constructeur du 75, et sans ces admirables généraux Mercier, Deloye, Langlois, Sainte-Claire- Deville, Billot, qui collaborèrent soit à sa construc- tion, soit à son adoption? Nos fantassins entourent 1. Article paru en tète de l'Actio)i française, intitulé : « L'État brigand » (ou l'État prussien) une des nombreuses pages qui annonçaient les analyses lumineuses de l'Histoire de deux peuples. I VIVI-: LA NATION. ir.i (le leurs bras et couvrcnl do baisers celle arme de sailli. Les oTliciers rélléciiis qui ont vu la scène se sont dit IrèscerlainemenUiu'un émule de Krupp peut être le plus précieux et le plus bienfaisant des amis de l'humanité. De même qu'on ne tire pas le canon contre les idées, on ne lance pas les idées contre le canon, surtout des idées fausses, surtout des idées contradictoires! La vérité humaine, d'accord avec toutes les vérités françaises, est qu'on ne vient à bout du fer et du feu qu'au moyen du feu et du fer. Encore faut-il savoir manier ces armes et les uti- liser et, pour les utiliser, ne point se faire de chimère. M. Wells, qui a beaucoup de talent, est-il très raison- nable de prêcher avec tant de passion une croisade contre Krupp et (Guillaume tout en disant aux Alle- mands qu'il n'en veut pas à leur « unité «? D'autres révolutionnaires font chorus et déclarent que, l'Al- sace et la Lorraine une fois reconquises, on laissera la douce Germanie aux braves Germains. Combien se montraient plus sensés les écrivains de la BalaUle syndicaliste qui souhaitaient voir s'établir non pas certes une, mais plusieurs Républiques, beaucoup de Républiques, en Allemagne! La paix et la liberté des peuples européens ne s'établiront qu'à ce prix. Veut-on absolument négliger celle condition? C'est parfait, mais aussi tout sçra à recommencer avant peu d'années. Qui sei-a attrapé? Sans doute M. Wells et ses approbateurs d'aujourd'hui, mais aussi et sur- tout le malheureux public qu'ils auront induit en erreur. On trouve nos conditions impitoyables. Ne voit-on pas que c'est de notre côté qu'est la vraie pitié? C'est nous qui nous affligeons à la pensée des 132 LA FRAN'CE SE SAUVE ELLE-MÊME. charniers à venir qu'amoncellera le simple effet dune grande erreur. Evitez cette erreur. Vous épar- gnerez aux hommes futurs de nouveaux massacres. Je sais qu'on appelle ces erreurs-là des « idées mo- dernes j>. Les pauvres vieilles ! Admirez ce qu'elles pesèrent à Vienne, à Berlin dans la conscience des plus « modernistes », je veux dire des plus avancés des politiciens d'Autriche et d'Allemagne. Elles n'ont rien pesé du tout devant l'idée de la nation. Et c'est l'idée de la nation qui soulève aujourd'hui Paris et nos provinces. L'idée de nation est la reine du monde. Il n'y a au-dessus des nations que la papauté et la fraternité catholique. Tout le reste pâlit devant cette idée dominante. Tout le reste tombe au néant. Si la propagande républicaine ou démocratique pou- vait apporter un millionième de puissance réelle à la défense de la nation, en notre qualité de nationa- listes avant tout nous serions les premiers à pousser de ce côté-là. Des « vive la République! » ou des « vive l'Humanité! » qui sauveraient la France et qui écraseraient la barbarie germanique seraient les bienvenus! Mais nous ne voyons plus nulle part de trace bien forte d'un sentiment qui fut si fort : en France comme ailleurs et, plus qu'ailleurs peut-être, c'est le Nationalisme qui ébranle, et qui emporte tout. Il n'y a plus qu'un cri de Vive la Nation! L"èrc du patriotisme conditionnel est finie. De la guerre et de la victoire, sortira un patriotisme épuré, un pa- triotisme sans conditions, mais avec toutes ses consé- quences d'organisation, de force, d'union, de pros- périté et d'ordre public. ^ LA MANŒUVRE DE THERSITE 5 sei.lciubn- 1914. Le décret de clùlurc des Chambres a paru à VOffi- ciel. C'est ce qu'il est permis d'appeler, sans aucune exagération, du nanan. Je suis moins satisfait de la perspective d'être privé de mon numéro du Temp^ de cinq heures. Nos confrères du Temps sont à Bor- deaux. Même depuis la mort d'Adrien Ilébrard, ce grave et robuste journal républicain faisait un beau répertoire de faits et d'idées, celles-ci généralement lausses (sauf en ces derniers temps), ceux-là en géné- ral exacts. Les bons Parisiens s'y feront comme à d'autres petites disgrâces. En revanche, le départ de M. Clemenceau ou l'arrôtde son journal fera pousser un ouf de soulagement'. Plus d'un bon citoyen aura pu s'y tromper, mais aucun bon esprit. Si quelque fait pouvait nous con- soler de l'opprobre jeté par le sénateur Gervais sur les soldats de mon pays, ce serait l'unanimité avec laquelle le sentiment de l'honneur et aussi la flamme héréditaire de la raison latine se sont prononcés par toute la Provence non seulement contre M. Gervais qui représente le département de la Seine, mais aussi contre le sénateur Clemenceau qui représente le département du Var. Des journaux aussi différents que le Pelil Marseillais et le Soleil du Midi, des 1. C'est h la fin de septembre que le gouvernement de Bordeaux suspendit pour huit jours l'Homme libre, lequel ressuscita en Homme trop mal enchaîné. 134 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, écrivains aussi divers que Xavier de Magallon et M. L. Faber, ont opposé le même cri au verbiage d» M. Clemenceau. « Silence! » « Qu'il se taise! » Magallon donne quelques échantillons d'invectives gratuites, de calomnies en l'air, d'insinuations perni- cieuses. Puis, comme M. Faber, après avoir invoqué l'article premier de la Loi sur l'état de siège, loi vi- sant tout écrit de nature à exercer « une influence fâcheuse sur l'esprit de l'armée et des populations », Magallon demande que M. Clemenceau soit mis hors d'état de nuire. Au point de vue de la justice (celui qui a le plus frappé certains de nos amis), le scandale donné par M. Clemenceau était double. Le sénateur usait de sa haute situation dans l'État, de ses relations, parti- culièrement avec un ministre, son ami intime et col- laborateur de son journal, M. Thomson, pour con- naître quantité de détails tenus cachés au pays et qu'il pouvait également voiler, dévoiler, gazer, cos- tumer, commenter, absolument à sa guise et sans que ses .publications arbitraires pussent être contrôlées par les journaux voisins. Mais M. Clemenceau jour- naliste échappait totalement aux sanctions légales, il n'était ni réprimé, ni prévenu, la censure parais- sait inapplicable pour un aussi haut personnage et nulle poursuite ne semblait pouvoir être engagée contre l'insolent écrivain. Que de nobles cœurs ont frémi au spectacle de cette licence plus qu'impunie, privilégiée ! Mais la raison était plus irritée encore que l'esprit de justice quand M. Clemenceau se donnait l'appa- rence de juger en bon citoyen, en patriote exaspéré. i LA MANOEUVRE DE THERSITE. l.'S Los murmures les plus dangereux pour les Étals ou pour les armées ne sont pas ceux qui naissent de la fausse nouvelle, de la révolte ouverte ou de l'anlipa- triolisme avéré. Le vrai perfide, le traître pur avance par d'autres chemins. Il use de vérités partielles, in- complètes, souvent plus fausses et plus nuisibles qu'une entière fausseté. Les mauvaises actions de M. Clemenceau pendant tout le mois d'août se sont toujours inspirées de cette méthode. Pour troubler l'armée qui fait le siège de Troie, pour séparer les soldats des chefs, Thersite se garde bien de formuler les sentiments d'envie et de jalousie très amères qui agitent son cœur, ni d'articuler aucune opinion trop passionnés sur la tactique suivie ou la manœuvre faite. Non pas! Ce que le fourbe impute au chef suprême, c'est une injustice et une faute politique réelles. Le roi des rois a eu tort de mécontenter un de ses généraux : le plus brave, le plus utile, le plus aimé de ses combattants. Mais si le chef a eu tort , gravement tort de se tromper, il est un tort plus grave encore, c'est celui qu'on se donne quand on ajoute à la faute commise l'aigre propos qui la publie et qui la commente : l'erreur n" I affaiblissait l'armée, mais restait réparable, au lieu que la seconde faute, le crime de Thersite, en semant la panique, peut rendre le premier malheur irrémédiable. C'est pourquoi le poète nous le montre justement rossé par Ulysse : « Thersite plia sous les coups et se mit à pleurer. Il s'éleva sur son dos une tumeur livide causée par le sceptre d'or » qui mit tout le monde en gaieté. La bosse de Thersite répara les petits dommages auxquels sa mauvaise 1-fi LA i'IÎANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. langue avait exposé ses compagnons d'armes. EsL-il besoin de rappeler que dans cette admirable moralité, Homère présente Thersite comme le plus lâche de tous les Grecs. Le murmure est, en effet, le triomphe du mauvais soldat. Celui qui fait mal sa besogne ou qui ne la fait pas, celui qui ne sait que saboter ou flâner est aussi le premier à faire la cri- tique de quiconque se môle au fort de l'action : ses chefs sont des idiots, des traîtres, des capons, pis encore. Regardez-le en face, et vous verrez si la capacité de son esprit peut aller au delà de ces négations sans portée utile, non sans effets perni- cieux. Un moyen de le faire taire est de lui demander .ses états de service. Ceux de M. Clemenceau sont bien connus : la révision du décret de Messidor, la raréfaction de notre corps d'officiers, la scandaleuse diminution des périodes d'instruction pour les ré- serves, les funestes mesures qui décidèrent les démissions des généraux Hagron et Michal.... Ce dossier écrasant commandait le silence à j\I. Cle- menceau. Nous lui souhaitons bon voyage. Nous nous réjouissons de ce bon débarras pour le camp retranché de Paris ^ 1. Le 20 septembre je recevais, et la publiais le lendemain, ime nouvelle justification de notre campagne; c'était une dépèche de Berlin adressée au ^tockolms Daghlad qui l'avait donnée le 10 septembre, et rendant compte des articles de M. Clemenceau avant la Marne : « Berlin, le 9 septembre. De notre correspondant particulier. " Clemenceau a publié dans son journal VHomme libre un article dans lequel il met en doute la valeur militaire des fortifications de Paris. Il considère conmie un grand mal- heur pour le gouvernement que celui-ci ne soit pas resté sous le contrôle de l'opinion publique. Il faut surtout que I,A MANŒUVRE DE THERSITF-. 1Ô7 h- ^^oiiverniMiient sente l'importance de ne pas cacher les nouvelles mêmes si elles annoncent des désastres.... » L'agence allemande, désireuse d'inlluencer l'opinion sué- doise, n'hésitait même pas à ajouter la formalité du coup de clairon patriotique obligé que M. Clemenceau n'oublie guère : " La France met tout son espoir dans son armée et chaque liomme fera son devoir. » La pluase vaguement et fail)lement optimiste servait à aiithciili(iuer ces paroles de dénigrement et ces murmures d'aïKnciiie (jui ont fait la grande espérance de l'empereur et du peuple allemands. Envoyées à Berlin, d'où on les a fait rayonner en Suède, en Hollande, en Italie, partout où nous avions des amis anxieux qu'il importait de décourager et de combattre, ou des ennemis obscurs qu'il fallait soutenir et stimuler, les paroles de M. Clemenceau ont été employées tout naturellement à militer contre la cause de sa patrie- (A. F. du '27 septembre 1914.) OX NOUS A DIT LA VÉRITÉ 6 septembre 1914. Nul ne peut reprocher à V Action française d'avoir abusé, ni même beaucoup usé de la stratégie en chambre; nous avons généralement consacré à la critiquer dans ses excès pernicieux le papier et le temps que beaucoup de « pauvres d'esprit », comme disait l'un d'eux, M. Clemenceau, ont gaspillé dans ces déductions sans substance, sans base, sans point de départ solide et sérieux. La confiance et le silence peuvent demander un peu d'effort sur soi-même; mais, une fois qu'on en a compris Futilité, et pour ainsi dire la fonction militante, quand on s'est rendu compte du service que l'abstention de tout verbiage critique rend à l'opinion française, par conséquent à l'armée française, par conséquent au peuple fran- çais, l'esprit discipliné se rend compte qu'il n'y a rien de plus nécessaire ni de plus fructueux. Une main amie qui me passe le Carrière délia Sera de mardi dernier me permet de faire voir et toucher l'un des excellents fruits de cette discipline, non seulement au point de vue de la santé natio- nale, mais pour la connaissance de la vérité désin- téressée, objective, pure. Qu'on ne s'étonne pas de ce témoignage étranger! Les Italiens sont placés par leur neutralité et par leurs relations dans les deux camps de telle façon qu'ils reçoivent et comparent les communiqués de Paris et de Berlin. Or, que disent les Italiens du Carrière^ Exactement ce que ON NOUS A DIT L VKlilTr:. \7,U nous a (lit le bullclin officiel du ministère de la (juerre à Paris. La noie du Corriere résume en quelques lignes toute la substance de ce qui nous a été « communiqué ». lUen de plus, mais rien de moins. Il faut donc bien c(ue l'essentiel nous ait été dit. puisqu'un impartial Italien le peut résumer ainsi : Un des traits caractéristiques de la guerre entre la France et rAUemagnc est l'absence d'événements for- mant pour ainsi dire points de repère. Il n'y a pas eu (ou tout au moins la nouvelle n'en est pas venue jus- qu'à nous), de grandes batailles, terminées ])ar un résultat net, signalant les diflérenles phases de l'action générale. Depuis les premières recontres de patrouilles à la frontière au commencement des hostilités, on peut dire que la lutte a été continuelle, avec plus ou moins d'intensité, plutôt au nord qu'au sud ou inversement, sans interruption cependant. Ainsi l'observation de la marche de la guerre a été rendue très difficile, étant donné que l'action, procédant par faibles degrés, se laissait à peine apercevoir. 11 semblait que tous les jours se ressemblassent, qu'aujourd'hui fût égal à hier.... Le Corriere ajoute certes, comme nul ne l'ignore en France, qu'au bout de cette série de combats dont aucun n'était décisif, les Allemands sont arri- vés sur la Somme et puis sur l'Oise, comme ils sont aujourd'hui sur la Marne : mais il se rend compte que cette avance de l'ennemi, par suite d'un recul graduel de l'armée française, peut très bien résulter d'un plan concerté de défense et rentrer dans une méthode de stratégie. En tout cas, il ressort de son exposé (jue, de la frontière belge à la Somme, comme de la Somme à l'Oise, comme de l'Oise à la Marne, 140 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MKME. on ne nous a rien caché : rien de « catastrophique «, rien même dimporlant. Que de gens, malgré tout, le crurent! Et combien sécrièrent que ce n'était pas possible! et que, pour avoir dû céder tant de terrain, il fallait y avoir été déterminé par d'affreux revers. Ces affreux revers, l'Europe neutre les ignore, l'Allemagne a dû les laisser ignorer au monde, elle qui n'eût pas manqué de les claironner aux quatre vents du ciel, comme elle y avait intérêt, si ces prétendues catastrophes et ces fantastiques revers n'eussent été le simple et ignoble effet de l'imagination de nos vertueux « paniquards ». ... Je suis bien bon d'aller chercher mes preuves au fond de l'Italie! Il n'y a qu'à voir la tenue des bons soldats Français, de retour du champ de ba- taille. Joie des yeux, sérénité des visages, calme de la voix et du ton, on sent une force maîtresse d'elle, pénétrée de confiance dans la victoire. L'ANGLETERRE TRANSFIGURÉE Les Anglais font plaisir à voir à leur poste de combat. Admirons aussi le langage substantiel de leur politique : il ne sonne que l'action depuis que l'action se prononce. Adieu, le prêche radical et puritain! Adieu, tartines du patois de Chanaan! Les Winston Churchill, les Asquith vont au fait avec une rapidité qui escamote le régime parlemen- taire. Le premier lord de l'amirauté articule paisi- blement : « Si l'Angleterre, dans la présente guerre ou dans celle qui suivrait sûrement si celle-ci n'était ■pasconcluanle.... » Les bonnes geiis qui croient que ON NOUS A DIT LA VKRITi:. ! il les balaillcs de 1914 marqiuîront la dernière des lulles enlrc Européens seront sapées de lire deux ou trois lois celle phrase, pour se rendre comple de ce qui se passe dans les meilleures lOles de l'Anglelerrc ollicielle. L'Anglclerre ne veut pas ôlre réduile à devenir « un pelil pays comme la Hollande » : celle volonlé élanl arrc^léc, elle prend ses mesures, en consé(j[uencc. • Les chefs du parli conservateur retrouvent tout naturollemeut, dans cet ordre d'idées, un avantage qui lient au caractère intellectuel de leur tradition historique : — La guerre est le fait de l'Allemagne, qui n'avait qu'un mot à dire pour l'empêcher, s'est écrié M. Bonar Law, ajoutant : elle a préféré tirer l'épée. C'est aussi par Vépée qitune telle poliliquc sera suppriméel » Grave leçon pour les idéalistes irréfléchis qui se figurent encore que l'argument de Krupp peut ôlre réfuté par un vers de Victor Hugo ou par des phrases de Keir Hardie et de Wells. Enfin M. Balfour a fourni une définition de l'Alle- magne qui fera plaisir à tous nos lecteurs. Car, l'ayant vue cinquante fois dans nos colonnes, ils seront ravis d'apprendre qu'elle a cours i)ar delà le détroit. L'Allemagne de M. Balfour est la noire : c'est « un Étal qui sait créer la puissance, mais qui ignore absolument la façon de s'en servir ». En d'autres termes, cet Etat, qui sait et qui fait son métier d'Etat, est au service d'une nation sans gran- deur dame, incapable de celte générosité, de cette bienfaisance supérieure qui est le luxe natif de ces races d'esprits et de cœurs vraiment nées pour être puissantes. 142 LA r RANGE SE SAUVE ELLE-MÊME. Noire ami, Louis Dimier, a raison de dire et d'écrire que rame anglaise a de beaux éclats du métal romain. Ce peuple ressemble à sa langue. Les grandes heures de son histoire, comme les grands livres de sa littérature politique de Burke à ^la- caulay, furent dignes de réfléchir la majestueuse sagesse du Sénat et du Peuple Roi. L'ISSUE DE LA GUERRE ASSURÉE Magnifique nouvelle : la Grande-Bretagne se lie enfin à la Double-Alliance, devenue par le fer et le feu l'égale de la vieille Triplice. Les trois gouverne- ments s'obligent à ne conclure aucune paix séparée. Tous les vrais Français qu'assiégeaient d'obscures appréhensions, vont respirer à l'annonce du grave devoir qu'ils assument et de la garantie immense qui désormais le soutiendra. LA COALITION DECISIVE 7 septembre 19! 4. Il faut y revenir. Cela est capital. Oui, la déclaration des Alliés « ruine tous les projets de désorganisation diploma- tique combinés à Berlin ». Ni l'intrig-ue, ni l'or ne pourront rien désormais sur sa conduite raisonnable, patriotique, utile, de cette dure guerre : les délaites momentanées, les échecs partiels, s'il s'en produi- sait par hasard, seraient sans action réelle. La fai- blesse du régime se trouve désormais compensée par l'adhésion hardie, complète, irrévocable, que le gouvernement français a donnée aux gouvernements alliés. En se liant, il s'est libéré de la Papillonne démocratique. Nous l'indiquions hier en termes réservés dans le cri de joie que nous a fait pousser la bonne nouvelle. Le doyen des journaux républi- cains de Paris, les Débats, y revient en termes plus nets : Nul n'ignore, en effet, que le plan de la Wilhem- strasse était d'arracher à Paris, à un gouvernement en décomposition, une paix déshonorante d'apparence modérée. On se flattait de nous mater tout en nous brouillant à jamais avec l'Angleterre et la Russie. On espérait trouver des complices parmi les politiciens français. Nous arrivons ici à la politique intérieure. Ce sujet est triste, répugnant même. Il faut pourtant Taborder. Au milieu du cataclysme qui secoue l'Europe et menace l'existence de la patrie, il est en France des politiciens 14i LA FRANCE SE SAUVE ELLE-V'ÊME. qui pensent encore à leurs intérêts et à leurs rancunes. Quand les armées s'affrontent dans la mitraille, ils songent aux moyens de reconquérir le pouvoir et de placer leurs créatures. Ils ne souhaitent point la dé- faite. Mais ils envisagent la possibilité de traiter en vaincus et de sauver à la fois ce qui resterait de la France et leur influence politique. Depuis quinze jours, leurs clients et amis propageaient la panique. Us tenaient clans les couloirs de la Chambre des propos écœurants. Si, par hasard, ils envisageaient l'hypo- thèse de la victoire, c'était en vue du profit qu'ils en pourraient tirer. Ils étaient l'opprobre de ce pays dont la population vaut tellement mieux qu'eux. Ce n'est pas le moment de citer leurs noms. On les dira plus tard s'il est nécessaire. Il nous avait paru suffisant de marquer d'un mol que le régime autorisait « d'ob.çcures appréhen- sions ». Le Journal des Débats montre que ces appré- hensions, pour lui fort lumineuses, étaient justifiées par les fails. Ce que notre système politique rendait possible, les politiciens qui profitent de ce système étaient en train de le réaliser. Ce crime politique était plus que rêvé : il avait reçu un commencement d'exécution. Nous n'avions pas osé le croire et, si nous l'avions su, nous l'aurions gardé pour nous. Le texte des Débals est acquis à l'histoire. Si jamais, après le triomphe de nos armes, il est donné suite à mon livre Kiel et Tanger ou la République française devant l'Europe (180o-190o-1915), il sera nécessaire de spécifier comment linquiélude des esprits politiques et des cœurs patriotes, républi- cains ou royalistes, ne tomba que le jour où le pouvoir suprême, le pouvoir de signer la paix, se trouva confisqué, séquestré, devenu indivis dans le I,\ COALITION DÉCISIVE. 145 consortium des grandes puissances belligérantes, et mis h l'abri des intrigues et de rembùche des partis. Heureuse notre France d'avoir enlin trouvé cette garantie contre les secousses intérieures! Plus heu- reuse encore si elle eût été organisée de manière à |)Ouvoir se passer de la garantie du dehors! D'où que nous viennent cet afïermissement des alliances, cette continuité de leur action, ce sont les i\c\\K plus grands biens qu'il fallût souhaiter avant la victoire. Qu'ils soient donc bienvenus, avec tous les sérieux devoirs qu'ils pourront entraîner, mais ([ui entraîneront des compensations aussi abon- dantes que magnifiques ! SOLIDARITÉ DE NATION On ne saurait insister trop énergiquement sur l'aspect que présente l'Europe socialiste. Pendant que les socialistes belges et français adressent à « l'Internationale «un énergique et saisissant exposé des iniquités allemandes, que font les socialistes allemands? Ce n'est pas moi qui le dirai. Je laisserai parler un collaborateur de V Humanité, M. Edouard Vaillant, le député socialiste de Paris. Ce vétéran de nos luttes ne se cantonne déjà plus sur le terrain démocratique et humanitaire. Les pre- miers mots de son article rendent un son patriotisme fleurant je ne sais ([uel vieux bouquet de Blanqui. Le VorwaeiHs y est abordé franchement. Dans le même numéro où, le 25 aviût, il donne la carte des dernières grandes victoires, et il ne nous apprend pas s'il y compte Liège et Gumbinnen en attendant Lemberg. le l'unnacrts expose ingénieu- 10 140 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. sèment la conception allemande de la guerre et de ses résultats, telle que Font fabriquée les mensonges offi- ciels el pangermanistes. La violence et l'hypocrisie impérialistes s'y révèlent sans voiles. Tout le monde sait que le Vorwaerls c'est ï Huma- nité allemande. C'est le journal qui donne le mot d'ordre aux millions d'électeurs de la sozial-démo- cratie, à ses centaines de milliers d'adhérents coti- sants, à ses journaux nombreux, à ses brochures et folioles innombrables. Non, ce n'est pas moi qui le dis, c'est M. Vaillant au Vorwaerts de Paris : « La conception allemande » dans ses « violences » et son «■ hypocrisie impérialiste » se fait seule jour dans l'organe officiel du socialisme allemand. L'univers, le genre humain y sont comptés pour rien : l'Allemagne, l'Allemagne y est mise au-dessus de tout. La sozial-démocratie allemande se montre aussi impérialiste que M. Andier la dépeignait jadis en dépit des protestations de V Humanité. Ce que dit le gouvernement de Guillaume II, ce qu'il veut que Ton croie, la sozial-démocratie le redit et le croit. Elle admet toutes les bourdes que l'empereur ou les bureaux impériaux prient « leurs » socialistes d'ad- mettre. Elle répète pieusement que la guerre con- duite dans les plaines de Belgique et les vallons de la Marne est une guerre à la Russie. Si « la tartu- ferie militaire germanique » (expression de M. Vail- lant) formule le regret d'avoir à combattre des peuples civilisés tels que l'Angleterre et la France, la sozial-démocratie accepte argent comptant et transcrit sans difficulté cette fable indigne, I.A COALITION DKCISIVE. 147 Au fur et à mesure qu'il recopie lui-môme en les résumant ces défis à la loi du monde, M. Vaillant ne peut s'empêcher d'exprimer aussi son indignation. Le ton de l'analyse s'échaulTe et fait éclater une imprécation finale qui est digne de l'amèrc ironie des premiers mots. Lisez-la : L'Allemagne ne se hâte tant de les écraser (/es peuples belge, français ou serbe) que i)Our pouvoir mieux alors les prendre en pitié. Une fois vaincus définilivcment et prosternés elle sera généreuse pour eux, comme elle l'a été pour l'Autriche après Sadowa. Elle se con- tentera de les attacher, avilis et déchus, au char de sa fortune. Ils seront les satellites de l'impérialisme allemand dans l'Europe i)ar lui asservie. Rien, peut-être, mieux que cette suprême injure, n'est capable de faire entendre au Français qui, par impossible, ne l'aurait pas encore comprise, la néces- sité impérieuse de résister, de combattre inlassa- blement jusqu'au bout, jusqu'à l'écrasement de l'impé- rialisme militariste allemand. A cette lutte pour l'existence, l'honneur et la dignité de la patrie, pour la liberté et la paix de lEurope, doivent être donnés toutes les énergies, toutes les forces de la nation, de ses armées, de ses citoyens. Je ne crois pas qu'il soit possible de mieux dire. Mais ces justes paroles ne devraient-elles pas s'ache- ver aussi dans une vue générale tout à fait juste? Si M. Vaillant avait sur l'épaule un Lebel ou s'il tenait l'épée, je ne le presserais point d'ajouter à celte action militaire ab.sorbante un effort intellectuel de plus. Mais s'il parle et écrit, il pense S'il pense, que lui coûterait de penser jusqu'au bout? Pourquoi ne prendrait-il point garde à la signification profonde du spectacle qu'il donne, ainsi que ses coreligion- 148 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. naires politiques allemands? Eux nationalistes alle- mands, lui nationaliste français, tous oublient leur solidarité de classes dans l'urgent intérêt de solida- rité de nation ! Je viens d'écrire un mauvais mot. Coreligionnaire. Être socialiste, ce n'est pas, je suppose, professer une religion, ni adhérer à un dogme surnaturel, ni porter dans son cœur une foi dont les vérifications sont outre-tombe. La confiance dans la suprématie des solidarités de classe, l'acceptation de cette idée que deux prolétaires, l'un français, l'autre allemand ont plus d'intérêts communs qu'un propriétaire fran- çais et un prolétaire français, qu'un propriétaire allemand et un prolétaire allemand, l'acceptation de cette idée, la confiance qu'on met en elle doivent être subordonnés à l'hypothèse- que l'idée est vraie. Si elle ne l'est pas, rien de fait! Si l'expérience en démontre la fausseté, il est naturel de lui retirer toute confiance, d'interrompre l'adhésion pour adopter cette autre idée plus raisonnable, plus conforme à la réalité que notre plus haute com- munauté d'intérêts est exprimée par le lien national. Éclairés et convaincus par l'expérience, les socia- listes n'ont plus qu'à souhaiter bonne nuit à leur méprise de la veille. Qu'est-ce qui les en empêche- rait? Je me perds à le rechercher. La vérité est impersonnelle. L'honneur des intelligences humaines consiste à la désirer de bonne foi ; l'erreur sincère ne l'entache pas, mais l'éprouve : il dépend de nous de l'utiliser pour le mieux. La nation française se- rait aujourd'hui établie sur un des plus nobles et des plus utiles belvédères de son histoire si tous les LA COALITION DHCISIVE. 14!) partis, vieux ou neufs s'accordaient sur ce point de fait que les idées nationales, les intérôts nationaux, sont les plus répandus et les plus forts qui soient; plus forts, plus répandus qu'ils n'ont jamais été'. On peut, on doit s'élever plus haut que ce point de pre- mier accord, mais, de là. on voit du pays, et, comme le terrain est solide, on peut y bâtir. Ah! Fran(;ais, ah! socialistes quand voudrez-vous penser aussi bien ([ue vous sentez et que vous 1. Il esl curieux de constater qu après deux ans de guerre, l'écrivain qui signa Lysis à VUumanité a fait une campagne en ce sens dans le journal de M. Hervé. LE CORPS DIPLOMATIQUE AU VATICAN 8 septembre 1914. Ne trouvez-vous pas que nous avons à Rome une situation ridicule? Ce fut jadis celle du Carthaginois en Italie quand ses adversaires lui reprochaient de savoir vaincre sans savoir profiter de la victoire. Nous venons de remporter un avantage d'autant plus brillant qu'il nous a coûté peu d'efforts : les intrigues de l'ancienne Triplice n'auront servi de rien : autant que le feu Pape, le Pape élu est un ami déterminé de la France, tous ceux qui représentent une amitié française dans la Ville Eternelle témoi- gnent ouvertement de leur joie, et, le jour où le corps diplomatique est présenté à Sa Sainteté Benoît XV, c'est-à-dire hier même, il devait y avoir, il y a eu, du côté de l'Allemagne et de ses rares alliés dans le monde, quelques figures merveilleusement allongées. C'était un triomphe pour nous, mais à la condi- tion d'avoir là un représentant qui pût s'épanouir devant la déception des autres et lui faire un pen- dant d'allégresse victorieuse'. Cette condition n'a pas été remplie. Ce contraste n'a pas eu lieu. Bien que Sa Sainteté Benoît XV ait fait sentir le regret de ne pas trouver devant lui un ambassadeur de la France, ce qui nous sauve un peu la face et ce qui entrouvre une porte à quelque retour de sagesse, 1 . Telle était, de l'aveu de tous, la situation en septembre 1914. On dit qu'elle a changé depuis. A qui la faute, sinon à qui nous tient absents de Rome, où l'adversaire est représenté? LE CORPS DIPLOMATIQUE AU VATICAN. m noire absence est plus qu'un scandale et qu'une sot- tise : c'est une inconvenance et une laideur. Un peuple peut avoir le droit d'ignorer on de mépriser ses intérêts matériels et moraux les plus importants. Un peuple comme la France n'a pas le droit de se donner en risée, de faire mépriser son nom, et de se laisser prendre pour un hurluberlu sans sagesse. L'heure européenne est trop grave, les moments vécus sont trop durs pour que nous adoptions ce luxe d'imbéciles, qui consiste à dilapider son propre trésor. Il n'y a qu'un trait de plume à donner, un représentant à nommer, un voyage rapide à lui faire faire : ne serait-ce que pour aller respirer les beaux lauriers déjà fauchés en notre honneur par des mains amies, l'ambassadeur au ^'alican devrait être en che- min depuis quelque vingt-quatre heures. j\I. Poincaré, M. Delcassé, M. \iviani, leurs col- lègues auront-ils ce bon mouvement? Plus il sera ;>pontané, vif et prompt, plus il ressemblera à la France, à la France de cette année-ci, de ce mois-ci, et mieux il vaudra ! L'INTERNATIONALE Tandis que l'Internationale religieuse, l'Église, donne aux peuples un spectacle de dignité et de sagesse qui me semble émouvant et significatif au- delà de toute parole, l'Internationale socialiste semble en être encore à chercher sa vraie pensée sur lépou- vanlable déception que viennent de lui infliger les socialistes des pays germaniques. Les socialistes italiens qui ont reçu M. Sudekum publient le procès-verbal de sa visite. On y lit : 152 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. « Le parti socialiste allemand, en soutenant la politique d'agression deTAllemagneetde l'Autriche, a perdu le droit de se réclamer des leurs, qui s'atta- chaient à un socialisme international. » C'est le plus juste des verdicts sur la plus colos- sale des tromperies. Mais un peu plus loin les Ita- liens déclarent qu'ils ajoutent à leur résolution « de ne pas se déshonorer en aidant l'Autriche et l'Alle- magne » un certain désir de paix motivé par « les deux années de guerre en Libye ». Ce désir de paix nous rappelle combien, en I91J, fut molle, pour ne pas dire nulle, l'opposition des socialistes italiens à cette conquête de la Libye : n'oubliez pas que TofTen- sive italienne d'octobre 1911 a tout déclanché, et que les guerres d'Orient en sont directement sorties, comme elles ont donné naissance à la guerre actuelle. Dans ces conditions, quand les socialistes italiens annoncent que la défaite de l'Allemagne sera la libé- ration du prolétariat allemand, par suite la réconci- liation de tous les socialistes européens, et quand M. Renaudel fait chorus avec eux, il est permis de réfléchir et de sourire : non, il ne suffit pas d'être socialiste et d'habiter un pays parlementaire pour répudier toute initiative guerrière, il faut aussi être fermé au sentiment de l'intérêt national. Cet étal d'esprit était déjà rare en Italie, il y a trois ans, il s'y raréfiera encore. En Italie, en France, partout, il faudra certes songer à régler et à organiser les nationalismes : mais il faudra commencer par en confesser la puissance, l'étendue, la généralité et la primauté de faits. LE ROMANTISME IMPERIAL 9 seplombie 1914. Dans un aiiiclc de la Revue (/es Deux Mondes, extrait dans le Figaro, M. Victor Bérard, après avoir très bien caractérisé la prudence classique des mou- vements bismarkiens, rend, par comparaison, tout à fait saisissants les caractères imposés à la politique allemande par le romantisme allemand que l'empe- reur Guillaume II personnifie pour l'histoire : La conquête de l'or pour l'or et pour les commodités et jouissances qu'il procure; la poursuite des affaires lînancières, industrielles et commerciales, non pour le bien de l'Etat et « la félicité des sujets », mais, d'abord pour l'enrichissement de quelques privilégiés; l'amalgame de la politique et de la spéculation, de la diplomatie et de la finance, de la Cour et de la Banque; l'intimité, lassocialion de l'Empereur lui-même avec les gens de Bourse et de cartells : tel fut depuis vingt ans le caractère le plus marqué de cette « politique réaliste ». — comme disaient chez nous ses béats admirateurs, — que Guillaume II substitua peu à peu à la Realpolitik de Bismarck. Ces deux politiques n'ont rien de commun. L'une voulait mettre en branle ou en œuvre toutes les réalités, pondérables et impondérables, pour construire et maintenir à jamais l'unité de l'Allemagne sous le contrôle de la dynastie et de la bureaucratie prus- siennes. L'autre n'a plus eu d'attention que pour une réalité : l'argent. Peser de tout son poids sur l'Europe et le monde pour en exprimer le maximum dargcnl le plus vite possible; user de sa victoire et de son pres- tige pour obtenir ou extorquer les plus fortes conces- 15 i LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. sions et contributions à l'univers terrorisé ; ramasser l'argent sans se soucier de l'odeur, dans le sang des Arméniens et dans les trafics les plus louches; menacer chaque matin du coup de force pour réussir le coup de Bourse; l'historien qui voudra dresser quelque jour le bilan de la politique allemande depuis la chute de Bismarck devra leconsUtuer d'abord, année par année, le bilan delà spéculation prussienne; il verra que la guerre présente fut une liquidation en veille de faillite, autant qu'un accès de folie guerrière ou méga- lomane. L'Allemagne économique était à bout : ses opérations gigantesques avaient toujours été « mal- saines », comme disent les financiers; elle avait trop brassé, trop risqué, trop avancé de marchandises et d'argent à ses clients peu solvables, aussi Ijien en Alle- magne même que dans le monde entier: elle avait habitué sa clientèle mondiale à des prix et des condi- tions de vente qui ne laissait plus au fabricant et au capitaliste allemands les bénéfices nécessaires; il fallait, par un coup de force, « liquider » ces positions inte- nables ; c'est pour donner à l'Allemagne endettée les milliards de la Banque de France et de l'indemnité, autant que pour donner satisfaction aux criailleries, menaces et rodomontades des militaristes de terre et de mer, aux pangermanistes, aux théoriciens de la plus grande Allemagne, que Guillaume II fut acculé à la présente guerre. Cette belle fresque d'histoire morale est digne de rester au dossier des nations germaniques. Elle ser- vira à montrer comment ces nations toujours sem- blables à elles-mêmes (que riiégémonie fût aux Prussiens, aux Saxons, aux Autrichiens, à celles qui bordent le Rhin, à celles de la Forêt Noire), furent toujours précipitées par leur nature, dans le crime le plus naturellement ha'i de l'homme civilisé, à sa- voir le crime cVexcès^ — et d'excès sans variété, du ].E ROMANTISME IMPHRIAI,. I.'.fi inoiiotone excès prolongé, comme en vertu d'une malhémaliqne -hutorde, toujoui's et de plus en plus dans la môme dircclion et le môme sens. L'humanité aurait cent fois crevé de ripailles ou séché de faux ascétisme si elle avait admis pour guides de tels maîtres d'erreur sauvage' î LES SOCIALISTES ET LA MÉTALLURGIE — Dif/irile? C'est fait. Impossible? Case fera. Ce vieux mot, si français, de troupier débrouillard, de soldat inventeur et créateur au fort de la lutte, n'a jamais été mieux vérifié que ces jours derniers où le génie de la nation a suppléé de mille manières parfois soudaines, souvent parfaites, à tous les im- prévus de la situation. Le plus grand des Allemands, celui qui eut des parties de génie classique, Gœthe 1. Guill;mnic II tout empereur et roi, ressemble à se.-? peuples innnimenl plus qu'on ne l'aurait pensé du temps où Jules Simon bêlait doucement son éloge: ne vient-il pas de disgracier son ambassadeur à Londres, le prince Licli- nowsky, sous le ridicule prélexle que ce diplomate l'aurait mal instruit des dispositions de l'Angleterre? Il est probable que tout s'est passé à Londres conformément à la raison et au bon sens. Le prince Lichnowsky écrivait à Berlin que les Anglais n'auraient pas envie de bouger tant qu'ils ne se- raient pas provoqués. Rien n'était plus vrai. Cela devenu faux lorsque le gouvernement de Guillaume II est sorti de toutes les données du possible en envahissant la Belgique, en mena<;ant An\ers, en adressant un véritable déii aux Anglais. Le prince Liclinowsky raisonnait comme on rai- sonne, moyennant un « toutes choses supposées égales d'ail- leurs ' : la formidable nouveauté jetée de force dans le jeu impérial a troublé forcément tous les pronostics et tous les calculs. Mais ce n'est pas son ambassadeur, c'est lui-même que l'empereur devrait se résoudre à disgracier. (L'Action française du 8 septembre. 191 1.) 156 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, disait que les chefs-d'œuvre sont des ouvrages de circonstance. Il insinuait même que toute belle pièce a toujours quelque chose d'improvisé. Il y a du vrai, Cependant l'improvisation a une limite. Nous ne l'écririons pas si d'anciens révolutionnaires ne l'avaient écrit avant nous. Ce n'est pas nous, c'est M. Pierre Renaudel qui demande dans VHirmanité qu'on fabrique des mitrailleuses, des automobiles. « Que le gouvernement donne des ordres. Qu'il ne « perde pas de temps. Il n'en a pas le droit. Il doit Ouelcpies instants plus lard, un cocher expliquait ;\ M. l^avisse qu'on faisait exprès de laisser appro- cher les Prussiens, qu'on les écraserait sous nos murs, que c'était la tactique de Jofl'rc et de Gallieni, qu'au surplus les Russes arrivaient, que les Italiens étaient nos compères et que les Allemands seraient battus, battus et qu'ils ne l'auraient pas volé.... — Moi, j'en suis sûr, c'est le bon Dieu (jui me l'a dit lui déclarait cet homme excellent et cet admirable Français. Ce contraste de la double conversation, M. Ernest Lavisse écrit qu'il l'a maintes fois retrouvé : les « gens sans profession ou de profession élégante » désespèrent souvent, le peuple jamais.... L'observa- tion généralisée va servir de motifs à des réflexions dont M. Lavisse fera sans doute part aux lecteurs du Journal. Eh bien! que iM. Lavisse nous permette de lui conseiller la prudence. Qu'il arrête, ou du moins, qu'il suspende l'énorcé de sa conclusion. D'abord, elle est hâtive, car elle pose sur des dénombrements peu complets. Ensuite elle est capable d'ajouter à un grand mal. Le mal, c'est l'antagonisme des classes, c'est le spectacle de fainéantise ou d'indilTérence que les classes dites cultivées donnent trop souvent ;\ l'envie populaire. Le pis serait d'envenimer ce sp^c- '202 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. lacle par des reproches qui sont en partie injustifiés et fictils. A rheure où tant de braves gens de toutes conditions font simultanément et héroïquement leur devoir, il est au moins inutile daller dire au « peuple » qu'il est seul, lui « peuple », parce que « peuple », à n'avoir pas désespéré de la Patrie. L'idée de l'infaillibilité morale ou patriotique du « peuple » est un topo du romantisme révolution- naire qu'il serait sage de ne pas ressusciter. Que -M. Lavisse y prenne garde : son cocher sera le pre- mier à lui contester ce topo. De mauvais Français, de pâles Français, il y en a aussi dans le « peuple », et les cochers le savent bien. Nous nous honorons d'avoir de nombreux amis dans la corporation des cochers. Ce que nous a dit du sien M. Lavisse est loin de nous étonner. Mais, s'il avait eu l'avantage de causer plus longtemps avec lui, M. Lavisse aurait fini par apprendre qu'il y a dans Paris des académiciens, des universitaires, des professeurs agrégés, docteurs ou lauréats de l'Institut qui, eux non plus, nont jamais douté de l'honneur de nos armes et de notre victoire. Il est arrivé à ce cocher et à ses confrères de charrier pour quelques piécettes à travers la grande ville des per- sonnages distingués, connus, dans la politique et les lettres, qui ne pensaient point comme le collègue de M. Lavisse et qui avaient toutes les idées, tous les sentiments de son noble cocher. Bien des intelli- gences se sont séparées de l'instinct national ; mais bien d'autres se sont réunies à lui par les nœuds les plus fermes, les plus profonds et les plus volon- taires. POURQUOI PAS VAI,MY. 203 Il y a de cela plus de six semaines. M. Lavisse ne les connaît pas? C'est que l'enquête du savant historien n'aura porté, ou je le crains fort, que sur un cercle assez restreint. 1\I. Lavisse aura interroge surtout ceux que l'on nommait jadis les « intellectuels ». 11 est certain que -ces messieurs pensaient et môme qu'ils sentaient un peu contre la France. Mais d'autres intellectuels se sont levés depuis, qui n'ont pas été étrangers à ce splendide réveil de « l'orgueil français » dont M. Ernest La- visse, de par ses antécédents de 1885, aurait dû être l'un des prophètes et des docteurs. Pendant quelques années, il nous priva de ses lumières. Qu'il nous les rende, on l'en supplie! Mais qu'il ne croie pas que l'éclipso de sa belle étoile ait plongé le pays dans l'obscurité absolue. Faute de mieux, en son absence, on avait allumé des flam- beaux de fortune. On n'était pas réduit aux nocturnes tâtonnements de l'instinct. RESPONSABILITÉ CAPITALE DES ALLEMANDS 19 septembre 1914. Nous avons relaté le détour par lequel on essaie de rendre service aux pauvres hobereaux de Berlin en donnant le fouet aux méchants archiducs de Vienne. — On croit l'Autriche vassale de l'Allemagne : quelle erreur! En bien des cas, c'est l'Autriche qui dirige et c'est l'Allemagne qui écoute et obéit. Les Allemands sont des parvenus, ils sont flattés de se laisser mener au bout du nez par la vieille noblesse autrichienne. Un Hohenzollern se sent très petit monsieur devant le Habsbourg. Et dès lors (ce dès lors ajoutant une conclusion fausse à des prémisses parfaitement exactes est une transition qui vaut son pesant d'or), dès lors l'Autriche connaissant son prestige en a usé et même elle en a abusé pour entraîner la malheureuse Allemagne, la douce Prusse dans la politique agressive qui devait aboutir où nous voici tous... 11 est très normal que des États naturellement opposés à l'Autriche et candidats à son héritage s'efforcent de lui faire porter les plus lourdes charges possibles : plus elle écopera, plus ils s'arrondiront. Il n'est pas moins normal que les vieilles relations d'alliance ou de parenté entretenues avec Berlin portent aussi certains États à parer autant quils le HESPONSABILITK CAPITALE DES ALLEMANDS. '20r> peuvent les nouveaux coups deslinés ù la Prusse, car elle en reçoit déjà qui sont durs. Tout cela est si naturel que nous n'en éprouvons ni étonnement ni oflensc, ni scandale. Que chacun défende ses intérêts et les inlcrôts de son peuple, rien de plus légitime. Mais les nôtres existent aussi, et l'on peut dire avec assurance que l'intérêt français, ccmnio, aussi bien, l'intérèl anglais, est l'antagoniste direct des intérêts gcrniani([ues. Il est donc essentiel de ne pas nous laisser détourner du principal par le secondaire. Une rage autrichienne qui nous distrairait de notre juste indignation contre l'empire allemand serait duperie profonde. Si, comme il faut l'espérer, l'Italie et la Roumanie, nos cousines de langue et de race, se décident à taper dans le tas des Germains, libre à elles de viser au corps autrichien ou hongrois, contre lequel sub- sistent leurs griefs historiques. Mais ne perdons pas notre ligne. Notre ligne vise Berlin. Une diversion serait peu politique et aurait le grave inconvénient de nous brouiller avec la vérité et avec la justice. Car le vrai est que le premier res- ponsable de la guerre n'est pas l'Autriche, c'est l'Al- lemagne. Il est donc juste que l'Allemagne reçoive la première le châtiment, et capital. Ceux qui ont suivi de près la politique extérieure en juin, juillet, août, le savent du reste. Une preuve nouvelle en a été donnée hier, dans le journal qui avait si curieusement défendu les Berlinois en char- geant les Viennois, c'est-à-dire le Figaro. Le Figaro a intitulé son article : « La culpabilité allemande », c'est le résumé et l'extrait des publica- 206 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. lions vengeresses faites à Londres par le ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni : Après frir Edward Goschen, ambassadeur à Berlin, voici sir Maurice de Bunsen qui raconte les prélimi- naires de la rupture — dans une dépêche que le Foreign Office a fait publier hier. Sir M. de Bunsen démontre que, même après le rejet par l'Autriche de la réponse de la Serbie à son ultima- tum, les négociations entre TAutriche et la Russie se poursuivirent toujours d'une manière parfaitement amicale. Jusqu'au 1" août, l'accord paraissait presque en vue. Ce jour-là, l'ambassadeur de Russie, M. Schebeco, fit savoir à sir M. de Bunsen que le comte Szapary, ambassadeur d'Autriche à Saint-Pétersbourg, avait informé M. Sazonoff que l'Autriche consentirait à sou- mettre à une médiation les points de sa noie à la Serbie qui paraissaient violer le maintien de l'indépendance serbe. Malheureusement, ces conversations amicales entre l'Autriche et la Russie furent interrompues par l'Al- lemagne, qui intervint le 51 juillet par les ultimatums qu'elle adressait à Saint-Pétersbourg et à Paris. Sir Maurice de Bunsen ajoute qu'un délai de quel- ques jours aurait probablement épargné à l'Europe une des plus grandes calamités de l'histoire. Le crime est l'œuvre de Berlin. Il est l'œuvre de tous les organes vivants, cerveaux ou entrailles, de la politique et de la nationalité allemandes. Tous les peuples allemands et non le seul peuple prussien, toutes les classes allemandes et non pas les seules classes militaires, nobles ou possédantes, ont tenu leur rôle (moralement inégal mais en réalité très convergent) dans les infamies de cette agression. Au cours d'une claire et mélancolique étude faite RESPONSABILITK CAPITALE DES ALLEMANDS. 207 au Daily Chronicle el reproduilo à Yllwnanité, In chef des socialistes belges, M. Emile Vandervelde, se domandanl si Karl Liobcknecht est fusillé ou sert comme officier de réserve, répond : « Il se peut que « Tune et l'aulre de ces conjectures soient exactes >. Vandervelde essaye de penser que, un soldat sur trois étant socialiste dans l'armée allemande, cette armée doit se battre mal et à contre-cœur. Il n'en est malheureusement rien : nous savons que les Alle- mands se battent bien, du moins partout où ils voient encore briller le cher appât de la victoire ; ce tiers de défections morales vues en rêve n'existe pas en fait, nous n'en avons du moins aucun indice, aucune nou- velle. L'Allemagne reste encore unie. Pour faire tète, elle fait corps. C'est d'elle, tète et corps, qu'est venue la perturbation de l'Europe et du monde. C'est elle, tête et corps, qui doit l'expier. Quand elle passera aux assises de l'univers, il y aura peut-être lieu de lui demander si, au 28 juin, derrière les assassins de Serajevo n'étaient pas em- busqués les instigateurs du pangermanisme. Cette hypothèse qui me fut communiquée i\ la mi-juillet manqua de faire sourire; en tout cas, l'on haussait les épaules : ferait-onde même aujourd'hui*? 1. Le lendoniaiii, '20 septembre, nous tirions du Times l'importante déclaration qu'il faudrait porter • nos armes victorieuses au rœur de la nation ennemie » non pour la dévaster, mais pour la juger et briser •■ sous les Tilleuls » '. le rêve fou de la domination du monde. » CONTRE LA CATHÉDRALE DE REIMS 20 septembre 1914. Le lève fou d'anéantir la résistance par i'intimi- dation avait su décréter en ces âmes simples et basses l'incendie et la mise à sac de Louvain. Et voici que l'écroulement d'une folie dont les malheu- reux désespèrent les a déterminés à un autre acte de sauvagerie méthodique, au bombardement de la cathédrale de Reims! Ils ne rêvent plus de nous faire reculer et capituler. Ils songent simplement à nous faire payer le plus cher possible, par un dom- mage aussi définitif que possible, rhumiliation de la défaite de leur puissance. Ne pouvant rien avoir en France, ne pouvant y rester, ils y cassent tout. En- core n'est-ce pas le mot : ce qu'ils détruisent est expressément choisi parmi ce qu'on leur a dit être le plus noble, le plus précieux. De ce prix, ils ne savent rien. S ils le savaient par eux-mêmes, si ces hautes merveilles leur parlaient un langage qui leur fût perceptible, ils les respecte- raient comme un bien commun à tous les hommes et ils se garderaient de tarir une source de joie qui coulerait aussi pour eux. Tirer sur les flèches de lart médiéval, qu'on le dise gothique, qu'on le dise français, ce serait, pour des civilisés, tirer sur soi- même. Mais ces rustres épais ne connaissent Ihon- neur de l'intelligence, de l'histoire et de l'art que par la surface et l'écorce. Ils ont entendu dire, ils ont lu sur les guides et sur les catalogues qu'un CONTRE LA CATHÉDRALE DE RELMS. 203 chef-d'œuvre était unique au monde et ne pouvait se remplacer : il n'en lallait pas davantage pour décider en eux d'un irréparable malheur. Les Turcs n'ont pas raisonné plus sommairement devant l'Acro- polo d'Athènes. Qu'ont-ils fait, qu'onl-ils fait devant l'Acropole française ! Ces obus qui se sont abattus sur la cathé- drale du Sacre, qu'ont-ils brisé ou défoncé de l'église de Jeanne d'Arc? L'esprit, les yeux se voilent, il se produit en nous comme une qualité de larmes nou- velles à la pensée de ces destructions faites à jamais! Au lendemain du jour où l'Institut de France appre- nait que Chantilly est intact, le bombardement du plus national et du plus mystique de nos Lieux saints apporte un deuil inattendu devant lequel l'imagina- tion demeure d'abord écrasée. Mais cette stupeur se changera en colère : cette colère sainte, on nous la payera. LE GÉNÉRAL DE CASTELNAU GRAND-OFFICIER Toute la France adresse au général de Castelnau un hommage de reconnaissance et d'admiration. Déjà, l'attitude héroïque du général recevant la nouvelle de la mort de son fils et continuant à dicter des ordres en murmurant qu'il n'avait pas le temps, a ému dans ses profondeurs la fibre française. Au- jourd'hui, l'esprit national est satisfait de constater une fois de plus que ce grand cœur anime une pensée de chef, et qu'on peut honorer en Castelnau l'un de ces hommes dont toutes les parties sont de premier ordre et dans lesquels la race reconnaît avec un fier amour ses dignes enfants. 14 UNE DÉMENCE 21 septembre 1914. Il importe de dénoncer, je ne dis pas au patrio- tisme, je dis à la raison, je dis à l'instinct de conser- vation du peuple français, l'échange de lettres qui vient d'avoir lieu entre M.Alfred Naquel et M. Gus- tave Hervé. Le texte de ces deux documents est dans la Guerre sociale du samedi 19 et du dimanche 20 septembre. Tout patriote réfléchi les lira, les méditera, les conservera et sera désormais fixé sur un genre de folie politique à surveiller de près. M. Alfred Naquet expose les alarmes que lui ins- pire la renaissance du patriotisme auquel M. Gus- tave Hervé prend part. De ces alarmes, les unes ont trait à la vie intérieure du pays, il redoute un retour au Concordat, la rentréa des sœurs dans les hôpi- taux, la revanche du cléricalisme, eic. Comme M. Hervé écarte d'un revers de main, presque sans discussion, « ces vaines alarmes y (car il est un peu là, M. Gustave Hervé), négligeons aussi cet aspect du problème abordé. Aussi bien, c'est dans la ques- tion extérieure que MM. Naquet et Hervé révèlent et formulent la démence que l'on va voir. M. Naquet a jadis fait connaître son sentiment sur la France. Il a souhaité qu'elle se donnât en sacri- fice au genre humain : quand l'éclosion de la dé- mocratie entraînerait la disparition de la nationalité française, eh! bien, ce ne serait pas trop cher pour M. Naquet. Cette opinion n'ayant plus cours par la À UNE DI-MENCF:. '21 1 faute de l'empereur allemaud (jui nous a mis dans la nécessil('' de nous défendre, iM. Naquet se décide cl approuver la guerre : « Allons-y car renient, avec l'enthousiasme naturel de notre race ». On ne savait pas que la race juive à laquelle M. Naquet appartient se confondit avec la race bretonne de M. Gustave Hervé. Mais, ajoute M. Naquet, « Veillons au grain, conservons soigneusement nos positions. » Il faut sauver la patrie menacrc, « cest entendu », mais il faut aussi sauver l'esprit de la Révolution. Cet esprit peut permettre l'écrasement du milita- risme prussien à Berlin, comme le veulent les An- glais, qui « ont raison » : « Une doit pas rester pierre sur pierre de l'Empire allemand et de l'Empire d'Au- triche ». Complétons l'Italie, la Serbie, la Roumanie, reprenons l'Alsace, rendons Posen à la Pologne, le Slesvig et le Holstein au Danemark, mais, spécifie M. Naquet, l'Allemagne une fois dépouillée de ses prises, « ne lui enlevons rien de ce qui est réelle- ment allemand et môme pour lui montrer que nous combattons le gouvernement impérial et non le peuple, si celui-ci a le courage de faire un beau geste et de proclamer la République, laissons les Allemands d'Autriche s'annexer librement à la nou- velle fédération. » M. Naquet s'élève avec vivacité contre le projet « ridicule » de « briser l'unité allemande », d'an- nexer à la France ou à la Belgique « contre leurs vœux » les provinces rhénanes. Cela, dit-il, « frappe- rait de discrédit » les protestations de la France contre l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine. Et cela d'ailleurs ne saurait durer.... M. Naquet fait bon 212 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MfiME: marché de tout ce que l'histoire et la géographie auraient dû lui apprendre tant sur la fragilité des unités allemandes que sur la facilité extraordinaire avec laquelle les villes rhénanes de langue germa- nique se sont, à plusieurs reprises, unies à la France. Un respect fétichique de l'unité allemande se con- fond pour lui avec le culte de la République et la religion de la démocratie. La réponse de M. Hervé était attendue sans curio- sité. On l'aurait écrite à l'avance. Tout le monde prévoyait qu'il y manifesterait son impavide aplomb, né du détachement absolu du vrai et du faux, du droit et du tort, d'un mépris complet de l'histoire et de l'expérience, enfin de celte grosse rhétorique simpliste qui, pour faire disparaître une difficulté réelle, se contente de mettre l'objection dans sa poche.... Pourtant, nous n'osions espérer que la réponse de M. Hervé serait aussi exactement con- forme au questionnaire de son « maître et ami », M. Naquet : M. Hervé écrit : ... Quand le peuple allemand aura vomi ses Hohen- zoUern... [Ce peuple les vomira-t-il? M. Hervé n'en veut pat, douter. M. Naquet se contentait de rêver un beau geste républicain de l'Allemagne. Ni l'un ni l'autre n'adopte notre programme radical : détrôner les Hohenzollern, morceler la Prusse, Berhn ville libre.] ... Quand le peuple allemand aura vomi ses Hohen- : zoUern, on voit mal l'Angleterre et la France assez folles pour refuser à la Confédération germanique UNE DÉMENCE. 213 reconstituée les dix millions d'Allemands qui lui reviennent. Touchera l'unité nationale allemande au moment où l'Italie, la Serbie, la Pologne, la France elle-même se battent i)our la liberté des nations, serait un tel crime et une telle imbécilité que jamais, etc., etc. Nous ne savons pas quelle notion peut avoir M. Gustave Hervé du crime politique ou moral. Pour l'imbécililé, nous allons la lui faire admirer dans ses propres colonnes. Le même numéro de la Guerre sociale, qui publiait la lettre de M. Naquct, renfermait aussi une lettre d'un révolutionnaire ita- lien, mazzinistc ardent, partisan d'une République romaine, coreligionnaire étroit de M. Gustave Hervé. Ce « cousin italien », comme il s'appelle, et qui signe Fabrice Romano, écrit la table des volontés du peuple italien, c'est-à-dire des siennes et de celles de son parti. Ce programme, en trois articles, annonce la reconstitution de la « véritable unité italienne », avec le « Trentin, Trieste et l'Istrie ». L'Istrie? M. Romano s'aperçoit tout de suite que l'Istrie, dont les seules villes comprennent deux tiers de la population slave, croate ou slovène, et dont les campagnes sont toutes slaves, ne fait guère partie du territoire de l'Italie! Aussitôt il inscrit ce repentir plein de saveur : L'Istrie, non pas par gourmandise, mais parce que la paix future (nous voulons tous, n'est-ce pas, cousin de France, que la guerre actuelle soit la dernière guerre?) a des nécessités politiques et géographiques qu'il faut absolument respecter. Ainsi la raison d'Étal grimée de pacifisme inspire 214 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. au révolutionnaire italien la ferme volonté d'occuper une terre non italienne et d'en dépouiller le voisin. Ces nécesHtés politiques sont mieux spécifiées encore à l'article suivant du même programme : Enfin, Avlona (Valonej, étant le Gibraltar de l'Adria- trique, le peuple italien est disposé à la laisser occuper par la monarchie italienne, bien qu'il lui soit déplaisant de piétiner sur le bien d'autrui. Il se pliera devant une nécessité qui lui est démonlrée inéluctable. C'est le journal de M. Hervé qui souligne ces derniers mots en les enregistrant sans la moindre protestation. M. Hervé admet, et sans doute aussi M. Naquet, que la prise de possession par le peuple italien et la monarchie italienne (S.P.Q.R.) du Gibraltar de l'Adriatique soit une « inéluctable né- cessité ». Mais le même malheureux homme crie à la folie, au maboulisme, à l'imbécilité si, pour mettre a Bête allemande hors d'état de nuire, la France, la Belgique, l'Angleterre s'assurent de territoires ou de têtes de pont sur le Rhin; si ces puissances attaquées dans des conditions odieuses, dévastées avec une furie et une barbarie sans exemple, prennent des précautions contre un regain militaire allemand, contre l'unité politique, condition de ce regain; ou si même elles songent à refuser à dix millions d'Allemands d'Autriche la faculté de faire corps avec soixante ou soixante-cinq millions d'Alle- mands prussianisésl M. Hervé ne dit pas que ces précautions sont, à son avis, exorbitantes, il ne les discute pas, il ne les examine môme pas, il tient qu'elles n'existent pas : des nécessités politiques et géographiques, qu'est-ce que cela pour la France? UNE DÉMENCi:. '215 L'argumeiil qui valait loul à l'heure pour ritalic s'efTondre aussilôl. Gela n'existe pas. Cela ne peut pas exister, et Ton peut en jurer, M. Gustave Hervé n'y a jamais pensé. Il y pensera demain. Il cherchera, pour s'évader de la sotte prison cju'il vient de construire, le formu- laire de quchjuc blague nouvelle, de quelque so- phisme nouveau. Mais le peuple français qui n'est pas une béte, n'a pas envie de faire plus longtemps lo dindon de ces farces humanitaires. Ce qu'Hervé n'a pas vu, la nation le voit aussi clairement que le sublil révolutionnaire venu d'Italie pour illustrer le beau texte de M. Alfred Naquet et Gustave Hervé : ce n'est pas pour créer une plus grande Allemagne que nos pauvres soldats reçoivent, ces temps-ci, l'orage du fer et du feu! LE PÉDAGOGUE HOMME D'ÉTAT I 2'2 septembre 1914. M. Gustave Hervé vient de donner sa malédiction ou plutôt son pensum aux vandales de Reims. Nous sommes au collège, écoliers d'origines, de conditions, de traditions, d'habitudes sensiblement analogues. L'un de nous a commis une action indigne. On pourrait le priver de goûter, de sortie ou de récréation. Mais on veut que son châtiment serve à stimuler chez lui le sens de l'honneur et à l'exalter chez ses camarades : on le prive de prendre part à la souscription pour les pauvres de la ville. Professeur défroqué, M. Hervé voit toujours les nations rangées devant lui sur les bancs. L'Alle- magne a élevé des hannetons dans le pupitre ou fait au professeur une niche démesurée. Détruire ' Louvain, brûler Reims équivaut à ces aimables espiè- gleries pour M. Hervé. Or, celui-ci, sage Mentor et prudent Ponocrates, sachant que le cœur de l'homme allemand est un noble cœur, le condamne à rougir devant son miroir. Voici les « représailles » que veut exercer M. Gustave Hervé ; le monde entier sera admis à souscrire pour la reconstruction de Lou- vain, pour la restauration de la cathédrale de Reims, mais le Germain (hou! hou! le vilain!) sera privé du droit de vider sa bourse pour cette bonne œuvre! Entendez-vous le chœur des Goths, des Huns et L1-: l'tiUAGOGUE HOMME D'ÉTAT. '217 des Vandales, qui ne savent fçuère que ce refrain animal, mais le savent bien : La pônilonce est douce Nous recommencerons De sorte qu'à leurs prochains ravages, les Ger- mains non châtiés, non ramenés aux lois que veulent lui forger tous les Européens sérieux, non soumis à une discipline analogue à celle qu'ils reçurent de Richelieu et de Louis XIV el qui les avait rendus à peu près convenables en 1814 et 1815, passables encore en 1870, les Germains dû- ment cultivés par la pédagogie du Peslalozzi de la Guerre sociale, traiteront Paris et Amiens, Chartres et Rouen comme ils ont fait de Louvain el de Reims, si bien que, ces nouvelles sauvageries bien consta- tées, M. Gustave Hervé désespérera d'en châtier les auteurs, à moins de les combler d'exemptions, de bons points et de toutes les sucreries que vend le portier. J.-J. Weiss disait que la République conservatrice était une bêtise : la Révolution en est une autre. Et les sombres bétas qui nous la recommandent n'ont pas encore compris qu'ils font les généreux avec un or, et avec un sang que les autres ont ensuite à verser pour eux ! ENTRE FRANÇAIS 23 septembre 1914. TROIS POINTS D'ACCORD VHumanité d'hier matin a publié des « impressions d'un témoin » rédigées par un ami de ce journal et publiées en première colonne, ce qui montre assez l'importance attachée à ce témoignage ou à son au- teur. On y lit trois faits dont je prendrai acte. Premier fait : Il est nécessaire de noter que les Allemands ont tiré, à Soissons sur une ambulance et qu'ils y ont fait des victimes. Les socialistes paraissaient vouloir se distinguer de nous jusqu'ici en soumettant à un doute systé- matique, et sans raison déterminée, tout ce qui était dit de la façon allemande de conduire la guerre. Les Allemands étaient présentés par eux comme une nation pareille aux autres, composée de frères que nous avons tort de haïr en bloc. Du moment qu'ils enregistrent ce premier témoignage de leur ami, ils doivent être plus disposés à se ranger à l'opinion de ce journal anglais qui, pour apprécier la destruc- tion de Reims, s'est contenté de dire : « C'est un acte allemand ». Fait numéro deux : Autre fait bon à marquer : Toute la route suivie par l'envahisseur était, pour ainsi dire jalonnée d'usines ENTRE 1-RAN(„:AIS. 21'.) allemandes dont le personnel était allemand et mobi- lisable. A la Ferté-sous-Jouarre, il y avait une usine de lampes électriques ; à Soissons, une fabrique de revol- vers. L'armée allemande est donc merveilleusement renseignée par les ouvriers qui travaillaient, pendant la paix, dans ces maisons et qui connaissaient à fond le pays. Les plus vifs censeurs de Y Avant-Guerre, les plus âpres défenseurs de certains espions légitimement débusqués par Tautorité civile et l'autorité militaire étaient les socialistes. Mais la réalité vient de les saisir ! Le livre de Léon Daudet en main, ils pour- ront constater que ce qu'ils voient et disent aujour- d'hui y était prévu etpréditdèsla rai-septembre 1911. Demanderont-ils à Sembat et à Guesde de faire dé- cerner à Léon Daudet une des croix du champ de bataille? Troisième fait : J'ai causé avec nos soldats. Ils sont pleins d'en- train et de courage, approvisionnés de tout le néces- L'incurie de l'administration de la guerre et le dénûment de nos troupes paraissent devoir redevenir un des lieux communs favoris de l'opposition révo- lutionnaire ; on est heureux de pouvon' leur opposer le démenti formel d'un journal aussi autorisé que VHinnanilé. LA LETTRE D'ANATOLE FRANCE A la clarté des flammes qui dévorent le plus haut lieu de lu religion, de l'art, de Ihitoire de la Patrie, 220 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Anatole France ne doute plus que nous ayons devant nous des barbares et que nous soyons les soldats du du genre humain. Il prévoit une longue guerre. Il veut que nous soyons « formidables et magna- nimes ». Mais comme la lettre qu'il a écrite pour cette déclaration paraît vouloir récompenser M. Gus- tave Hervé des monumentales bêtises que le direc- teur de la Guerre Sociale a écrites tous ces jours-ci, il en ressort avec clarté que la grandeur d'âme devra consister à traiter un peuple barbare comme s'il était civilisé et à le combler de présents que ce demi- homme, cette espèce de faune encore mal tiré de la fange natale, retournerait infailliblement contre nous et contre lui-même. On laisserait des- armes dangereuses à l'enfant sauvage ! On remettrait au nègre blond le moyen de reforger et d'utiliser les terribles engins de la foudre et de l'air! Puis, à l'explosion nouvelle, une nouvelle et belle lettre de M. Anatole France porterait jusqu'au bout du monde l'harmonieuse flétrissure de cette barbarie. Si pareil malheur arrivait, le barbare ce serait lui. Ce serait Anatole France en personne. Et sa barbarie ne serait pas seulement ignorance, elle n'aurait pas seulement foulé aux pieds les leçons de l'expérience et de la raison, elle serait compliquée de cruauté. Les petits soldats de la France tombés de nouveau par milliers dans nos sillons, au cours de la funeste guerre provoquée par l'imprudence d'une générosité mal placée relèveraient vers lui leurs visages sanglants et crieraient. 0, crieraien[-ils, Anatole France, vous l'aurez bien voulu! En entraî- nant le peuple français à « admettre dans son amitié » FNTRr: I HANflAIS. 221 CCS anciens massacreurs barbares de nos pères et de nos grands-p('res, vous leur avez donné de nouveaux espoirs de carnage, de nouveaux moyens, et de nou- velles possibilités de massacres; c'est de votre folie atroce, philanthrope cruel, que ces ruisseaux de sang découlent comme de leur source. Vous n'aurez pas voulu mettre les Allemands dans l'impossibilité de nous nuire. Regardez, regardez, ce qu'a voulu, par contre, votre abominable bonté ! Mais j'espère que ces cris horribles ne s'élèveront pas. On n'écoulera ni France, ni Naquet, ni Hervé. On entendra la voix irritée des Françaises, mères, épouses, sœurs, qui veulent bien être généreuses et sacrifiées, mais non point sottes, non point dupes! L'une d'elles dont le fils en est à sa troisième bles- sure depuis six semaines de guerre nous écrit que « jamais le peuple français, si épris soit-il de cha- « rite et de bonté envers les faibles, ne consentirait « à recevoir dans son amitié au lendemain de l'écra- « sèment de son mortel ennemi, les bandits qui com- « posent actuellement la horde de Guillaume, assas- « sin de femmes et d'enfants et destructeur de cathé- « drales.... » Le peuple romain, dont France veut invoquer les précédents en faveur de Gustave Hervé, « admettait dans son amitié » les vaincus qui s'en montraient dignes. Avant de conférer ses droits, sa justice, sa paix à l'universalité des nations, il avait fait l'édu- cation de la terre habitée ; or, la question qu'on agite depuis des siècles est précisément de savoir si l'Alle- mand n'est pas le plus indécrottable des animaux. Depuis les Othons et les Charles, il en est à sa qua- 2-22 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, trième lentalive d'Empire et celle-ià s'abîme comme les autres, plus que les autres, dans l'absurdité et dans l'infamie, en infligeant à la civilisation le recul le plus complet qu'elle ait eu à subir depuis seize cents ans. Ce peuple allemand qui, selon l'expression toute latine de M. Balfour, sait créer la puissance, mais ignore l'art d'en user, doit être rappelé à sa loi immémoriale qui n'est que de rendre des services de second plan : au bout d'un siècle d'obscures obéis- sances, le temps viendra peut-être d'examiner s'il est possible d'accorder un sourire à ce serviteur'. l. L'auteur des Dieux ont soif n'a pas tardé à voir à quel point une parole imprudente l'avait isolé et trahi. Cinq jours plus tard. la Presse publiait de lui une nouvelle lettre qui rétablissait sa pensée. A ces malheureux mots " l'amitié du peuple français » assurée aux gens qui massacrent les en- fants et brûlent les villes, un long frémissement avait reformé l'unité de l'esprit public. J'en veux donner ce témoignage qui m'arrive d'une province reculée en pleines Cévennes. Un père de famille écrit : « Nous dînons à sept heures. Pendant le repas, je lis le journal pour tout ce qui reste de la famille, ma femme et mes trois plus jeunes enfants, les trois aînés étant à la guerre, sur le front, en train de batailler contre les Alle- mands. « Hier, après avoir lu, dans YAclioii française du mercredi 23 septembre, votre article sur la lettre d'Anatole France, ma femme s est levée et, dans une sainte colère : — Je t'en prie, a-t-elle dit, écris à l'Action française et dis bien que nous consentons à offrir à la France la vie de nos trois chers aines : mais à la condition que leur sang ne soit pas inutilement versé et que leur mort serve au démembrement de cette race maudite, de ce bandit de peuple allemand. •• Ces deux parents français, ce père et cette mère, témoins vénérables de la cité, et pénétrés des sentiments de l'huma- nité véritable, souffrent plus à vif que personne du fléau de la guerre, puisque trois de leurs enfants y sont personnelle- ment hasardés. Mais pour supporter la pensée de tels ENTRE FHAXfJAIS. 2'i.> malheurs, pour concevoir l'image de pareils sacrifices, ils ont aussi besoin de les savoir utiles. La guerre, hi^las, oui! mais, en vue de la paix, de la i)aix durable et prospère, non de ces perp(^tuels recommencements auxquels voudrait nous exposer une politique d'irréflexion. C'est ce que M. France ne pouvait tarder à sentir. Il écrit, cette l'ois : « Ne détournons pas notre pensée de nos soldais, plus grands que leurs grands ancêtres, et dont le courage fera l'éternel émerveillement du monde. « Beaucoup sont tondjcs : il en tombe au moment où j'écris, et celte idée fait trembler ma main; d en tombera encore, hélas! Du moins, le sang de ces jeunes hommes et les larmes des mères n'auront pas coulé en vain. Il en naîtra la victoire, et ce sera le triomphe de la justice et de la liberté. « Avec quelle tendre admiration, quelle pieuse reconnais- sance nous contemplons ces héros qui, par un eflort sur- humain allègrement accomi)li, par le sacrilice de leur vie encore en sa belle nouveauté, délivrent la patrie d'un ennemi monstrueux et sauvent l'Europe de la barbarie! « Par eux, la victoire est assurée. Et (qu'on soit sans in- quiétude à cet égard) nous exigerons de l'Allemagne toutes les réparations, toutes les restitutions dues, toutes les ga- ranties nécessaires. » M. Anatole France admet « toutes les garanties néces- saires »? 11 n'y a plus qu'à débattre si l'on peut réunir ces garanties en dehois d'un démembrement de l'Allemagne. Pure question de fait que chacun devrait pouvoir étudier en paix, et sans que personne s'échaulTe. M. Anatole France a parlé ailleurs de 1" ■< exécrable unité • de nos ennemis. RELIGION, PATRIE, POLITIQUE 24 septembre 1914. M. Arthur Meyer a jugé « certainement inexact » que M. le ministre de l'intérieur ait « invité les pré- fets à surveiller de près le réveil de l'esprit religieux et nationaliste en France. » M. Arthur Meyer est plus près que nous de M. Malvy. Mais nous ne croyons pas qu'il y ait en ce moment sur le terri- toire français un fonctionnaire assez simple d'esprit pour se soucier de combattre l'inévitable. Quand des centaines de milliers d'hommes ont de fortes raisons de se demander s'ils seront morts ou vifs à la minute qui va sonner, il paraît naturel que le tour de leur esprit prenne la grave direction des médita- tions religieuses : l'indifférent d'hier devient ainsi le pratiquant d'aujourd'hui. De même quand le der- nier bien de l'homme terrestre, qui est la faculté de respirer l'air et de voir le ciel, est tous les jours exposé et sacrifié tout entier, jusqu'au dernier re- gard et jusqu'au dernier souffle, il n'est pas moins naturel que le premier objet de ce sacrifice complet, la Nation, la Patrie, prenne de ce fait une valeur croissante à ses yeux. Ce qui étonnerait un bon es- prit c'est que ce double réveil religieux et nationa- liste ne se produise pas! Ce qui étonnerait davantage, c'est que MM. les préfets puissent l'empêcher. Quant aux reproches de particularisme politique, il est juste de les mépriser. Nous avons fait ici le crédit le plus large, l'apaisement de l'amnistie la I{K[.IGI()N. PATHir:. POLITIOUE. Il:, plus généreuse. Ce n'csl pas d'ici que parlent les criliquesau gouvernement civil et au gouvernement militaire. Nous nous sommes au contraire appliqués h faciliter leur rude tAchc de notre mieux. Nous avonsapprouvé et soutenu le dé[)art pour Bordeaux. Et nous approuverons et soutiendrons de même tout ce qui pourra être soutenu et approuvé. Assurément, on ne saurait empêcher les Français, qui .sont hommes et doués de raison, de réfléchir sur le jeu des elîets ou des causes, de rechercher d'im- personnelles vérités. Stimulés par le patriotisme, illuminés par des événements décisifs, ils étudient les conditions où les a placés la démocratie républi- caine. C'est les servir, les servir tous, que de les aider à débrouiller ce problème d'intérêt vital. Nous y portons des sentiments d'impartialité et de cordia- lité qui sont peu contestables et auxquels bien des adversaires ont rendu justice. D'autres, il est vrai, se trompent ou manquent de justice, tel M. René IMillet, s'il parle de nous, (juand il attribue à des « réactionnaires » la prétention « d'imposer leur Credo ». Nous n'avons jamais rien imposé. Nous avons proposé des sujets de réflexion qui sont d'une utilité publique pressante. Il nous est arrive de plaindre ces temps-ci quelques esprits un peu trop faux. Nous ne croyons pas que depuis le désarme- ment du 5 août « devant l'ennemi » on ait pu relever dans nos colonnes un seul trait de nature à mettre en cause les volontés de qui que ce soit. Comme le dit un correspondant étonné de notre mansuétude, nous « avalons héroïquement notre chique », mais nous l'avalons. 15 2'26 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. En revanche, je puis montrer une publication qui s'intitule la Paix par le Droit et qui continue à nous l'aire une guerre violente, dont l'expression juridique est formulée ainsi : « Quand leur nationa- lisme est autre chose que l'étiquette à jjeine men- songère d'un parti de réaction politique.... » L'au- teur de cette calomnie est le professeur Th. Ruyssen le fameux adversaire de la loi de trois ans, de la loi de salut. Or dans ce même article où il nous calom- nie, M. Piuyssen écrit cette élégante et froide anti- thèse : « Malheur à V Allemagne si ce rêve [de notre Revanche] se réalise! Malheur à nous sHl échoue! ■» Le malheur à l'Allemagne et le malheur à nous sont donnés à égalité.... Je n'ajouterai pas une syl- labe de commentaire. Je m'en tiens à notre consigne du 5 août : « Devant Vennemi\ » ({ MES SOCIALISTES )> C'est le nom que donnait Guillaume II à la sozial- demokratie. La presse italienne, qui reçoit de nom- breuses communications de Berlin^ nous apporte d'utiles vérifications du propos impérial : On télé- graphiait de là-bas à la Tribuna de Rome le 17 sep- tembre : Les socialistes sont entrain dans ce moment-cid'éta- blir le compte des socialistes inscrits qui se trouvent actuellement sous les armes. Dans le district de Magdebourg (Ânhaltj, sur 28 642 membres du parti, 9162 sont sous les armes, parmi lesquels 489 dirigeants et hommes de confiance des syndicats, lesquels, dans des centaines d'endroits, ont été appelés sous les armes au complet. Dans ce seul district les socialistes suffi- HtLKlION, PATHIE, POLITIOUE. ti'J7 (iraient à lonnei' trois régiments sur le pied de guerre. VOsservalore Romano a reçu de Berlin celle dépêche, daté du 18 : Le député bocialisle .au Reichblag Weudel qui, il y quelques mois, terminait un de ses discours du Reichstag ;iu cri de: \'ive la France! écrit entre autres chosesau W'orwacrts: «Dès le commencement je me suis mis à la disposition complète des autorités militaires et je suis entré à mi-août dans un bataillon de la landsturm à Francfort-su r-le-Mem. « Je ne voulais pas rester assis à mon foyer tandis que le peuple entier combat pour lexistence. » Wendel ajoute quen dernier lieu il a été huit jours en Bel- gique. Les socialistes allemands sont patriotes en Alle- magne comme les socialistes français sont patriotes en France. Et cela confirme la vérité sur laquelle l'Action française s'^st constituée au mois de novem- bre 1899 : les intérêts que représente la communauté de classe ou la communauté de profession sont de beaucoup moins actifs et moins capitaux que les intérêts représentés par la communauté de patrie. Le cercle national, moins étendu que l'autre, est de beaucoup le plus important. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire des réformes sociales. Cela veut dire qu'il faut les faire dans l'enceinte de la nation et relativement à l'ordre, au bien-être et au progrès de toute la nation. Les relations interna- tionales elles-mêmes dépendent de la vertu et de la force des nations en présence. C'est donc par là qu'il faut commencer. Le Nationalisme ne dit pas autre chose. 228 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. LA MANŒUVRE EN EUROPE Dans un discoui's énergique, suivi d'une conver- sation non moins nette avec un rédacteur du Gior- nale (Tltalia, le chef de l'Amirauté anglaise a fait connaître une fois de plus à l'Europe la décision de l'Angleterre d'en finir avec la brutale Allemagne. II a môme ajouté qu'on allait voir la France replacée à son rang en Europe. Nous sommes convaincus que la France saura, en effet, se replacer elle-même à ce rang. L'adhésion au traité du 5 septembre nous donne une puissante garantie contre nos propres erreurs intestines. Raison de plus, pour nous, de manœuvrer le mieux possible et de nous laisser manœuvrer aussi peu que possible. Un intéressant entretien du ministre de Roumanie auprès de l'em- pereur de Russie, dont on verra plus loin le texte, montre avec beaucoup de clarté quelle cause vrai- ment universelle nous défendrons si nous savons défendre nos intérêts'. Mais il importe de ne pas les laisser couler à A^au-l'eau! Justement parce que les circonstances sont favorables, on peut avoir envie de nous traiter en fils prodigues, de nous frapper d'hypothèques démesurées. On lit par exem- ple au Corriere délia Sera du 19 la traduction d'un article inouï, publié par M. Xenopol, professeur à 1. De passage à Horae, M. Diamandy minisire de Rouma- nie à Pétrograd avait montré que, dans le cas d'une vic- toiic allemande, les Roumains pris dans un Zolverein serait vassaux chez eux et brutalisés en Hongrie. Au contraire, l'Entente représenterait un équilibre, un jeu élastique d'intérêts. RELIGION, PATRIE, POLITIOUE. 2'29 l'Université do Jassy, duns le journal romain VAclc- vcriil, qui porte des paroles d'autant plus surpre- nantes qu'elles viennent d'un ami connu de la France : Si l'Italie larde à se lancer contre l'Aulriche, évidem- ment cela n'est pas pour des raisons d'ordre moral et juridique international, maispour des raisons d'intérêt. Un diplomate italien me disait qu'en gardant la neu- tralité, l'Italie aura fait tout ce qui était possible. La France ne peut pas lui demander davantage gratui- tement. 11 ajoute : Si la France fait quelque sacrifice territorial au profit de l'Italie, le sacrifice sera compensé parle bénéfice de l'alliance contre l'Autriche qui affaiblira indirectement l'Allemagne son ennemie. Contre ce bénéfice indirect, des sacrifices territo- riaux directs ! Voilà qui semble découvrir des dents un peu trop longues. Mais il ne serait pas juste d'in- terpréter ces indices au pied de la lettre. L'opinion italienne ne peut faire de tels calculs. L'interven- tion en faveur de la France est réclamée avec une vivacité croissante non seulement, comme on le dit trop exclusivement à Paris, par les groupes socia- listes de VAvanli, mais par le jeune monde nationa- liste dont l'organe hebdomadaire, ïldea Nazionale, est devenu quotidien, ce qui est un bon signe de progrès, d'action, d'influence*. Ces champions d'une 1. Le dernier numéro hebdomadaire de YIdea nazionale, 17 septembre, en insistant pour l'intervention, parlait en ces termes « des écrivains et des disciples de VAction française » : « Personne n'a tenu avec plus de noblesse et de fierté le poste de combat délibérément choisi par eux dans l'àpre rjO LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Renaissance italienne sont trop intelligents pour ne pas sentir qu'il est inutile de se chamailler entre alliés possibles : leur pays se paiera, le plus tranquil- lement du monde, sur la dépouille opime du Tudesque vaincu, abattu et mis en morceaux. DU DANGER DES ESPIONS M. Gustave Hervé parle moins avantageusement depuis quelques semaines du consulat austro-alle- mand ouvert d'abord à grand fracas dans les bu- reaux de son journal. Mais à propos d'une mesure officielle très légitime, la revision des permis de séjour des étrangers à Paris, il déclare dans la Guerre sociale, qui n'a jamais mieux mérité son titre, comp- ter parmi ses relations un certain nombre d'Alle- bataille engagée contre l'optimiste des pacifistes, l'incon- science, la vulgarité et souvent la malhonnêteté des gouver- nants et l'antipatriotisme des socialistes, dans leur généreuse tentative de délivrance et de reconstruction de la conscience nationale. Les faits avec leur éloquence sans réplique ont démontré combien ils avaient raison; mais cela ne saurait diminuer certes, même de peu, la douleur qu'ils soulTrent dans les heures tragiques traversées par la France, heures que leur amour dévoué et clairvoyant du pays, leur passion brûlante pour la patrie n'a pu épargner à la nation. Nous avons le devoir de nous incliner devant la soufTrance de ces hommes, nous qui traversons ces tristes jours dans une anxiété profonde, sachant notre pays absent encore du champ de bataille où les peuples écrivent avec leur sang les pages de leur histoire et s'élancent à la conquête d'une destinée plus glorieuse. « On ne croyait plus à la guerre, tous avaient foi dans la paix.... « L'éloquent collaborateur de Yldea naz-ionale, M. Luigi Silvio Amoroso, n'exagère-t-il pas en quelque mesure le parti pris de désarmement du gouvernement français? Cela n'a été vrai que jusqu'en 1912. mands ou d'Auliichions qu'il ju;,-^*^ omis flo la Frauce. Sans s'ohjcclcr qu'il y en a bien d'antres qui sont nos ennemis, sans prévoir que le lecteur fera l'objec- tion ou qu'il se demandera ce que valent les certi- ficats de patriotisme signt^s Gustave Hervé, il essaie d'introduire, au nom de l'honneur français ou de l'intérêt bien entendu de la France, cet esprit de laisser aller qui nous a fait tant de mal! Après tout, dit-il, les espions ne sont pas « bien dangereux ». Les aéros allemands en apprendraient beaucoup plus à l'état-major ennemi « que tous les espions possibles etimaginables ». Et, le tour, croit-il, étant joué, il revient à la défense de ses espions fa- voris que, par goût du bon ordre, nous ne nomme- rons pas'. Mais nous mettrons sous les yeux du public vingt lignes tirées du Temps. Comme un Bordeaux retour des Indes, ce Temps retour de Bordeaux ne manque pas de bouquet. Le grand journal de la République raconte, d'après un rescapé du siège de Maubeuge, comment l'espionnage allemand n'a pas cessé de miner et de contrarier la défense de cette place forte. Ce que ne pouvaient réussir les aéros allemands les agents de ^.'ll'(7n^G^/e/•re l'avaient fait ou continuaient paisiblement à le faire. Le tir allemand avait été repéré d'avance et très soigneu- sement. Lescaponnièresdufort où se trouvait le soldat dont nous rappelons les impressions ont été détruites dès les premiers coups de canon. Les grosses pièces de siège employées par les Allemands reposaient sur des plates-formes bétonnées faites avant la guerre, sous 1. Les Maggi. 252 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. te couvert de constructions d'industries privées : Vécar- lement des écrous correspondait à cetui des mortiers. La ville elle-même était pleine d'espions. On a découvert un petit téléphone souterrain qui reliait Maubeuge à Jeu- mont, et qui servait à renseigner Tennemi sur tous les mouvements qui se préparaient à l'intérieur de la place. C'est ainsi que pas une des sorties de la garni- son n'a pu avoir de résultat efficace, toutes étant annon- cées par avance aux Allemands qui prenaient aussitôt leurs dispositio7is pour les recevoir. Ces renseignements de fait permettent de mesurer ce qu'il y a d'épaisse niaiserie dans le scepticisme bonasse qu'essaye de répandre M. Gustave Hervé. Il tente de troubler la sensibilité de la France. Il trou- vera dans la raison de ce pays un antagoniste sérieux. VERS L'UNITÉ FRANÇAISE 2Ct septpml)rp 1914. L Action franraise n'a pas d'opinion sur la censure, dont toute la presse dispute. L'Action française n'a pas d'opinion sur le difle- rend de ]\L Lavisse et de M. Hanotaux. L'Action française n'a même pas reproduit l'article où M. Hanotaux se vantait d'être allé organiser la victoire en province, ni larticle où M. Lavisse a si fortement secoué son collègue académicien. L'Action française s'est, en revanche, associée de tout son cœur au deuil de M. Lavisse dont la petite maison natale de Nouvion-en-Thiérache, pleine de souvenirs, pleine d'œuvres et de pensées, a été rui- née par les obus allemands et dans laquelle l'Alle- magne campait hier si elle n'y campe aujourd'hui encore. Il n'est pas un Français de la classe moyenne française, si sa tête a dormi sous le toit paternel, qui ne veuille' ajouter ses regrcls douloureux à ceux que l'Académie vient d'exprimer solennellement à M. La- visse. Seulement l'Action française adressera les mêmes sympathies profondes et les mêmes regrets respec- tueux à Monseigneur le duc de Guise s'il est con- firmé, comme le bruit en a couru, que l'habitation de ce prince du sang, cousin germain de Monsei- gneur le Duc d'Orléans, a souffert au Nouvion-en- Thiérache des dommages pareils et d'égales profa- nations. M. Lavisse est du petit nombre de ceux qui •234 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. ont aimé, senti, raconté l'Histoire de France. S. A. R. le duc de Guise est du petit nombre de ceux dont le nom incarne la continuité de celte belle Histoire. Ah! si ces deux élites celle du sang et celle de la pensée pouvaient enfin se comprendre et se rencon- trer ! L'Action française n'en a point désespéré. Elle poursuit avec une indomptable ténacité son dessein, déjà vieux de quinze ans et toujours en progrès, de réunir en un même effort national cette Maison de France, qui, toujours florissante, représente chez nous les Pères de la Patrie, et la Race des patriotes qui ne sont désireux que de servir la France, de la maintenir, de l'affermir, de l'étendre et de la glori- fier à jamais. Notre dessein n'est qu« d'amener aux premiers serviteurs de la Patrie, aux Princes, une foule sans cesse accrue de patriotes prêts à la servir avec eux. Et si nous pressons les patriotes d'acclamer ces Princes et de mettre à leur tête le Chef de la Maison de France, c'est que nous sommes en mesure de leur montrer que c'est la condition première du bon et utile service de notre Patrie. Ah ! sans doute nous pouvons nous tromper. Mais nos longues années de discussions, d'études, d'expé- rience sont là pour montrer que les chances d'erreur sont, de notre côté, infimes et, du côté de l'adver- saire, épouvantables. Nous n'en triomphons pas. Nous disons à l'adversaire, s'il est Français : — Ami Français, asseyez-vous à cette table ou dans cette chaire, et montrez que nous nous trompons, et si vous ne le montrez pas, nous essaierons de faire VKI5S L'IJMITK l'JUN'CAISE. '2^,5 voir (jue la raison est v(''rilal)leineiit avec nous, afin que vous la suiviez comme nous. Mais voici qu'un article do M. lùlouard Vaillanl qui paraît à V Humanité ce matin, nous annonce que les délégués des anciens combattants de la Commune sont allés faire visite au groupe socialiste de la Chambre pour se plaindre des menées réactionnaires. El pour preuve de ces menées, M. Vaillant cite un article de M. Heinach et un article de M. Arthur Meyer. Sans vouloir remonter aux auteurs de ces deux articles et sans leur demander quelles sortes de jeu ils jouent, je prie M. Vaillant de vouloir bien penser à nos menées à nous. Elles se font à ciel ouvert. Elles consistent à prier les bons citoyens, (juels qu'ils soient, de songer à notre plus grand in- térêt politique commun, qui est la vie de la France et la connaissance des conditions de son salul. M. Vaillant croit que ses adversaires escomptent la défaite. Il se trompe bien tristement! Nous ne rêvons que la victoire. Afin que la victoire soit, nous ne cessons de demander pour les civils et les mili- taires qui sont chargées de veiller à nous la procu- rer, le maximum de liberté, c'est-à-dire d'autorité. Nous faisons ce que l'autorité nous demande. Nous évitons de faire ce qu'elle nous prie d'éviter. Et nous tâchons d'épargner non seulement à nos amis, mais aux citoyens des partis opposés aux nôtres, les erreurs de jugement aussi bien que les erreurs de fait, car les unes et les autres les empoisonne- raient tous. Comment ce progrès des lumières pourrait-il inquiéter des républicains "^ DE BERNE ET DE BALE A SENLIS 27 septembre 1014. Hier, M. Compère-Morel nous avait paru bien prompt à donner créance aux excuses des pri- sonniers allemands. Il nous permettra de le féliciter aujourd'hui du récit qu'il a rapporté de Senlis. Cela est chaud et douloureux comme la chair souffrante d'un peuple broj^é. L'article paru dans la Guerre sociale commence ainsi : Si je n'avais de mes yeux vu les dél^ris encore fumants des quatre-vingts maisons incendiées de Senlis ! Si je n'avais de mes propres oreilles entendu — et de la bouche même des témoins impuissants — le récit émouvant des assassinats perpétrés contre les paisibles habitants de cette petite tranquille sous-pré- fecture, je n'oserais croire à la possibilité de sem- blables forfaits ! M. Compère-Morel énumère les incendies, les vols, les pillages, la cruelle arrestation du maire et des autres otages presque tous fusillés, oprès deux simu- lacres d'exécution.... Le député socialiste s'écrie alors : Ah ! voyez-vous, mes amis, il est des choses qui sont dures à avouer et il est des erreurs qu'il coûte de reconnaître, mais quand, dans ce vaste et lugubre cimetière qu'est devenu Senlis, sur les lieux mêmes où les bandits en uniformes opérèrent, j'ai vécu par le sovivenir ces heures terribles oîi de prétendus êtres humains s'amusaient avec des Français traînés de mur en mur, d'arbre en arbre, que l'on faisait souffrir à DE ISKIJNE I:T DK HAF.K A SENMS. '207 plaisir, avecje no .sais qui;l iiui()iiiii:aljle Siidisiiic, jo uio , suis dit que ceux de notre race seraient incapables de descendre aussi bas et de se livrer à de semblables actes de férocitt?... Et je me suis romémort^ le passé, un passé qui date d'hier ! A mes oreilles tintaient joyeusement les cloches des cathédrales' annonçant la paix aux peuples réconciliés: Devant moi, dans un lointain que les fumées des batailles me permettaient à peine de distinguer, j'ai aperçu les tribunes pavoisées de nos congrès internationaux, surtout ceux de Bàle et de Berne; j'ai pu y reconnaître des silhouettes, mettre des noms sur des visages ! Puis, frémissant de peur, glacé d'une épouvante compréhensible, j'ai eu l'horrible pensée que ceux-là mêmes dont l'apparition fugitive venait de passer devant moi, marcliant derrière le kai- ser et son kronprinz. avait peut-être tenu la crosse d'un des mausers dont la décharge avait enfin abattu les Senlisiens torturés !... Tragique destinée que celle des hommes de foi inlas- sablement attachés à la réalisation du plus noble idéal et dont les rêves tombent brisés sous les coups de l'implacable fatalité. Le cerveau obstinément hanté par la vision d'une humanité réconciliée, ils ont cru que l'incomparable et indiscutable puissance d'une idée maîtresse, jaillie des entrailles d'un monde en travail pouvait préparer l'entente des peuples et leur action commune interna- tionalisée! Gompère-Morcl ne s'est pa.s trompé sur la possibi- lité du progrès humain, mais sur le choix des voies et moyens; son tort fut de croire à l'égalité des peuples ou, plus exactement, à l'égalité des Alle- mands et des Français. Ce n'est pas l'idée de pro- grès qui est fausse, ni l'idée d'une organisation i. Celle de Bàle sans doute. 238 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. sociale meilleure, c'est l'idée, toute dit'tereule, de la démocratie. Là est l'erreur. Là est la déception qui sen dégage comme le fruit de la Heur. Une réorga- nisation du travail équitable est possible, à condi- tion de n'être pas fondée sur le rêve absurde de l'égalité des éléments individuels et nationaux en présence. Mais Compère-Morel est encore loin de compte. Une dernière illusion à laquelle il se raccroche fiévreu- sement c'est l'acte de foi dans la modération per- sonnelle des social-démocrates : il ne les croira déci- dément capables de ces barbaries que s'ils se révèlent incapables d' « abattre le trône » de Guillaume II, « auteur responsable du plus grand crime du siècle », « de réduire à jamais le militarisme prussien à l'impuissance et surtout de proclamer la république allemande. » Compèrc-Murel donne à choisir aux travailleurs socialistes allemands entre la proclamation de la république allemande et le déshonneur d'être associé au crime officiel allemand. On annonce que l'un des chefs du socialisme alle- mand, M. Liebknecht, qui vient de traverser la Belgique, se prépare à réaliser le vœu de M. Compère- Morel. Nous suivrons avec intérêt le développement de cet effort, s'il a lieu. INTERNATIONALISME ET NATIONALISME 2S sciiloiiibre 191 i. A Paris, du niuiiis, il nesl presque plus néces- saire d'aclieler un journal pour connaître les com- muniqués de 5 heures : en entrant au métro, la cou- leur des visages m'annonce distinctement la nuance des nouvelles bonnes ou indécises, joyeuses ou brouillées. Ainsi celairdu temps, nous afl'eclant tous à peu de même manière, imprime jusqu'au fond des cœurs celte vérité essentielle ([ue le plus grand, le plus vi- vace de tous les intérêts temporels qui nous soient communs sont les intérêts de notre patrie et que, de tous les systèmes politiques en présence, un seul l'ourniL un point de départ assuré, le Nationalisme. Pour le cinquantenaire de l'Internationale ou- vrière, qui tombe aujourd'hui, voilik la dure et claire réponse de la réalité méconnue. Au 28 septembre 1804, deux idées secouaient le monde, l'une disant aux hommes : « Unissez-vous selon votre classe, c'est- « à-dire selon votre genre de vie matérielle et votre « degré de bien-être », l'autre : i prenez conscience « de vos intérêts nationaux ». Oui a raison? On ne demande pas aux socialistes de nier l'existence d'un intérêt de classes, ni ses répercussions par-dessus les frontières : on leur dit que cet intérêt est com- mandé, primé par linlérét national. On ne con- teste pas qu'ils soient ni qu'ils aient été patriotes, on leur dit qu'ils se sont trompés sur le degré d'im- 240 LA FRANCE SE SALVE ELLE-MEME. portance du patriotisme, sur le numéro d'ordre à donnera ce sentiment. Hier le patriotisme était jugé égal ou inférieur aux sentiments de la solidarité ouvrière. Aujourd'hui, il faut avouer qu'il est et doit être supérieur. Cette rectification ne devrait inspirer de froissement à personne. Ceux (jui se trompaient sur ce point retardaient Ils ne se trompent plus. Ils avancent donc. Si les intérêts personnels ne s'effor- çaient de passionner et d'envenimer le débat, ce serait la chose la plus simple du monde. POUR BROUILLER LES CARTES IMais le gouvernement des partis offre de trop belles dépouilles et des objectifs trop désirables, trop désirés aux ambitions, aux appétits et aux amours-propres pour qu'un examen désintéressé puisse intervenir aujourd'hui. On s'apphque même, non seulement du côté de certains socialistes, mais dans tous les rangs des divers partis qui ont parti- cipé au pouvoir depuis quinze ans, à arrêter et à bannir tout ce qui pourrait ressembler à une recher- che de cette vérité qui est impersonnelle et impar- tiale, qui n'a ni couleur ni drapeau, qui représente nos suprêmes données du salut national et par con- séquent individuel. A chaque fois qu'une voix calme énonce une idée ou un fait qui soit de nature à porter un peu de lumière sur les points capitaux, tout aus- sitôt des voix haineuses s'élèvent pour se plaindre qu'on rompe la trêve des partis et que Von fasse in- jure à tel ou tel de leurs sentiments.... Vraiment, on rompt la trêve quand on veut établir les conditions d'une paix définitive? On injurie, quand on tire de INTEIINATIONALISMK ET NATIONALISME. 'J'.l l'ombre des faits ou des idées qui font de la lumière? Pour nous, depuis quinze ans, il nous est arrivé bien des fois, au milieu d'exposés un peu arides ou d'invectives un peu Apres, de nous interrompre pour avertir notre lecteur de ne pas s'étonner de notre violence, de ne pas se rebuter de notre sécherese. Il s'agit, disions-nous, de savoir s'il y aura dans les plaines de Champagne des milliers de jeunes Fran- çais pleins de force et de vie brusquement refroidis et ensanglantés parle canon prussien. Nous avons, tout ce laps de temps, fait une course infatigable pour tâcher de faire arriver à toute la nation les rayons des avertissements de salut en avant de la catastrophe. Écoutés seulement en 1911, la catastro- phe nous a gagnés de vitesse. Nous sommes sous ses coups! La fleur de notre jeunesse est fauchée, des convois de blessés sillonnent en tous sens les campagnes de France : croit-on que sous le fléau vérificateur on puisse laisser mettre sur le même pied le mensonge, l'erreur, la fiction et la vérité? Nous voyons les conséquences des premières méprises. Faut-il en laisser découler de plus dures encore? Nous sommes des premiers à nous être rangés aux termes et à l'esprit de « l'union sacrée ». Les premiers nous avons demandé à la presse de modérer ses informations, de les plier à la loi du salut public. S'il nous est arrivé d'engager ou de provoquer des dis- cussions au cours de ces deux mois, ce fut toujours pour défendre et faire respecter cette loi. Si, avant- hier, hier, aujourd'hui, nous nous refusons à nous associer, sous les bannières de Chateaubriand, de Robespierre ou de Benjamin Constant, à une cam- 16 242 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, pagne pour la liberté de la presse en matière poli- tique, c'est qu'il n'est que trop facile de voir que, par ce détour et par cette fissure, toutes les funestes interventions militaires des Clemenceau et de leurs pareils pourront se renouveler. Une nous importe ni desavoir qui tient les ciseaux, ni de calculer quelles sortes de risques nous pouvons courir de quelque côté que ce soit. Nous commençons par admettre tout ce que le souci dominateur de la défense na- tionale nous prescrit d'admettre ; et cela réglé, devant tant de sang, devant tant de larmes, au spectacle de tant de corps massacrés, nous considérons comme un devoir secondaire et pourtant de haute impor- tance, de mettre sous les yeux de nos concitoyens tout ce qui pourra empêcher le retour de semblables maux et de chasser de leurs esprits tout ce qui ris- quera de leur donner pareilles calamités. LA FRANCE JOUERA-T-ELLE AUX ÉCHECS AVEC SON CŒUR? Nous nous réjouissons sans réserve de voir les organes avancés, avec M. Vaillant, désirer une paix solide et, pour qu'elle le soit, une paix signée à Berlin. Nous sommes heureux de voir le Temps stipuler hautement la nécessité de « garanties )».... Si l'on nous agace jusqu'à l'irritation en brandissant, comme paroles de Bible, des propos limitatifs, assurément très vains, tels que « la guerre au militarisme prus- « sien et non au peuple allemand », tels encore que « l'amitié ou la générosité envers les vaincus », si nous nous élevons de toutes nos forces contre ces lieux communs, c'est qu'ils font des erreurs funestes, INTL'nNATIONAl.rSME ET NATIONALISME. 2'm aiitaiit dire en bon français cl en bon latin des er- reursqui sont pleines de funérailles, qui portent avec elles d'autres milliers de blessés, d'autres milliers de morts à venir. C'est h'» ce (|ue ne voient et ne veulent pas voir, dans leur effroyable indiflerence à la vérité, les rhé- teurs innocents qui étalent sur l'échiquier européen la simplicité de leur cœur, les publicistes qui refont dans la lune la carte de l'Europe, en accusant à chaque ligne un étal d'ignorance et de légèreté pire encore que toutes leurs passions de parti. Ils [)arlentde l'incendie du PalatinatparTurenne, selon la version allemande, sans se rappeler tout ce que l'Allemagne avait fait souffrir durant trente ans à nos campagnes*, et ils se gardent d'ajouter (car ce serait témoignage de la promptitude avec laquelle les provinces rhénanes pourraient s'unir à nous) que, vingt-sept ans après l'entrée de Louis XIV à Stras- bourg, l'ambassadeur de Prusse avouait que « les Alsaciens sont plus Français que les Parisiens » et parlait de leur « brasier d'amour pour la France (1708) ». Les mêmes chiméristes écrivent sans sour- 1. Turenne fit brûler une quinzaine de villages d'ailleurs abandonnés. Mais pourquoi? Parce que les Allemands, non contents de tuer les Français, torturaient et mutilaient ce qui tombait entre leurs mains. Parce que des officiers de Phili|)Sbourg ayant eu le malheur de se laisser prendre, l'Électeur les fit mettre au cachot, au pain et à l'eau, après menace de mort.... « Pauvre grand Turenne, disions-nous en commentant la rectification du général Rebillot, il a expié loO ans son crime d'être né Français, d'avoir servi la France, malgré son ascendance germanique en ligne mater- nelle, et cette insigne maladresse de s'être laissé convertir par Bossuet. • [Act. fr., du 2 octobre.1914.) 244 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. ciller que Napoléon P"" a dépecé la Prusse, quand ses deux loris essentiels sonl d'avoir au contraire épargné et la Prusse et la dynastie prussienne et ramené à trente-deux le nombre des princes du corps germa- nique, lequel aA'ant lui élail de huit cents.... Ce n'est pas manquer de patriotisme que de tomber involon- tairement dans ces erreurs grossières; mais qu'on soit Français ou Huron, chez tous les peuples, sous tous les cieux, il est crmiinel, dans des circonstances aussi graves, en des sujets aussi sérieux, de prendre la parole ou la plume pour s'exprimer avec fureur sur des aifaires dont on ignore le premier mot. AU NOM DES ALSACES POSSIBLES... i'J septembre 1914. Quelques écii vains déniocrales et socialistes con?i- dèrenl comme une impiété que l'on veuille attenter à Tunité germanique. Mais je les renvoie à Proudhon, qu'ils ont eu le grand tort de négliger pour Marx. D'autres, parfois les mêmes, croient que la paix dérivera du respect de cette nationalité allemande et, en général, de toutes les nationalités : c'est encore à Proudhon qu'il faut les renvoyer, car leur maître a prévu quels fleuves de sang coulei-aient pour ce principe, nullement pacifique, éminemment impé- rialiste, éminemment napoléonien.... D'autres enfin condamnent comme inique et dangereux tout regard de concupiscence jeté sur les villes de la Moselle et du Rhin, sur Coblentz, sur Mayence, sur Cologne, sur Trêves.... Ce sont pourtant des villes romaines et qui furent celtiques, bien avant l'invasion des Ger- mains. Elles réalisèrent quelques-unes et même la plupart des conditions de l'Alsace avant sa réunion à notre pays. Je rappelais hier avec quelle rapidité Strasbourg, ville d'empire, devint un « brasier d'a- mour » pour la France de Louis XIV. Un Alsacien- Lorrain disait, l'année dernière, à Maurice Pujo : — Savez-vous combien de familles optèrent pour lAllemagne lorsque le roi de France réunit Stras- bourg? Cinq familles, exactement! Un véritable régime français aurait vite fait d'as- similer pareillement les bords mosellans et rhénans. 246 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Comme les siècles ont travaillé de 1871 à 1914 contre la germanisation de l'Alsace, les siècles ici travail- leraient avec nous et pour nous, suivant le fil natu- rel de la civilisation. Daulres Alsaccs que l'Alsace sont possibles : comment la germanomanie révolutionnaire dénierait- elle à ces Alsaces éventuelles et futures leur droit à la vie? La réunion administrative et militaire au domaine français est une condition de ce progrès civilisateur. Que pèse là-devant l'intérêt de la Ger- manie et de l'unité germanique? Là-devant, comme disait Gœthe « l'Allemagne n'est rien. » LES CLÉRICAUX AUX LONGUES DENTS Le Temps fait observer aux catholiques qu'on leur a beaucoup accordé. Un archiprêtre figure dans la commission municipale de Vitry, où le conseil muni- cipal était défaillant. Le clergé ayant été grossière- ment diffamé en de certaines circonscriptions rurales où il est représenté comme l'instigateur de la guerre, deux fonctionnaires de l'administration cen- trale, l'un en Savoie, l'autre dans la Loire-Inférieure, ont signalé aux populations la sottise et l'indignité de ces calomnies : comme ils n'ont pas été révoqués ni blâmés, le Temps fait admirer aux catholiques la grandeur d'âme avec laquelle la religion est traitée. Ce sont là sans doute les « choses » qui ne sont plus « strictement légales », mais qui, à la faveur de la guerre peuvent être tolérées. Le Temps engage ami- calement non pas les cathoHques (les catholiques clairvoyants sont avec lui) mais les personnes imbues INTERNATIONALISME ET NATIONALISME. 2i7 de l'esprit clérical, cardinaux, prélats, simples prêtres, à ne pas redoubler d'ambition. Il m'a paru utile de savoir de façon désintéressée et, comme on dit en Allemagne, comme on disait hier encore à la Sorbonne, de façon objective, à quoi s'était haussé l'esprit d'usurpation et d'empiétement des cléricaux. Premier grief, ces insatiables demandent que la République abjure solennellement « le caractère de laïcité qui est dans son essence » : le cardinal Sevin, archevêque de Lyon, suivi par la Croix de Paris demande la participation officielle de l'État aux actes religieux. Il semble que cette démarche de la part de croyants, de la part de prélats revêtus de la pourpre, est assez naturelle. Le contraire seul devrait étonner. Ce qui étonne aussi, c'est qu'on puisse, au nom de la neutralité et de l'indétermination reli- gieuse, opposer une objection de principe quelconque à un vœu pareil! M. Poincaré avait parlé d'icnion sacrée, M. Barthou de trêve magnifique; cela sem- blait ne rien exclure. En stipulant comme « de l'es- sence de la République » la laïcité, on exclut la doc- trine catholique. On a tort de ne pas tenir compte de ce grand point, quand on essaye de qualifier l'attitude des catholiques. Ou le catholicisme est admis, ou il ne l'est pas. S'il ne Test pas, qu'on le dise ; s'il l'est, qu'on le voie tel qu'il est. Il est libre si vous le jugez sur sa règle. Il ne l'est pas si vous le jugez sur la vôtre. En fait, le catholicisme défend aux clercs de porter les armes ; pourquoi faire grief à ce prélat qui, en termes graves et douloureux, se plaint de 248 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, l'envoi du clergé aux armées? Il eût été si facile de n'offenser point la justice en employant les prêtres uniquement comme aumôniers, brancardiers, infir- niers. En fait, le catholicisme admet qu'il y a relation entre les fautes et les malheurs, entre les fautes collectives et les malheurs collectifs. Pourquoi, si le catholicisme est adm.is, comme le Temps l'assure, faire grief à cet autre prélat qui rattache les cala- mités nationales aux erreurs de la nation? Mais, dit le Temps, ce sont des maladresses, ce sont des imprudences. En ce cas, il y a une hiérar- chie catholique. Elle en jugera. Mais de quoi se mêle le Temps? Incompétent sur la doctrine qu'il paraît ignorer, que vaut sa juridiction religieuse? Dans l'intérêt même de notre paix intérieure, un organe connu pour ses liens confessionnels extérieurs au catholicisr:^ devrait s'abstenir de censurer les évêques et les cardinaux. S'il lui plaît de traiter d'affaires ecclésiastiques, il y a les rabbins! il y a les pasteurs ! le Temps peut les contrôler, les cléricaux aux longues dents ne s'en mêleront pas. • L'ANTIQUE NATURE ALLEMANDE 50 septembre l'.)14. Les journaux en sont pleins : des sales farces ma- cabres, telle que la profanation du caveau Poincaré, à Sampigny-sur-Meuse, aux ignobles supplices donl les victimes sont des vieillards et des prêtres, des femmes et des enfants, la nature allemande se donne libre cours, et tous ceux qui se souviennent de son histoire, entre lesquels j'ai plaisir à remarquer un ancien ministre, M. Stephen Pichon, reconnaissent que cette nature najoute absolument rien à ce quelle a été manifestée de tout temps. Il ne faut pas dire : ce n'est pas allemand, c'est prussien. 11 est très vrai que le Prussien est peut-être le moins Germain des Germains. Sa formation fînno- slave ne pouvait pas faire de doutes. On en verra de jolis traits dans l'article « Leur Race » de Félicien Pascal, au dernier Correspondant, inspiré d'une bro- chure de M. de Ouatrefages en 1870. L'illustre an- tliropologiste avait été frappé de la sauvagerie des troupes prussiennes au siège de Paris et au siège de Strasbourg. Il en avait rapproché leur conduite exac- tement pareille au siège de Prague par leur roi phi- losophe en 1757. Cette « constante » lui avait sug- géré l'idée d'une brutalité proprement prussienne; il avait eu tort d'arrêter son enquête au xmu'' siècle. Il eût été sage d'examiner si, avant quil y eût une Prusse, les Allemands s'étaient montrés plus mode- 250 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. rés, plus sages, meilleurs observateurs des lois de la guerre, en un mot plus civilisés. Il se fût rendu compte que la brutalité allemande dépend non de l'influence prussienne, mais de l'état des forces du Corps germanique : elle s'enfle et s'exerce si ce corps est unifié et puissant ; elle s'abaisse et file doux quand on a mis cette puissance à la raison. Les Allemands redeviennent alors de bonnes gens. Mais ils se révè- lent durs, pillards, acharnés sur les faibles, faisant suivre l'astuce impudente de faciles violences à cha- que fois qu'une force allemande s'est dressée sur l'Europe. Peu importe le lieu d'où cette force s'élève, dans les tristes plaines du nord, aux bords riants du Rhin, dans la forêt Noire, le long du beau Danube bleu. Que le César tudesque soit de Franconie ou de Saxe, d'Autriche ou de Brandebourg et que l'affaire se passe au xii'= siècle, au xvi% au xix«, il fait éclater la même Apre combinaison de rage ostentatoire et de grosse ruse perfide. Les Français qui n'ont pas perdu toute cervelle citent, avant 70, la guerre de Trente Ans. Ils rappellent le dicton immémorial qui dé- nomme chez nous « querelles d'Allemands » les dis- putes sans queue ni tête qui ne relèvent que de la mauvaise foi et du poing. L'admirable « troup ale- mand » de notre roi Philippe le Bel avait aussi l'al- lure d'un proverbe déjà séculaire en Ile-de-France'. Ainsi nos bons aïeux, dont nous méconnaissions le langage et l'expérience, auraient fourni à M. de Oua- 1. J'ai cité jilusieurs fois ce mot dans son sens ordinaire. Il est temps de dire que, d'après M. Flach, il faut lire, au lieu de troup, l'onomaLopée tricpt. En ce cas, au lieu de nimis germanicum, il faudrait comprendre crepitus gcrmani- cus, dans un même sens de vanité prétentieuse. L'ANTIQUE NATURE ALLEMANDE. 251 trefagesles éléments tl'observalion propres à dresser la « fiche » savante du type allemand. Que l'on comprenne. Je ne dis pas que tous les Allemands ni tous les peuples allemands fussent tou- jours haïs ou craints; mais l'Allemand en tant que tel, en tant qu'il se ressemble, en tant qu'il choisit sa nature pour règle de sa vie et qu'il en pratique le beau modèle, cet Allemand a été vu et noté tel que nous le voyons et le notons aujourd'hui. Il ne nous fait pas de surprise. Il ne surprend que ceux qui, obligés à voir ou à revoir, ont mieux aimé le parti- pris des négligences du passé. DYNASTIE ALLEMANDE OU PEUPLE ALLEMAND? Daudet montrait lundi ce qu'il y a d'enfantin à rejeter sur le militarisme ou la dynastie de Prusse ces traits de figure éternelle'. Tous les écrivains un peu libres d'esprit lui font écho. Un de nos confrères ci le le cas fréquent du négociant allemand qui, après avoir vécu dix ans dans une de nos villes, est parti le io juillet pour revenir le 15 août avec ses uhlans : Est-ce que ce commerçant allemand faisait partie de la cour de Guillaume H? Est-ce qu'il appartenait à ce fameux parti militaire allemand sur lequel nos so- phistes humanitaires et pacifistes veulent faire retom- ber la seule responsabilité de cette abominable guerre ? C'est le bon sens même. Cependant admettons cette chimère humanitaire. Entrons dans celte expli- cation. Soit, le commerçant en question ne faisait 1. « Le parti militaire, c'est à peu près tout le peuple allemand », disait-il dans ['Action franr. du 28 septembre 191 i. 252 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. qu'obéir au kaiser en détruisant Reiras, en pillant Senlis, en ruinant des centaines de bourgs et de vil- lages en France et en Belgique. Il ne faisait qu'obéir aux ordres d'un seul ou du 1res petit nombre. Ces violations les plus complètes de toutes les lois divines et humaines ont découlé d'une obéissance aveugle auprès de laquelle celle du « cadavre », celle du « bâton dans la main du vieillard », tant reprochée aux disciples de saint Ignace ressemblerait à la ré- bellion et à l'anarchie intégrale. Je le veux, j'y consens. Mais à la condition que Ton veuille aussi consentir à toutes les conséquences d'une obéissance aussi follement présumée. A la con- dition qu'on ne nous dise pas, en même temps, que cette guerre est faite pour mater un peuple mutin et consolider une dynastie chancelante. A la condition qu'on ne prétende pas que ce peuple si souple et si docile, docile jusqu'au crime, souple jusqu'à la mort, couvait une terrible révolte latente, A la condition qu'on ne me présente pas des moutons pour lesquels il n'y a plus ni humanité, ni morale dès que leur chef a dit je veux, comme exerçant cette terrible poussée démocrate-socialiste » dont nous parle Marcel Cachin et qui aurait acculé à la guerre un empereur « inquiet du prestige impérial », Si l'influence de l'empereur est tellement balancée par les idées nouvelles, elle ne peut suffire à changer en hordes farouches des trou- peaux de populations pacifiques. Si au contraire le prestige impérial est suffisant pour opérer cette mé- tamorphose et s'il agit à la manière d'une baguette de fée, inutile de nous raconter des histoires sur les inquiétudes dynastiques de Guillaume II. OCTOBRE 1914 POUR LA PAIX FRANÇAISE 1- octobre 1914. Il paraît que j\I. de Mun dépasse la mesure. Cela lui est dit de bien des côtés. Un Franrais convaincu que des multitudes de ses compatriotes, en lai.sant leur devoir devant l'ennemi, vont risquer plus que leur vie, vont alïronlcr l'abîme des biens ou des maux éternels, ce Français-là n'a point le droit de parler, d'écrire, d'agir conformément à cotte foi, à cette espérance et à cette crainte? Il paraît que cela risque d'impatienter, d'agacer, de faire sourire.... En vérité, Ton voudrait mesurer l'importance de co rire-]à! J'aimerais à voir de mes yeux l'homme normal et équilibré allant au-devant de la mort, non pas seul, mais en troupe, avec sa compagnie, avec son régiment, et qui dans cette circonstance se permettrait la moitié d'un sourire à la vue d'un objet béni ou d'une prière imprimée. On me cite M. Hervé. Mais M. Hervé est dans son fauteuil. Je parle du soldat qui sait ce qu'il se doit et ce qu'il doit aux autres, à celui qui a le sentiment de la res- ponsabilité partagée entre lui et ses frères d'armes. Ah ! que ce murmure misérable trahit de médio- crité et de petit esprit, s'il n'y a pas d'intérêt là- dessous. S'il n'y a pas une conspiration nouvelle d'un parti. De ce parti qu'Auguste Comte appelait déjà, il y a soixante ans. , 254 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. le seul capable de faire acle de parti, en une heure où tous les partis devraient s'évanouir pour faire place à des opinions et à des doctrines, se défendant, se limitant et s'éclairant d'une honnête lumière les unes par les autres. On n'a pas encore explique l'abominable rumeur campagnarde qui attribuait aux curés et au Pape (à ce g-rand Pape qui en est mort) la responsabilité de la guerre. Elle a couru partout, dès le lende- main de la déclaration. Et sur plus de trois cents hauts fonctionnaires de l'Administration centrale, préfets et sous-préfets, il ne s'en est trouvé que deux, l'un en Savoie, l'autre en Bretagne, pour y opposer le bref démenti de la droiture et du bon sens. Cette diffamation du clergé vient sans doute d'Allemagne, mais un parti en profite. A moins que ce coup diviseur ne vienne des bas-fonds de ce parti, auquel cas les Allemands en auraient le profit sans en avoir eu la peine. Un gouvernement qui veut être national et qui puise à son gré dans toutes les ressources de la nation si généreusement offertes, se devrait de poursuivre et de flétrir de haut ces mensonges déshonorants. Qu'on ne dise pas qu'ils répondent à des attaques. Ils ne répondent à rien. Nulle initiative de division n'a été prise en aucun cas, de ce côté-ci du pays. Il y a une Affaire dont nous n'avons plus ouvert la bouche depuis notre désarmement du 2 août devant l'ennemi : c'est la Guerre sociale de mardi qui a parlé d' « un certain militarisme d'avant Taffaire Dreyfus » ! C'est elle encore qui, le même jour, expliquait que si le président des États-Unis n'est POUR LA PAFX FRANÇAISE. 255 pas « platement égoïste », c'est qu'il a du sang juif dans les veines : il faut avoir du sang juif dans les veines pour « ôlre idéaliste » et pour oser vouloir « la paix »! Ces injures sournoises dans ce patois do Chanaan ne valent pas la peine d'être expiées : je les transcris pour faire voir qui trouble la paix. L'HOMME A ENCHAINER Privé pour huit jours de son Homme libre, M. Cle- menceau publie V Homme enc/iainé. Cela parait à quelques-uns une bonne farce, une blague de haute saveur. Pas à nous. Nous avons raconté plusieurs fois quelle œuvre d'anarchie sinistre poursuit, par goût, M. Clemen- ceau. On a lu ici le 27 septembre' comment ses doutes sur la valeur militaire des fortifications de Paris et sur la sincérité des communiqués du gou- vernement français allèrent à Berlin et de Berlin dans diverses capitales où l'Allemagne a intérêt à produire des impressions qui nous soient défavo- rables. Nous pourrions aujourd'hui montrer le parti que l'agence WollT sait tirer, de la même manière, dans les mêmes pays, des aigreurs, des critiques et du murmure de M. Clemenceau. Il sera plus court de dire ce qu'il faut penser de la pirouette d'hier. Ceux qu'elle amuse, nous les plaignons. La disci- pline générale de la presse française, discipline volon- taire et consentie, avant d'être consacrée par une loi que M. Clemenceau a votée le -4 août et reniée le 5, a été trente fois violée par lui, pendant le i. Voyez la note à l'article du 5 septembre. 25G LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. premier mois de guerre. A ses jugements d'une impudente légèreté, il ajoutait des indiscrétions honteuses. Sa qualité de sénateur influent, qui lui permettait seule de connaître certains secrets, assu- rait aux commentaires du journaliste une impunité révoltante. Cette impunité n'a pas cessé. On a sim- plement essayé d'empêcher le mal de se produire. La suspension de Y Homme libre ne sert de rien ; la publication de Yllomme enchaîné, non contente de lui remettre en main l'instrument de démolition dont il a besoin, enseignera désormais à tous les citoyens, par la parole et par l'exemple, le moyen de tourner la loi en général (ce qui n'a pas plus grande importance) mais une loi de salut public, une loi de salut national et militaire (ce qui en aura, tant qu'il y aura une France). Une fois de plus, toute l'influence publique accu- mulée par M. Clemenceau depuis qu'il s'occupe des affaires du pays se trouve retournée contre la sûreté et la force du pays. Nous demandions en août que cet écrivain malfaisant fût mis en demeure d'opter entre le Conseil des ministres et le Conseil de guerre. Ces deux remèdes radicaux pouvaient seuls opérer. Mais le premier n'est plus tolérable aujourd'hui, M. Clemenceau a trop abusé de la liberté pour avoir conservé la moindre autorité. Son anarchisme invé- téré persiste devant l'ennemi : il n'y a plus qu'à charger de chaînes qui ne soit point de rhétorique cet homme qui fait l'enchaîné. On ne le fera pas, on ne l'osera pas, cela est bien certain; mais il est bien certain qu'on s'en mordra les doigts. Et avant peu. CONTRE LES « CLÉMENCES D'IENA » 2 octobre 1914. Un mot courait l'Allemagne impériale de Guil- laume L"" et do Guillaume II : « on ne nous aime pas. )) Quelle erreur! Quelle ingratitude! Il fut, au moins un lieu du monde où la tendresse pour l'Alle- magne est allée, ces derniers vingt ans, non seule- ment jusqu'à l'amour-passion, maisjusqu'aux formes les plus touchantes de ce pur amour aveugle fait d'abnégation, qui souffre, presque sans murmure, de la part de l'objet aimé, tous les abus de confiance les plus formels et toutes les plus flagrantes dupe- ries : ce lieu du monde, c'est le cercle des dirigeants du socialisme français. Nous ne nous permettons pas de railler un sentiment sincère, nous n'en tirons aucun reproche, mais nous en prenons acte pour expliquer bien des erreurs, en empêcher d'autres peut-être. Témoin des lâches atrocités de Senlis, Compère- Morel se révolte. Edouard Vaillant gronde et me- nace ; mais, môme chez eux, la cendre de l'amitié trahie, de l'amitié perdue est restée chaude encore. Que dire de ceux qui ne sont pas tout à fait désillu- sionnés! Et comment expliquer leur état d'esprit, si ce n'est par un pli profond des intelligences habi- tuées à penser d'accord avec les condisciples des compatriotes de Marx, cet élève direct de Hegel, qui fut le plus allemand des esprits allemands qui aient vu la lumière du ciel? il 2:.S LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Ces généalogies intellecluelies se complètent par des généalogies physiques : Lafargue et Longuet épousèrent les deux filles de Karl Marx : avant Jaurès n'ont-ils pas beaucoup aidé à l'élimination des influences proudhoniennes, au règne i-ncontesté du Marxisme par les socialistes de notre langue et de notre sang"? C'est pourtant à Proudhon qu'il faudrait revenir pour débattre entre Français, qu'on soit nationaliste, qu'on soit socialiste, la question du sort futur de l'Allemagne vaincue; c'est aux brochures lumi- neuses comme le Rhin ou la Fédération en Italie que l'on trouvera la solution complète. Cette solution est traditionnelle : je le déplore pour les socialistes; mais elle est humaine et paisible; aucun nationa- liste ne le déplorera. M. Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, se fait précisément l'organe des inquiétudes de ses amis dans l'Humanité. Il nous cite deux phrases d'un journal anglais. Il en résulterait, selon M. Longuet, que nous voudrions « ou tuer tous les Allemands >, ou « occuper leur pays d'une manière permanente » , ou enfin « substituer une tyrannie à une autre ». Ni l'occupation permanente, ni la tuerie en masse, ni la tyrannie ne furent jamais préconisées par Prou- dhon ni pratiquées par les rois de France. Il s'agit de procéder à une redistribution de l'Allemagne telle que ces nations orgueilleuses et perfides puis- sent vivre sans être en état de nuire. Les amants obstinés de la Germanie peuvent tou- jours trembler qu'on ne lui fasse du bobo. Mais je vois avec plaisir des tendances plus viriles se faire coNTut; i.p:.s clkmencks d'iéna. 250 jour dans le monde gouvernemental. Le sénateur Eugène Lintilhac, ouvrant le Conseil général du Cantal, s'est souvenu de sa qualité de professeur; au lieu de débiter les blagues d'Hervé sur le dépèce- ment de la Prusse après léna, il a dil carrément : Représoiilants et gouvernants de Londres à Pélro- grad comme à Paris se souviendront que les clémences clléna préparent les volte-faces de Leipzig et les dé- sastres de Sedan. M. Lintilhac n'oublie point qu'après léna Napo- léon fit le contraire de ce qu'il fallait faire et de ce qu'avaient fait tous nos rois. Et M. Lintilhac, conseillant de briser « tous les ressorts de la mons- trueuse machine de guerre d'Outre-Rhin », a même ajouté qu'il savait qu'« on y était bien décidé en haut lieu». A la bonne heure! Ce projet d'avenir est juste parce qu'il se dégage d'une exacte notion des réalités présentes et passées. M. Jean Longuet devrait s'ins- pirer de cette méthode et, avec lui, tous les socia- listes. M. Vaillant lui-môme en posait hier la règle d'or : La réalité comme toujours n'obéit pas à nos idées quelle devrait au contraire déterminer et façonner pour leur donner une valeur plus positive. 0 réalisme politique, serais-tu sur le point de revivre ! LE SAPEUR PROVIDENTIEL 5 octobre 1914. Nous livrons une guerre de siège : or, les jeux éloignés, les coups tant de fois divergents des avan- cements, des nominations, des promotions auront, pour l'heure imprévisible où la principale affaire de nos soldats devait être de remuer la terre et de creu- ser des tranchées, produit un généralissime sorti de l'arme du Génie, celui-là même que son ancien ensei- gnement militaire avait fait appeler Le Terrassier. On ne l'écoutait pas assez dans ces années d'école. La tendance à l'abri, l'art de la guerre des mines passaient pour être plus allemands que français'. L'expérience de 1914 devait se charger de nous inculquer la leçon. Cette expérience pouvait être coûteuse avec un autre chef : aussi avons-nous celui- là ! De dix, de vingt, de cent, celui que devait récla- mer un état de choses inouï n'a même pas eu à mon- ter en grade :.il était là, tranquillement installé dans le grade duquel tout dépendait, auquel tout était suspendu. Son absence aurait pu nous faire perdre cinq minutes, une heure, un jour. Ce jour aurait été précieux, ces minutes indispensables: il ne le fallait pas, il fallait donc que Jofi're fût où il était, dans la fonction déjà exercée, au poste déjà éprouvé et 1. Tout simplement parce que. pendant la paix, le chef allemand imposait le travail de la terre à ses hommes. Les nôtres plus « conscients » s'y prêtaient mal, et l'autorité n'était pas assez libre pour imposer ce bienfait. LE SAPEUR PROVIDENTIEL. 261 connu... Il n'a eu (ju à suivre .ses goûts, ses pen- chants et ce qu'on appelait ses marottes ou ses ma- nies, pour correspondre trait pour trait à l'élcment le plus original et le plus caractéristique de la situa- lion! Voici des mois et des mois, au lendemain des grandes manœuvres de 1915, nous avons tous entendu courir le même murmure contre le généralissime. Un généralissime sapeur! On n'avait jamais vu cela, personne ne savait à quoi cela pouvait servir.... Cela a servi tout de même. Cela a servi à poursuivre les Boches dans leurs trous. Cela sert à creuser tous les trous nécessaires pour les en déloger! LE DISCOURS DE M. ALBERT SARRAUT Il y a bien des sonneries hugolesques dans le dis- cours que M. Albert Sarraut a prononcé hier à l'oc- casion de la rentrée des classes. Tout de même, il faut le louer d'oser dire dans une réunion universi- taire que, décidément, c'est la France qui est « la seconde patrie de tout homme qui pense ». II y a seulement vingt ans, s'il eût inclus cette pensée dans sa composition de licence ou d'agrégation, le futur ministre de l'Instruction publique aurait été bel et bien retoqué. Vers 1894, ce n'était pas la France, c'était r Allemagne qui était « la seconde patrie de tout homme qui pense » d'après l'enseigne- ment officiel de celte Université dont M. Albert Sar- raut est aujourd'hui le Grand maître. Celte formule à la louange derAlIcmagne, M.Albert Sarraut la trouvera mol à mot dans un petit volume intitulé Allemands et Français, écrit, publié au len- 262 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. demain de la guerre de 1870 et dont je recommande vivement la lecture. Une idée si avantageuse prise de nos vainqueurs avait été d'abord considérée comme l'opinion d'un original et d'un excentrique. Mais son auteur étant très vite devenu l'un des arbitres de la vie universitaire française, il fallut compter avec elle, car c'était l'opinion de M. Gabriel Monod. On peut dire qu'après la mort de Fustel de Goulanges, qui survint en 1889, cette opinion régna sans partage, et elle pesa lourdement sur la pensée et sur la carrière des jeunes patriotes qui se vouaient alors au professorat. Je sais plus d'un maître d'his- toire auquel le discours de M. Sarraut aura fait pousser un « ouf » de soulagement. Le livre de Pierre Lasserre avait déjà délivré quelques consciences : voilà les bouches descellées, les plumes redevenues libres, franches, françaises! Vivent nos libérateurs militaires ! EGLISE ET PATRIE 4 octobre 1914. - LA GUERRE DES CURÉS » Une sourde campagne, la campagne de la « guerre des curés » continue à être menée. Une vague ru- meur répète que l'immense effusion de notre sang Irançais a été provoquée, désirée, payée même par les prêtres ou par les nobles, ou par les riches, ou par les bourgeois. Deicx honorables protestations officielles, émanant d'un préfet et d'un sous-préfet ont constaté le fait pour la Savoie et pour la Loire- Inférieure. Le même fait, qui serait honteux pour le pays, s'il en était le fruit naturel, a été observé eu Dordogne par M. Fonsegrive qui en a parlé deux fois au Correspondant. M. de Mun, à VEcho de Paris, possède un volumineux dossier de ces infamies. La Croix signale que les mômes bêtises méchantes se répètent dans un grand nombre d'autres départe- ments. Les premiers dans la presse parisienne, nous avons abordé en rougissant cet affreux sujet. Nous y avons apporté toute la mesure possible, et c'est au nom de l'honneur français que nous avons adjuré nos concitoyens de réfléchir, d'intervenir, d'obliger les pouvoirs publics à prendre une initiative d'en- semble, la seule qui soit en état de nous dégager tous du contact avec l'abjection et l'ineptie. A défaut d'honneur national, l'intérêt national de- vrait être écouté. Dans l'état présent de la guerre, il 264 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, ne reste plus à l'ennemi qu'un espoir, c'est notre division. Sans doute la sottise, la peur, l'envie civi que, la haine sociale sont les alliées naturelles de l'ennemi. Mais voudrait-on nous faire croire que ces éléments indignes sont activés ou protégés, servis ou défendus par une faction politique? Reste-til une faction intéressée à nous diviser et à nous agiter devant l'ennemi. Une Française dont tous les parents se sont battus de tous temps pour la France et dont le fils, natu- rellement, se bat aux avant-postes plus souvent qu'à son tour', nous écrit que dans l'Indre les basses ma- nœuvres dont je parle vont jusqu'à préciser ce que chaque famille notoire a pu donner de subsides à l'Allemagne pour l'aider dans son entreprise : car il ne s'agit pas seulement de châtelains ou de prêtres; notre simple bourgeoisie a, elle aussi, son compte! M. Fonsegrive l'avait noté dans son premier article du Correspondant, il l'a oublié dans le second, et je le regrette pour la clarté et la valeur de ces articles. Plus les familles font « d'action sociale » et répan- dent de bienfaits autour d'elles, plus elles sont visées par ces rumeurs. L'une d'elles, qui ne cesse d' « aller au peuple » est soupçonnée d'avoir donné une somme tellement énorme que l'empereur Guillaume est venu, en aéroplane, lui porter ses remerciements. Cela est stupide sans doute? Cela donc est d'abord indigne. Et puis cela peut finir par faire autant de mail la France que de bien à l'Allemagne armée, et ce n'est pas peu dire. 1. Ce fils, René d'Aubeigné, est tombé au champ d'hon- neur. ÉGLISE ET PATRIE. 265 Le Conseil des minisires vient de répondre aux j3éliLionnemenls en faveur des prières officielles que les lois n'admettaient pas son intervention dans les manifestations cultuelles : les mêmes lois admettent- elles la diffamation gratuite et bête des citoyens les uns par les autres? Et si les lois sont gardiennes de la Cité, peuvent-elles permettre les travaux souter- rains qui minent la place publique alors quel'ennemi assiège le rempart? On châtie les fauteurs de pani- que. Les fauteurs de guerre civile ne doivent pas être traités avec plus de douceur. On a sacré l'union, afin qu'elle fasse la force qui fera la victoire. La défaite est au bout des faiblesses créées par la division, LA GUERRE AUX CURÉS Je sais qu'on renverse les rôles. Comme pour mas- quer ces réclamations incontestables fondées sur des scandales d'une indubitable réalité, on s'est mis à exploiter des griefs fabuleux. Un grand journal, sé- rieux d'ordinaire ou qui couvre mieux ses passions, a pris la tête du mouvement. Une démarche du clergé, la plus naturelle de toutes, la plus simple, la plus inoffensive, et dont un clergé catholique n'était pas libre de s'abstenir, mais qui laissait le gouvernement parfaitement libre de l'accueillir ou de la rejeter, cette démarche qu'on repousse et qu'on a toujours voulu repousser, la requête en faveur des prières officielles est devenue, par un audacieux renverse- ment des rôles un principe d'accusation ! Depuis, l'accusation continue et se développe. Par- bleu : elle est utile, elle a même deux utilités. D'une 2G6 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. part, elle dispense de réparer les calomnies et, d'un autre côté, cette accusation apporte à des calomnies en elles-mêmes absurdes, un concours officiel, qui, lui, n'est qu'injuste, insensé et faux. Cependant, qu'on y réfléchisse. Sil faut considérer comme un attentat à la trêve ou comme une rupture de l'union sacrée le fait que des prêtres ou des évêques aient conjuré l'Etat de se faire représenter devant les autels, autant dire tout de suite que la profession catholique est interdite en France. Il ny a pas de catholicisme réel sans cette aspiration à catlioliciser la nation en corps et l'Etat, expression politique de la nation. Ce serait extrêmement grave. Certes, on peut sourire de certains griefs particu- liers soulevés ces jours-ci, médailles cousues dans des vêtements militaires, nom de Dieu invoqué par un colonel, cordiale invitation des officiers à leurs hommes pour que ceux-ci se réconcilient avec le bon Dieu : effusions naturelles, effusions légitimes pro- pres à tout homme de cœur et à tout esprit convaincu en des circonstances pareilles, effusions telles qu'il faudrait, pour les abolir, refondre l'humanité, mais la refondre en l'abaissant. Des griefs pareils sont négligeables pour la mesquinerie qu'ils dénotent. Mais il faut relever, il faut prendre au sérieux les admonestations de VHumanité et du Temps à cer- tains écrivains ou prédicateurs catholiques. Car là vraiment, c'est l'âme, c'est l'esprit du catholicisme qui sont en cause. Quoi! Le Père Janvier ose dire que « sans le secours de Dieu » nous n'obtiendrons pas la victoire? Quoi! un écrivain catholique parle des péchés de la France expiés sur l'immense autel KGI.ISK r/r l'ATUIK. 2f)7 dos balaillos : cl il ose explifiiier les douleurs de ses frères, ses propres douleurs par une expiation devant la justice de Dieu?.... « Paroles odieuses », écrit un socialiste. Il faut avertir bien clairement ce socialiste que TodieuXjici, c'est lui. Il ne s'en doute pas, et voilà son excuse. Mais enfin il appelle les passions de la haine sur une doctrine dont le cœur de nos pères et de nos mères a vécu durant de longs siècles, sur la doctrine dont nos IVèrcs combattants, nos frères blessés et mourants, se nourrissent et s'abreuvent, comme des seules sub- stances consolatrices qui ne leur soient pas arra- chées avec la vie. L'offensive vient de ceux qui crient à l'olTense : l'attaque injuste vient de ceux qui attes- tent la justice et l'égalité. Moralement, cette pauvre attaque-là n'est pas belle puisqu'elle en veut à la paix des âmes innom- brables qui dévouent à la France tout ce qu'elles possèdent d'existence mortelle. Et politiquement cette même attaque fomente des divisions et des que- relles dont les premiers effets seraient d'incliner le drapeau. Enfin, du point de vue de la polémique pure, ce mauvais coup vaudra désormais peu de chose, car il apparaît dans son jour : simple parade et parade très vaine, pure diversion tentée pour étouffer les plaintes de patriotes niaisement et perfidement diffamés. LES INCONSÉQUENCES D'HERVÉ 6 octobre 1914. « PAR TOUS LES MOYENS » Celte année fertile en surprises ne cesse pas d'en apporter. Un journal dont le titre reste l'indéniable témoin de ses premiers avatars ^ nous apprend qu'il n'y a jamais eu d'antimilitarisme et qu'on a toujours cru à la guerre possible : non seulement possible, mais pressante, imminente!... — Cette guerre, depuis dix ans, nous l'avons senti venir! Nous avons essayé de l'empêcher par tous les moyens ! En vérité? Et vos moyens de l'empêcher c'a été d'applaudir, en 1904, au démantèlement du pays par im fameux général-ministre; en 1905, à la réduction du service militaire; en 1907, à la réduction des pé- riodes de réservistes; puis, de pousser des cris de paon toutes les fois qu'il était question de fondre des canons, de préparer des munitions et de mettre en état nos armées ou nos forteresses? « Tous vos moyens » étaient au moins originaux! Ils étaient même neufs, l'antiquité et les temps modernes s'étant accordés à croire que lorsqu'on veut la paix il faut tenir en respect les agresseurs possibles en accumulant toutes les ressources de guerre. L'ingénieuse mise en œuvre de moyens contraires, i. On s est méfié : la triste Guerre Sociale est devenue la bouffonne Victoire. LES INCONSÉQUENCES D'HERVÉ. 20!» moyens si parfaitement inédits, a échoué, et l'échec induira les lecteurs de M. Gustave Hervé en une saine défiance contre son jugement. Les jeunes gens auxcjuels il a fait la classe autrefois ne devaient lui trouver ni la vue du sorcier ni le flair de l'artilleur. Lui-même devrait en convenir rondement. Ah! ouiche! Plus il se trompe dans ses calculs, plus cet astrologue déçu est pris de la fureur de se tromper encore et de mettre dedans au moins ses conci- toyens. « CE SERA LA DERNIÈRE GUERRE . Il jure maintenant que voici la dernière guerre. Il en fait son affaire! Qui doute de cela inflige à Hervé un affront personnel. Junius de VÉcho de Paris s'étant permis de hausser les épaules, Hervé, les yeux en feu, la main sur son cœur, se demande si Junius est chrétien, si Junius est homme, si même Junius n'est point né des horribles embrassements d'une tigresse et d'un serpent à sonnette, et si « les grands hommes qui sont le sel de la terre » auront toujours rêvé en vain.... Le truc n'a pas changé : c'est au nom de leur bonté d'âme que les rhéteurs prétendent interdire aux gens de voir juste. La Nuée de la « dernière guerre » vaut la Nuée de la « guerre impossible ». Ce qu'on peut souhaiter de raisonnable c'est que la guerre de 191-4 prenne fin par un ensemble d'accords aussi artistement noués que ces traités de Westphalie qui réduisirent les Allemands à l'impossibilité de nuire. Voilà le grand point. Voilà qui, pour l'Europe et pour l'univers, serait un gentil débarras. Un énorme facteur de 270 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, querelles et de divisions serait éliminé ainsi. La situation du reste du monde ne sera pas limpide comme l'eau de roche, et de grandes sources trou- blées continueront de bouillonner à l'est et au sud de l'Europe. D'ailleurs, ni les passions ni les inté- rêts personnels et nationaux n'auront cessé d'agiter notre vie humaine. Il faudra y veiller et sans doute aussi larme au bras! Le seul vœu sensé à produire, c'est que le plus raisonnable et le plus pacifique soit aussi le mieux paré. Dira-t-on que les plaies de notre guerre effrayeront le genre humain? Mais il suffit de voir la petite Ser- bie qui a fait une guerre en 1912, une deuxième guerre en 1915 et qui, plutôt que de sacrifier son indépendance et sa dignité, en a accepté de bon cœur une troisième en juillet 1914! RUMEURS INFAMES 7 octobre 191 i. POUR LA PAIX RELIGIEUSE Empêchera-l-on les biHisesde recommencer? Sans l'espérer nous le désirions, nous le demandions, puisque c'est au gouvernement en personne que nous nous adressions pour mettre fin aux infamies débitées d'un bout à l'autre du pays sur la compli- cité des prêtres, des nobles ou des riches avec l'en- vahisseur allemand. Il nous semble que le gouver- nement se serait honoré en imitant ce préfet de la Savoie, ce sous-préfet de la Loire-Inférieure qui ont protesté publiquement, par circulaire, contre ces dilTamations beaucoup plus offensantes pour les diffamateurs que pour les dift'amés. Une parole adressée de haut à l'ensemble du pays et générali- sant les deux protestations locales eût montré qu'il y a sous les mots de concorde et d'union prononcés, des sentiments réels, des volontés concrètes tendant à une politique digne des besoins nationaux. Un témoignage officiel, encore un couj), nous y tenions infiniment plus pour l'honneur et la paix de la France que pour les Français visés par l'outrage. Le courageux évoque de Montauban, Mgr Marty, a jugé cet outrage trop inepte et trop odieux pour être même discuté : Quoi donc? Le Pape meurt de la tristesse que lui cause la guerre, !20 00U prêtres sont occupés à défendre 272 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. la France et 10 000 autres vont être appelés.... Le pre- mier fusillé des Allemands est un prêtre... Nous multi- plions nos efforts pour soulager nos blessés, nous faisons des prières solennelles pour que Dieu nous donne la paix et la victoire.... Et nous sommes avec les Prussiens ? Il y a pourtant des parties du territoire où il a fallu élever la voix aussi haut que possible. Ainsi Mgr l'archevêque de Tours a-t-il dû adresser à ses diocésains une lettre pastorale émue d'indignation où il énumère les dévouements sacerdotaux qui lui tiennent le plus à cœur, puisqu'ils sont l'œuvre de son propre clergé : ce vicaire de Bléré, frappé au front et qu'il a fallu trépaner, ce bénédictin, dom Moreau, accouru de Belgique, blessé, prisonnier, revenu à son poste à peine guéri, dignes frères de tous ces nobles fils de l'Église de France, qui renou- vellent, en les multipliant, les fastes d'un héroïsme quatorze fois séculaire.... Une âpre iniquité envers d'irréprochables serviteurs de la France n'a point paru chose française à l'archevêque de Tours, il écrit avec autant de vérité que de sainte hardiesse : De quelle officine sortent ces odieux mensonges ? Tout ce que nous pouvons dire, c'est que l'officine est trop ténébreuse et trop ignoble pour être de création française. La « marque » allemande y est sensible et claire. Il eût été fort sage au gouvernement de le dire. Il eût été politique de montrer qu'on était armé et bien armé, non pas contre de pauvres distributions de médailles ou d'objets de piété qui n'ont jamais fait de mal à qui que ce soit, mais contre les entre- RUMRUHS INFAMES. '2Î3 prises de division semées par l'enza il viilitarismo germanico, anche la nostra civiltà sarebbe da lungo tempo bandita délia terra » La ci- vilisation allemande serait depuis longtemps exilée et rayée du monde sans le militarisme allemand. « Popolo ed exercito sono in Germania una casa sola ».En Allemagne, peuple et armée nefontqu'un. C/estle sentiment dans lequel fraternisent « 70 mil- lions d'Allemands sans distinction aucune de cul- ture, de classe, ni de parti. » Et, au nom du « plus grand bien de l'humanité », conviant l'univers à s'unir à eux par-dessus les mensonges et des calom- nies, ont signé des savants, des artistes, des histo- riens, des romanciers, des poètes, Hermann Suder- mann, Gerhardt Hauptman, Harnach, Ehrlich, Karl Lamprecht, tout ce que l'Allemagne peut mettre en ligne d'intellectuels. Les croira-t-on ici? Ou ceux qui ont été dupes du germanisme officiel voudront-ils, pour sauver la face, infliger une erreur de plus à notre patrie? NOS SOCIALISTES ET L'ÉVIDENCE t^ompèrc-iMorel dont on a lu la page belle d'épou- vante amèreei de noble fureur devant les monstruo- ïrités commises à Scnlis, Compère-Morel essaye de se leurrer encore. Il ne désespère pas d'un effort su- 16 290 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. prème des bons social-démocrates d'Allemagne. Si, d'ailleurs, ils échouent, la cruauté même du fléau de la guerre l'éloignera pour toujours, espère-t-il, de l'humanité. Compère-Morel ajoute néanmoins : Et si véritablement cela ne pouvait pas être, si les hommes ne savaient profiter de la dure et effrayante leçon que le destin et la fatalité leur ont infligée ; si les odieux et pervers instincts que le désir de tuer réveille chez les êtres les plus civilisés ne faisaient désormais place à des sentiments plus nobles et plus élevés ; si les tueries sans nom que nous avons la dou- leur de voir perpétrer devant nous n'étaient les der- nières que l'humanité doivent supporter, serait-ce bien la peine de vivre, de chercher à nous cultiver et de vouloir nous perfectionner? Tout beau, nous sommes désolés de ne pouvoir offrir à M. Compère-Morel une planète plus habitable. Oui, ce monde (si beau, pourtant!) est affreux et rien n'est plus urgent que de l'améliorer, de le culti- ver, de le perfectionner, en essayant de profiter nous mêmes de ses progrès. IMais a-t-on pris la bonne route ? C'est ce que les socialistes sérieux devraient se de- mander enfin. Cela vaudrait mieux que de gémir sur la fin de tout. L'erreur fut jusqu'ici de croire qu'ils amélioreraient les choses humaines en se les repré- sentant autres qu'elles ne le sont. A notre avis le vrai progrès suppose au moins deux conditions : D'abord, voir ce qui est ; Puis, pour créer ce qui doit être, tenir compte des conditions du train du monde et des matériaux éprouvés par un long succès. Non, les hommes ne sont pas toujours déchirés à ce point. Non, les guerres n'ont pas toujours été ou EST LK PIÈGE. a'Jl nnssi féroces'. Il y eut une Europe. Il y eut une Clirc- lienté. Tout cela est à bas. Pourquoi ? Tout'ccla, qui a été, peut renaître à la vie. Comment? Voilà les réflexions qui devraient tenter les socialistes intelli- gents, cultivés, patriotes, mais assiégés de ces ten- tations pessimistes. Il serait beaucoup plus agréable de revenir sur une erreur que de tout lAclier et de tout casser. Ah! si quelques hommes voulaient! (Jucl ordre nouveau dans TEuropc et le monde, fondé non plus sur des chimères, mais sur la claire vue des sacri- fices indispensables et des maux superflus, les maux ([u'on peut, qu'on doit épargner à nos descendants. Pour cela (vieille vérité) il faut commencer par obéir à la nature si l'on veut la dompter. UNE COURAGEUSE CAMPAGNE Tous les jours, la Dépèche de Toulouse insère en tète de ses colonnes un article intitulé La Situation. On pourrait croire qu'il s'agit de la situation de nos armées, de l'effort gigantesque soutenu contre l'envahisseur. Pas du tout : la situation qui intéresse la Dépêche, c'est celle des partis à l'intérieur. Sur les bords de l'Aisne, de l'Oise, de la Somme, de la Scarpe, généraux, officiers, sous-officiers, soldats mènent une campagne héroïque contre l'Étranger. La Dépêche, elle aussi, mais sur les bords de la Ga- ronne, contre la France catholique. Une habile stratégie a choisi pour point d'appui du quartier général les paroles d'un petit curé de 1. V. le livre de M. Alphonse Séché, les Guerres d'Enfer. 292 LA FRAN'CE SE SAUVE ELLE-MÊME. campagne, ou leur écho travesti, sous lequel il est facile de reconnaître une doctrine de réversibilité et d'expiation qui fait Fàme non seulement du catho- licisme et du christianisme mais d'à peu près toutes les hautes philosophies du monde connu; moyen- nant quelques jeux de mois dont la qualité seule laisse à désirer, la Dépèche pousse des attaques bril- lantes auprès desquelles les charges de notre infan- terie dans la région de Roye ne seront que de la Saint- Jean, s'il est permis de s'exprimer d'une manière aussi cléricale. Les catholiques français sont au front et tirent sur les Allemands. A l'arrière, la Dépêche n'est pas moins occupée : de Toulouse, elle tire sur les cathohques français. Disons-le à notre confrère de Toulouse comme à la France de Bordeaux : leurs brillants faits d'armes ne seraient pas supportés de ce côté-ci de la France. Ici, et je l'espère dans quelques autres bonnes villes du Nord, de l'Ouest, du Centre et du Midi, on a le sentiment de l'Étranger tout proche, et l'on aperçoit la situation d'une autre manière : il faut être bien éloigné ou bien distrait, il faut être par sa pensée ou par son corps un habitant des antipodes ou de la Lune pour se permettre une diversion aussi offen- sante pour la nation. A Paris, la feuille qui se permettrait avec tant de clarté et de continuité ces passe-temps d'une autre époque succomberait sous le mépris universel'. LA PAIX RELIGIEUSE ET MORALE 11 octobre 1914. Vraiment, n'y a-L-il pas moyen de s'accorder? En recevant le texte du discours magnifique prononcé par le Père Janvier à Notre-Dame le 29 septembre pour le pèlerinage de supplication à Jeanne d'Arc, j'ai voulu, en le relisant avec attention, y chercher la matière ou du moins le prétexte des cris de fureur <|ue l'éloquent religieux a arrachés à la presse anti- cléricale. Est-il besoin de dire que cette recherche n'a abouti, comme elle ne pouvait aboutir, qu'à faire éclater les analogies de sa haute doctrine de l'expia- lion catholique avec les vues morales communes à « une certaine philosophie éternelle ».... 11 y a des gens que le dogme du Purgatoire fait écumer : je n'y puis rien, le Purgatoire est dans Platon. Cela devrait le recommander à l'indulgence ou à l'attention de nos esprits forts. On me permettra de répéter : n'y a-t-il pas moyen de s'entendre? En lisant le Père Janvier, un détail me frappait : c'était l'identité du noble point de vue de sa charité religieuse avec le point de vue, noble aussi, de cette très large philanthropie qui, parlant delà guerre, de la guerre à continuer, émet en fré- missant le vœu que nos bataillons ne se laissent pas emporter aux mêmes erreurs que la horde alle- mande.... Ce vœu nous choque, parfois, quand il laisse entrevoir une arrière-pensée de doute sur la noblesse d'âme de nos soldats et de leurs chefs : il 294 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. nous satisfait pleinement, il correspond à tous les désirs, à toutes les volontés des Français fils de Français et de Françaises, lorsque ce vœu exprime aussi la confiance dans la magnanimité des héros de notre nation. Écoutez ces beaux mots qui portent de beaux sentiments : Les masses se sont heurtées depuis deux mois, avec des alternatives de succès et de revers; honneur à vous, soldats français {applaudissements), vous n'avez pas tué les femmes qui. armées comme des belligérants, tom- baient entre vos mains, vous n'avez pas jeté les blessés dans les fleuves pour vous faire des ponts de leurs cadavres, vous ne les avez pas achevés, mais, disciples de la noble Pucelle, vous avez eu pitié de leurs souf- frances, vous avez partagé avec eux votre pain, vous les avez confiés à nos brancardiers, <à nos médecins, à nos infirmières qui, animés du môme sentiment que vous, les pansent aujourd'hui et les soignent comme leurs propres frères et comme leurs propres enfants. Je l'espère, bientôt, vous poursuivrez jusque chez lui l'en- vahisseur... Quand vous serez victorieux.... Vous devinez la suite, vous devinez que l'audi- toire applaudit de nouveau. Voilà le sentiment des Français catholiques. Il est humain. Il l'est au moins autant que celui des lecteurs de V Humanité ou môme de la Guerre sociale. Sur des bases pareilles, pour- quoi ne pas s'entendre, ne pas se rapprocher? Qu'est- ce donc qui divise quand cela réunit? Si Ton veut prendre conscience de cette ressem- blance profonde que le commun caractère national ou natif a inscrit en chacun de nous, pensons à cer- tains traits d'une authenticité indiscutable rapportés des ambulances et des hôpitaux où se trouvent les I.A PAIX IIKLIGIKUSE ET MOKALK. '2»r> Mnssi's allemands. Un de leurs officiers se plaint. Do (pioi, s'il vous plaît? Entendez : — Mes propres soldats m'ont dévalisé quand ils m'ont vu au sol sans défense. Il y a des apaches dans toutes les armées. Quel officier de sang français avouerait cela devant l'en- nemi ? Une Française demande à un officier allemand s'il est satisfait de la manière dont on le traite : — Sans doute. Mais vous ne nous soignez si bien que parce que vous avez peur de nous. Les voilà ! Constatons (jue nous sommes autrement bâtis, et sachons tirer tout ce qu'il contient du sen- timent de notre tlilTércnce profonde d'avec l'ennemi : l'évidence de la fraternité nationale finira bien par jaillir! LA TRADITION DE M. JAURÈS Les socialistes entretiennent avec une piété qui se comprend le souvenir de M. Jaurès qui fut pendant vingt ans leur principal chef. S'il y avait dans sa doctrine un élément durable, un principe de vie in- tellectuelle et d'action politique, elle tirerait une autorité immense de la tragédie de sa mort. La simple évocation de l'assassinat du maître et du chef don- nerait force, élan et crédit à l'idée. Malheureuse- ment, l'idée jaurésienne a subi une éclipse autre- ment décisive que la disparition de son auteur. Si je suis convaincu que l'on ne tirera pas grand'chose, qu'on ne tirera rien des directions données par le tribun, c'est qu'il est difficile d'en trouver dont l'er- reur soit plus clairement démontrée. Celle-ci aboutit 20G LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. en somme à jeter un million d'électeurs dans une véritable impasse, presque à tous égards, mais sur- tout par rapport au point capital de la politique ; la politique extérieure. C'est, en grande partie, du fait de Jaurès que l'in- ternationale ouvrière (comme au reste l'internatio- nale universitaire), s'orienta de plus en .plus vers l'hypothèse de l'amitié allemande. C'est encore pres- que uniquement de son fait que fut propagée, accré- ditée, presque imposée l'hypothèse de la paix fatale et de la guerre impossible. Je me suis servi du terme d'impasse : quel autre terme employer devant le double démenti brutalement donné par le fait de l'ini- mitié germanique et de la plus féroce des guerres? J'ai lu et relu un grand article posthume de Jean Jaurès récemment publié dans VHumanité. Avec toute l'attention dont on est capable, on n'y verra rien de plus que la caractéristique habituelle de l'er- reur jaurésienne : la confusion permanente entre l'ordre des faits, qu'il s'agit de prévoir, de calculer, de prévenir et cet ordre du droit qui doit régler nos volontés, nos pensées, nos désirs, mais qui n'oppose pas de barrière matérielle aux réalités vivantes. L'esprit de Jaurès se jouait entre ces deux ordres sans souci de leur distinction, ni de la différence de leurs plans. C'eût été hasard que, dans ces conditions, il pût voir clair et juste. Mais enfin ce hasard ne s'est pas produit. Tout le monde a inté- rêt, les socialistes plus que les autres, à ne pas con- tinuer dans la direction qui les a déçus. LES DOCTRIiNES ÉCROULÉES 12 octobre 1914. Avcz-voiis entendu parler d'un homme d'Étal ita- lien socialiste ou radicalisant convaincu, pacifiste jusqu'à la rage, et que le désespoir a réduit à se brûler la cervelle dans l'île d'Homère, à Chio, pen- dant un voyage d'agrément et d'étude, quand on lui annonça la déclaration de guerre? Le cas de cet infor- tuné prolonge à son extrême limite logique l'aven- ture d'un certain nombre d'esprits, souvent fort beaux, mais à qui leur flamme intérieure cachait la réalité du dehors! Il n'y a plus moyen de se dissimu- ler ce qui est : ils vivent donc depuis neuf semaines dans les affres de la déception amère. Encore ceux qui guerroient ont-ils quelque chance de n'y plus penser. Mais les autres, ces rêveurs purs et ces chi- mériques sincères? J'en sais et j'en devine qui en- vient le silence et le repos des morts. D'autres, plus exaltés encore, et plus souffrants, ruminent en secret le blasphème baudelairien contre « un monde où « l'action n'est pas la sœur du rêve ». Ou bien ils accommodent à la situation de 191 i ce poème, ter- rible dans la mélancolie de son indignation, que Louis Ménard forgeait au lendemain du coup d'État de 1851 : ...Dans un autre siècle il m'eût fallu naître. 11 n'est point ici de place pour moi. •JOX LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. L'idéal qu'avait rêvé ma jeunesse, L'étoile où montaient mes espoirs perdus, Ce n'était pas l'art, l'amour, la richesse, C'était la justice ; et je n'y crois plus... Le présent est plein d'odieuses choses, L'avenir est morne et désespéré : Si l'on peut choisir ses métempsycoses, Ce n'est pas ici que je renaîtrai. Quand la mort, brisant la dernière fibre, Au limon natal viendra m'arracher, S'il est quelque part un astre encor libre. Là-haut, dans l'éther, je Tirai chercher. Il importe de comprendre profondément ces états d'esprits accablés. Devant l'Europe à feu, ce ne sont pas seulement des tours, des beffrois, des remparts et des cathédrales qui s'effondrent, ce sont aussi des systèmes d'idées. Justement parce que nous en avons prédit la ruine pendant vingt ans nous ne pouvons être insensibles à leurs catastrophes silencieuses. Nous en ressentons si vivement l'intime pitié que nous voudrions que les victimes puissent être sau- vées d'elles-mêmes. Le coup de pistolet de Chio n'a rien résolu. Et ce n'est rien résoudre non plus que de relever la chimère mise en morceaux et d'en prédire Tavènement pour plus tard. Un mauvais calcul constaté doit tout au moins conduire à cal- culer juste. La grande faute des hommes de 1851 est de n'avoir pas appris grand chose durant les vingt ans qui sui- virent, de n'avoir rien vu des événements décisifs qui remplirent l'Europe de Sébastopol à Solférino, (le Villafranca à Sadowa, si bien que Sedan et la LES DOCTUINES KCUOULÉES. JÎW Commune les surprirent comme des enfants endor- mis. Hélas! les deux guerres de 1870-1871, l'exté- rioure et l'autre, portèrent un peu plus de fruits, — non pas beaucoup plus! Nous n'avons pas refait l'Empire, nous n'avons pas recommencé l'erreur plébiscitaire, mais, par le fléau de l'élection au Par- lement, l'humanitarisme, le pacifisme, le germa- nisme, le cosmopolitisme, nous ont longuement aveuglés. Voilà les yeux rouverts. Voilà les réalités repa- rues. Quelque mal que puisse causer la lumière pure, si âpre et si rude que soit la révélation du vrai méconnu, il est permis de dire aux désillusionnés ([uc la raison aussi a sa beauté, la vérité son charme, la vue exacte des événements politiques son intérêt poignant. Nous en avons connu ici l'enthousiasme et la joie. Si seulement ils voulaient s'y mettre! S'ils essayaient! Si à l'école de l'expérience politique ils consentaient à examiner, à analyser avec nous les conditions des biens sociaux qui sont possibles, les éléments de cette grande et fructueuse paix rela- tive, dont la notion est accessible à tout esprit poli- tique sensé, dont les réalités sont promises, offertes, tendues même à notre nation renaissante! ENCORE LES INTELLECTUELS ALLEMANDS 13 octobre 1914. Nous possédons depuis hier le texte complet de l'appel aux nations civilisées signé par les intellec- tuels les plus réputés de l'Allemagne. Nos lecteurs en connaissent l'essentiel par les extraits que nous en avons faits d'après la version italienne envoyée de Berlin aux journaux de Rome. C'est bien l'apo- logie de l'empereur et de l'armée, de leurs massacres, de leurs incendies, de leurs cruautés et de tous leurs crimes. Jamais race, nation. État, armée, intelligence ne déclarèrent plus étroitement leur union de pensée et leur solidarité d'intérêts. L'accord n'est pas d'hier. Tous ceux d'entre nous qui suivaient les choses d'Europe savaient que tel est bien le caractère de l'empire allemand. Tout le monde lettré y travaille depuis un demi-siècle, non pour l'amour de la science, mais pour l'amour de la patrie. Sanctus amor patrise çlat animtim, dit l'épi- graphe de leurs Monumenta hhlorise. Leur fana- tisme allemand prêchait de si haut la religion de leur patrie et le mépris de la patrie des autres que sou- vent nos propres savants s'y laissaient prendre. Au lieu d'imiter en ce qu'il avait de sage, le patriotisme des chimistes, des historiens et des philologues d'Allemagne, ils transportaient, à l'état brut, chez nous, le culte de l'Allemagne et le mépris de ce qui n'était pas allemand • ! J'ai rappelé le mot de Gabriel 1. On peut voir dans mon livre Quand les Français ne ENCORE LES INTELLECTUELS ALLEMANDS. ÔOI Monod sur colle « «ccondo pairie de lout homme (lui pense ». Cerlains travaux de la même école portent aussi la marque d'une espèce d'humiliation associée au sentiment d'être né Français, Je feuilletais laulre soir un de ces volumes publiés à grands frais, par des collections semi-officielles sur les origines de notre histoire '. Rien ne saurait donner ridée des marque-s de mépris qu'y reçoivent d'un bout à l'autre tous les grands personnages d'un passé qui a le malheur de n'être pas allemand, de n'être que français. Sans y songer, peut-être, par simple nonchalance et esprit moutonnier, l'auteur a laissé couler sur la cendre de nos tombeaux, sur la poudre de nos annales, le fiel des écrivains et des chartistes d'outre-Rhin. Pris à mon tour de dégoût et de mépris, je n'ai pu refermer la docte brochure sans y avoir mis l'épigraphe qu'elle mérite : Sanctus horror palrite dat animum. L'auteur s'est inspiré d'une sainte horreur de la France. LES DEUX SYSTÈMES Ces choses, aujourd'hui, semblent bien vieilles. Cependant elles sont d'hier. Jusqu'au réveil d'Agadir, nous avolis été tenus pour des originaux un p'eTJ tim- brés parce que nous croyions, d'accord avec l'Alle- mand Frédéric II, l'Allemand Gœthe, l'Allemand Scho- penhauer, l'Allemand Nietzsche, que la Francfe est un pays intellectuellement et moralement supérieur aux s'aimaient pas ce qu'eu a dit un juge désinléressé, ^L Miiu- rice Vernes. pages 99 et suivantes. 1. Il est inutile de mieux désigner ce volume de la Biblio- thèque de l'École des Chartres. 502 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MEME. Allemagnes. Notre idée que Guillaume II pût être un protecteur douteux pour les catholiques scandalisait d'excellentes gens. Nos critiques du caractère de l'empereur détonaient au milieu d'un concert d'éloges et de murmures favorables.... Il y aura dix ans le mois prochain, un écrivain que je ne nommerai pas, dans une importante revue que je ne nommerai pas davantage, écrivait tranquillement que si la France se dégoûtait de la République, elle accepterait plus volontiers que d'autres prétendants (inconnus et sans prestige) qui? l'empereur Guillaume II. Je cite : L'idée pour paradoxale qu'elle semble, devrait fixer l'attention, et j'ai même proposé à de provoquer une enquête à son sujet. L'Alsace-Lorraine, justement, servirait d'arbitre entre les nouveaux pays-unis, et du coup l'union serait possible et durable. L'ombre de Charlemagne prési- derait à ce revenant d'empire d'Occident. Guillaume II pris pour l'ombre de Charlemagne! Fonctionnaire français, le malheureux auteur de ces lignes s'en est mordu les doigts depuis. Son nom n'importe guère. Ce qui importe, c'est l'état d'esprit révélé par l'expression, claire, nette, sereine, impu- dente et d'ailleurs impunie de ses criminelles sottises, contre lesquelles nous étions un bien petit nombre à nous élever! Toutes les forces de ce pays-ci s'em- ployaient à systématiser tantôt l'antipatriotisme, tantôt le désintéressement absolu du passé, du pré- sent et de l'avenir de notre patrie. Pendant ce temps, c'est le patriotisme qu'on systé- matisait en Allemagne. On en voit maintenant le fruit : dans l'entreprise désespérée qu'un coup de ENCOIU- LES INTELLECTUELS ALLEMANDS. 30.3 folie nationale a imposée à ce pays, les auLorilés do l'intelligence font bloc avec les forces de la volonté directrice et de l'instinct populaire. Une sorte d'una- nimité publique est assurée à la défense impériale. D'autres forces joueront sans doute en sens inverse, il faut bien l'espérer : le particularisme des États secondaires, l'esprit d'anarchie, l'esprit de l'indivi- dualisme teuton, peut-être encore la stupeur née de la déception quand l'échec sera devenu évident. Notre jeu s'améliore sans cesse. Mais il ne fallait pas compter sur l'appui de l'intelligence allemande, et la presse qui nous la donnait pour alliée ou se trompait ou nous trompait. C'est l'impérialisme alle- mand qui tient cette carte-là, c'est Guillaume II qui la joue. L'ÉTAT BELGE SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS U octobre 19U. En ouvrant au roi Albert I*% à son gouvernement et à son armée les portes de la France, en leur cé- dant tous les usages de l'extraterritorialilé dont ils pourront avoir besoin, nous ne faisons guère que commencer à nous acquitter d'une dette immense en faveur des premiers héros de la guerre de 1914, de nos plus utiles, de nos plus précieux défenseurs. A la lettre, ils nous ont sauvé. Ce valeureux rempart de poitrines humaines qui, sur la Meuse et sur l'Es- caut, a retenu et retardé l'invasion des hordes alle- mandes, a gardé Paris et la France, la civilisation et l'humanité. En exerçant une hospitalité cent et mille fois duc, puisse-t-on aboutir le plus vite pos- sible, à rendre leurs foyers aux magnanimes fugitifs que nous recueillons sous nos toits! Et puissent aussi ceux des Français qui ne peuvent que suivre des yeux l'effort de nos armes, ne pas perdi'e les leçons de spectacles militaires et poli- tiques si instructifs! Ce gouvernement fugitif, cette cour militaire errante, ce ministère en migration semble bien faits pour rendre intelligible et sensible, ce qu'il y a d'immatériel, je dirai même de spirituel ou de religieux dans le principe et dans_^ l'entité dt; l'État, Un État qui survit à l'inondation de son territoire, à l'occupation de sa capitale, de sa prin- cipale forteresse, bientôt peut-être de tous ses ports. i/i':tat bei.(;k sik lk teiiuitoiiîi-: français. m> cl qui impose au monde révideuce de son admirable vilaiilé, cet État belge, ainsi rassemblé et concentré dans sa hiérarchie militaire, dans le cœur indomp- table de ses citoyens combattants, dessine pour Ta- venir la plus pure image de ce qu'on pourra appeler le corps glorieux de la patrie et de la nation. Nous tenons à la terre maternelle, aux murailles et aux frontières de la cilé, et ce n'est pas de nous qu'est jamais venu le dédain du « patriotisme territorial' »; mais enfin tout n'est pas terminé à ces belles choses, elles sont couronnées d'une idée qui les sublime et les purifie : tous les Français salueront et acclame- ront l'entrée triomphale de l'Idée belge, radieuse, militante, invaincue, aux bouches de la Seine, dans le Havre de Grâce, vieil emporium de Paris, pre- mier berceau de la marine des Rois de France. HERVÉ POUR L'ALLEMAGNE Encore! diront nos lecteurs. Ils m'excuseront. Sans estime aucune pour M. Hervé, je tiens sa rhé- torique pour une des dernières membranes qui peu- vent s'interposer entre les regards du public français et la vérité politique. La bonne foi de ce public, si fin, mais si sensible au ronron de la fausse bon- homie, est immense. Nous avons tout fait autrefois pour l'avertir, en avant de la catastrophe. M. Hervé veut manifestement que cette catastrophe, soufferte avec un incomparable héroïsme, soit absolument inutile et ne comporte même pas le bienfait d'un enseignement. Je ne perdrai aucune occasion de 1. Expression de Marc Sangnier. r>06 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. mettre au jour cette charlatanerie malfaisante. Avant-hier, pour avoir l'air de répondre quelque chose à Bourget, il expliquait la guerre actuelle par « l'intérêt dynastique des Habsbourg » . Hier, de lui-même, il a raturé son extravagance, sans s'en apercevoir, comme l'animal de Suidas se rongeait la patte, par simple besoin de paraître coller un autre interlocuteur. Il a dit : Pourquoi donc, au moment où, sous la pression de l'Angleterre et de la France, la Russie acceptait de parler avec l'Autriche, laquelle acceptait de renouer les pourparlers, le gouvernement de Berlin a-t-il envoyé a Pétrograd et à Paris l'ultimatum qui a tout cassé ? La faute était lundi à Vienne. Mardi elle est à Berlin. Que l'intérêt de M. Hervé soit de la mettre après-demain à Pékin, soyez persuadé qu'il n'hési- tera point. Un peu plus bas, il lui plaît de proclamer « la cul- ture allemande — c'est-à-dire la science, la musique, la philosophie, l'industrie, la méthode allemande — comme un des facteurs les plus précieux de la civi- lisation humaine ». Cette fois, Hervé fait le docte et le malin. Il serait d'ailleurs bien embarrassé d'ex- pliquer ce que c'est que la science ou que la mé- thode allemandes. Dût-onétonnerbeaucoupM. Hervé, il faut l'avertir que s'il veut parler des savants ou des philosophes qui ont vécu en Allemagne ou écrit en allemand, il exagère un peu (moins que Gabriel Monod toutefois), mais il ne dit rien que tout le monde n'admette. Les Allemands ont beaucoup tra- vaillé et beaucoup écrit, ils ont eu leur part, moindre L'ÉTAT BELCE SUU LE TERHITOIRE FRANÇAIS. '07 que les Anglais, ou que les Italiens, moindre que les Espagnols, à la civilisation, et cette part n'est contestée par aucun des académiciens nationalistes (|ui n'ont rien à apprendre d'Hervé sur ce sujet ni aucun autre. S'il veut parler, comme il le veut, en eiîet, d'une science ou d'une méthode proprement allemandes, eh! bien dût-il aller de stupeur en stu- peur, il faut lui dire qu'il rêve éveillé; cette science n'existe pas, celte méthode est un pur néant. Ni Descartes, ni Bacon, ni Aristote n'écrivirent sur les méthodes grecques, anglaises ou françaises, ils ont traité de la méthode générale de l'esprit humain; la science n'est pas seulement internationale, elle vaut pour le genre humain, même sauvage ; elle doit être et elle est interplanétaire et c'est un ridicule travers des esprits allemands que d'avoir opposé à ce cours général de la civilisation leur prétendue culture, leur fausse universalité, timbrée jadis aux armes de la Germanie luthérienne et, depuis Bismarck, à celles des Hohenzollern. C'est cette science, cette méthode, ces arts proprement allemands qu'on a voulu nous imposer. C'est là contre qu'a protesté l'effort d'un groupe de notre génération depuis plus de vingt ans, puisque cela remonte à 1890. Le monde classique comprend la Germanie po- licée et vraiment civilisée, celle de Leibnilz si l'on veut ou celle de Gœthe. Elle peut comprendre aussi tout ce qu'il y a de juste, de vrai, d'utile dans l'or- ganisation du travail ou dans l'ordre militaire, éco- nomique ou politique des pays allemands. Les pre- miers amis de VAclion française, encore teintés de romantisme, disaient : « ordre français ». Nous di- 308 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. sions ordre tout court, car son application peut va- rier avec les races, non son esprit, non son idée. L'intelligent écrivain italien qui signe Antonio Pa- gano à VIdea nazionale écrivait avec force le mois dernier : L'Allemagne des derniers trente ans aurait dû être moius adulée* et plus imitée. Oa aurait dû comprendre qu'il n'y a pas dans l'art de gouverner ni dans celui de combattre des méthodes allemandes et des méthodes non allemandes. Si en Allemagne la rigoureuse appli- cation des principes de Tordre donnait de bons effets, il n'y avait aucune raison pour que l'e.xtrême tolérance du désordre ne donnât point ailleurs de mauvais effets^. Cette disiinction élémentaire est faite par un pa- triote italien désireux de servir son pays en l'éclai- rant. Comptez qu'elle sera insupportable à M.Hervé qui ne songe qu'à agiter et quà troubler l'esprit de la nation pour la rendre incapable de voir ses vrais défauts et de les corriger. 1. Dans ce qui était inimitable : sa nature originale et son caractère propre. 2. Idea Nazionale du 3 septembre 1914. UNE POLITIQUE RELIGIEUSE 15 octobre Iflli. DE L'INDISCRETION RELIGIEUSE Uo journal n'a jamais été à la disposition du parti dit conservateur. Il a toujours demandé des réformes sociales profondes, hardies et, dans le cadre natio- nal, Torganisation du travail, l'incorporation du pro- létariat à la vie sociale dont l'anarchie révolution- naire l'a éloigné et presque banni. Le monde con- servateur nous a attaqués pour de prétendues complicités avec la G. G. T., de prétendues complai- sances proudhonniennes ou de prétendues conces- sions à un syndicalisme de subversion ou de guerre sociale. Ces averses de calomnies subies la tête haute ne nous ont pas empêché d'approuver publiquement M. Edouard Vaillant, vétéran de la Commune, dans ses campagnes pour dégager son parti et préserver ses lecteurs de l'embûche allemande. Avec la même liberté d'appréciation, nous regretterons que, dans le courrier d'hier, les deux organes parisiens du so- cialisme, VHumanité et la Bataille syndicaliste aient pris sur eux de ressembler à de simples succédanés (le la Lanterne ou du Radical et publié en tête de leurs colonnes les plus inutiles des sorties anti-cléri- calas : les organes de l'intérêt ouvrier ont leur raison d'être en guerre comme en paix; les organes de di- vision religieuses n'en ont pas. J'ai lu attentivement les plaintes de ces deux jour- 310 LA tRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. naux. Les unes elles autres apparaissent bien faibles et portant sur des faits bien inconsistants si on les compare à l'interprétation, au jugement que l'on en tire! M. Vaillant s'écrie que l'on « doit le respect » aux blessés de sa religion ou de son irreligion. Croit- il donc qu'on ait pu leur manquer de « respect » ? Il veut les défendre « contre toute injure à leur di- gnité ». Suppose-t-il que, cette injure, on ait pu la leur faire? Oui, il le croit et le suppose sur le simple rapport dequelques cas, dans lesquels des ecclésias- tiques auraient « insisté » pour offrir aux blessés les secours de leur ministère. J'ai beau lire et relire : c'est l'insistance seule qui aurait constitué le man- que de respect! Si l'on voulait jeter les Français les uns contre les autres, on ne chercherait pas une interprétation plus irritante, ni, je dois le dire, plus folle. Est-ce injurier un malade, ou un blessé, est-ce le moins du monde manquer de respect à la dignité d'aucun homme que de lui proposer, même avec insistance, et même avec indiscrétion, une doctrine dont celui-ci ne veut pas ? On peut l'agacer, lui dé- plaire. Aucun élément injurieux ni même irrespec- tueux ne peut être relevé là-dedans. C'est d'ailleurs une grave question que de savoir jusqu'à quel point peut aller d'une part le déplaisir et d'autre part l'ob- session ou l'indiscrétion! Des esprits mieux placés ({ue M. Edouard Vaillant pour juger de tout cet ordre-là pourraient lui affirmer qu'il se trompe beau- coup. Quelle que soit l'impatience que peut causer l'excès du zèle, il est bien rare qu'il ne s'y mêle point un sentiment de reconnaissance attendrie, carie zèle U\i: POLITIQUE RELIGIEUSE. 311 religieux s'accompagne normalement de manjues d'inlérôt et de signes de sympathie dont les corps soudVants et les âmes inquiètes sont remués avec une égaie douceur. Le point serait à calculer par qui n'aurait en vue que le bien-être et la paix phy- sique ou morale de nos blessés. En vérité, y songe-t- on ? VŒU DE PAIX RELIGIEUSE OU CAMPAGNE DE DIVISION? Admettons cependant! Et faisons la supposition que les plus horribles excès de prosélytisme aient été commis sous forme d'insistance désagréable, sous forme même d'obsession irritante par quelque ecclé- siastique ou par quelque femme pieuse. M. Vaillant est prévenu que je n'en crois rien, Mais admettons- le. Veut-il faire cesser le mal? Je le lui demande tout net ; le veut-il? Si oui, rien de plus simple : ces prêtres ont des supérieurs, ces femmes ont des direc- teurs et des pasteurs : pasteurs, directeurs, supérieurs merveilleusement écoutés. M. Vaillant qui, par ses amis et ses anciens amis Guesde, Sembat, Mille- rand, Briand, Viviani, est un peu du gouvernement, M. Vaillant n'a qu'à prier ces messieurs de faire une démarche aussi pressante que discrète, aussi dis- crète que pressante, auprès des autorités religieuses. Elles seules sont compétentes. Elles seules sauront agir eflicacement si c'est vraiment l'efficacité que l'on cherche. Les journaux viennent de crier contre « les chaînes de prières «. Eh! bien, il a suffi d'une personne com- pétente, le chanoine Coubé, pour établir qu'on avait 512 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MEME. affaire à une superstition réprouvée. Dans tous les autres cas de plainte juste, on peut affirmer à M. Vail- lant que l'ordre serait rétabli, sans traîner. Il suffit au pouvoir civil de demander à l'Église, dans les formes et le ton qui conviennent, de vouloir bien collaborer avec lui pour la paix publique : je doute qu'il rencontre des auxiliaires plus sûrs et des alliés plus actifs. Le gouvernement français a l'extrême chance d'avoir devant lui une organisation puissam- ment hiérarchisée qui suit comme un seul homme, ou plutôt comme une seule âme, les instructions spirituelles de son chef. Qu'il s'adresse donc au Pape tout droit. Pour établir « l'union sacrée », on n'a pas craint de s'adresser aux che/s socialistes au point de leur ouvrir le ministère. Il ne s'agit pas de nommer un cardinal o; ministre sans portefeuille » , mais de prier l'autorité catholique d'intervenir en faveur de l'or- dre, troublé, à ce que l'on assure, par tel ou tel élément de l'organisation catholique. Pourquoi hésiter? Ce détour par en haut, d'une efficacité certaine, présenterait, avec le grand avantage d'être prompt, celui de ménager l'intérêt de l'union devant l'en- nemi. Le bien qu'on paraît désirer s'obtiendrait sans agitations dangereuses. On ne tourmenterait pas les nerfs du public avec des accusations et des imputa- tions irritantes. On ne le passionnerait pas sur d'âpres conflits religieux par lesquels le pays a besoin, comme l'a dit si bien Bailby, de ne pas être embêté. La presse ne se donnerait pas la honte de concourir indirecte- ment à cette basse et honteuse campagne de la « guerre UNE POLITIOUE RELIGIEUSE. 313 des curés » dont l'écho soutenu ne cesse de nous revenir. Oui, les Allemands continuent à jeter l'ignoble se- mence : les curés ont voulu la guerre, ce sont les curés qui l'ont fait déclarer. Ici, les curés seuls : là, les curés avec les nobles. Dans un département de l'Ouest, dont je peux dire le nom, on raconte que notre ami L... a fui en Suisse avec son argent (il est chez lui, dans sa maison de campagne, blessé à l'en- nemi); que notre autre ami L... a filé en Angleterre (il est à Clierbourg sur un torpilleur) ; que C... a mis en sûreté sa fortune et s'est sauvé en Angleterre (il s'est engagé au ...^ dragons, à ...) et ainsi de suite! Voilà les abominables diffamations que l'ennemi colporte. Il s'agit de savoir si un parti quelconque peut vouloir collaborer avec l'ennemi. DÉCADENCE ALLEMANDE ET SIMPLE CRISE FRANÇAISE IG octobre 1914. M. l'abbé WeLlerlé n'interprète pas tout à fait comme nous le phénomène scandaleux de l'Alle- magne guerrière, mais il verse au débat des faits curieux, fort bien observés, dont il faut faire pro- fiter le public. Exposant dans la France de demain les raisons qui ont dicté le choix de l'heure à Guil- laume II et qui Tout peut-être obligé à se hâter, il note ce détail digne de remarque : Depuis quelques années une crise se produisait dans le recrutement des officiers de réserves Les fils de familles bourgeoises, peu soucieuxde perdre un temps considérable en longues et fréquentes pé- riodes d'instruction et ennuyés de rester soumis toute leur vie durant au duel obligatoire, refusaient en masse de passer l'examen d'officiers de réserve... Ainsi, dans la prospérité économique de l'Empire, toute une classe, grande, puissante, dont le nombre s'accroissait, en même temps que l'influence, cessa de prendre goût à ce métier des armes, dont elle s'était férue un instant. Le fait confirme ce que nous avons toujours pensé : l'Allemagne fait une maladie historique, maladie nationale, diathèse d'un peuple vers sa décadence. L'excellente parole de M. Bal- four s'y vérifie encore : la classe moyenne allemande, habile à « créer » sa puissance, n'aura pas su en mieux « user » que le reste du peuple allemand. DECADENCE ALLEMANDE. :.l^ Chose curieuse, dans la môme période, noire bourgeoisie a failli connaître un état analogue, mais par des causes différentes. Les causes du mal ne lui étaient pas intérieures elles lui venaient du dehors: de l'Etat. L'État pendant quinze ans environ a fait ce qu'il a pu pour décourager et dégoûter la jeu- nesse du métier des armes et de l'accession au corps des officiers. Comme exemple typique de cet « an- cien cours», le cours d'avant Agadir, on peut rap- peler l'abolition par M. Clemenceau des préséances militaires stipulées au décret de Messidor, mais ce fut lu un point d'aboutissement, presque le sommet de la courbe : auparavant avaient sévi les humilia- lions prodiguées aux chefs de l'armée, les réductions systématiques du budget de la Guerre, la suppres- sion du service des Renseignements, l'abolition de la dot réglementaire, les fiches. L'État se comportait comme s'il ne voulait plus avoir autour de lui de Iraîneurs de sabres. Il ne parvint qu'à réduire dans de fortes proportions (plus d'un tiers, a-t-on dit) le nombre des aspirants aux Écoles militaires. L'essen- tiel pourtant fut fidèle. La nation, par sa force spon- tanée, par sa nature propre, a réagi contre la volonté de l'État. La France a, comme pépinière d'officiers, de quinze à vingt mille familles militaires dont les membres, « servant » aux armées de père en fils, excellent dans l'art de donner les exemples de la bravoure et de la mort. Bien que ces familles, portant « des noms à courant d'air », comme disait le général André, fus- sent particulièrement visées par la méfiance de l'État, elles restèrent à leur poste, solidement, et continué- 516 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. rent d'envoyer à Saint-Cyr, à Navale, à Saumur, à Fontainebleau le même nombre de futurs officiers. Et comme en France, de tout temps, l'ascension des classes se fait essentiellement par l'armée, les autres familles, les familles purement bourgeoises avaient à peine ralenti l'ancien mouvement. En outre, le vide artificiel creusé par l'État du côté de la bourgeoisie a été comblé en très grande partie par le peuple qui, subissant la loi de l'usage ancien, s'est hâté de pro- fiter des ouvertures de Saint-Maixcnt et de Saumur pour gagner ainsi une étape. Donc, le mal fait par un État révolutionnaire a été compensé dans une proportion considérable par la nature des traditions du peuple français. C'est l'in- verse de ce qu'on a vu en Allemagne, où, malgré son essence militaire, l'État s'est heurté à l'épaisseur, à la lenteur, au lourd utilitarisme du grossier animal germanique enfin parvenu aux satisfactions du pro- fit, de l'aisance et de la richesse. LA MANSUÉTUDE ET LA DISCORDE Je ne voudrais pas insister outre mesure sur la guerre au clergé. Mais au moment même où nous publiions hier nos réponses à la presse socialiste, un fameux adversaire du socialisme, M. Clemenceau, venait appuyer la Bataille syndicaliste et VHuma- nilé, en ayant bien soin de s'envelopper des termes d'une modération doucereuse et d'une philosophie auxquelles pour mon compte, je ne crois point. M. Clemenceau n'a jamais servi que des passions et des rancunes, les unes et les autres fort vives, et je crois savoir qu'il a été Tinstigateur principal de la DÉCADENCE AI,LËMANDE. 317 récente campagne de la Dépèche à Toulouse. Son ramas indigeste, qu'il a pillé chez Spencer et qu'il prend pour une doctrine, ne mérite même pas la peine d'être discuté. Ce qui est intéressant, dans l'article d'hier, c'est l'espèce de marché qu'il pro- pose au gouvernement. D'une part, on a censuré des articles de lui ou de quelques-uns de ses frères et amis. D'autre part, l'apaisement religieux est une nécessité de l'heure. Alors, M. Clemenceau écrit : Une politique de mansuétude n'est pas pour m'eiïrayer, si ceux qui représentent l'idée moderne de l'Etat laïque ne sont point réprimés quand ils dénonceront le danger des paroles de dis- corde qui pourraient compromettre la paix publique irréparablement. En d'autres termes : nous laisserons faire les clé- ricaux, nous ne demanderons pas de mesures, de violences contre les prêtres ou les infirmières qui servent leur foi, mais à la condition qu'on nous laisse crier contre eux, c'est-à-dire agiter librement et diviser magistralement le pays. Voilà tout à fait le contraire du conseil donné hier ici même au gou- vernement : — S'il y a des excès de zèle commis, adressez-vous à l'autorité religieuse, priez-la de col- laborer avec vous; mais ne tolérez pas de campagnes de division. Cette opposition radicale, involontaire et spontanée à la méthode de guerre civile prêchée par M. Cle- menceau sera l'honneur de notre vie. — Mais, demanderez-vous, quelles sont les paroles de discorde jugées par M. Clemenceau de nature à compromettre la paix publique irréparahlementl 318 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Peut-être les indignités suivantes parues à la Ba- taille syndicaliste : En dehors des invocations fétichistes à un Dieu tour à tour implacable et misécordieux, au sacré cœur de monsieur son fils, à la Vierge mère et à divers autres personnages de la mythologie chrétienne, procédés propres à impressionner au plus des nègres papous, les tenants du trône et de l'autel avaient reconstitué pièce à pièce toute une organisation de combat. Je gagerai plutôt que ces sales insultes dirigées contre les croyances et les personnes, seront consi- dérées par M. Clemenceau comme d'inoffensives formules de paix. Ce qui trouble sa paix, ce sont ces paroles de Mgr . : censuré CHEZ LES NEUTRES 17 octobre lOl-i. Au commencement de la guerre un journal parisien insistait avec beaucoup de vivacité sur la nécessité pressante où nous étions de ménager les États neu- tres et d'éviter tout ce qui pourrait froisser, par exemple, la nation italienne. Le conseil, qui est bon en tout temps, n'a jamais été plus utile, et nous avons applaudi chaleureusement le Journal des Débals. Nous avons été d'autant plus surpris de lui voir faire accueil à une lettre d'Espagne qui met en cause, d'une façon presque brutale, les catholiques, les carlistes, les mauristes.... Par une coïncidence qu'il est difficile de croire volontaire, c'est le matin même du jour où a paru cette «■ lettre d'Espagne » que nous sont arrivées, sans doute par le même courrier, les nobles lignes émouvantes tracées par M. Maura à la mémoire de notre Pierre Gilbert. M. Maura est peut être anti- mauriste, mais son bel hommage à la magnifique jeunesse française tombée au champ d'honneur n'est pas d'un ennemi de la France, ni la politique suivie, il y a cinq ans, par l'éminent homme d'État. Les carlistes ? Je ne suis certes pas carliste pour la France, et les alTaires intérieures d'Espagne ne me regardent pas, mais je ne puis ignorer que don Jaime a fait la campagne de Chine et de Mandchourie dans l'armée russe et qu'il a été traité en ami delà France, c'est-à-dire fort mal, dans les pays germains où il 320 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MEME. résidait en juillet dernier. Ses partisans ont pu penser ou sentir autrement que lui, mais enfin il doity avoir des carlistes de l'avis de don Jaime et des mauristes de l'avis de M. Maura ! Pourquoi nous les aliéner tous? Quant aux catholiques, comme l'État germa- nique s'est fait une spécialité du militarisme, l'État français s'est fait longtemps une spécialité de l'an- ticléricalisme : les catholiques des autres pays ne s'en souviendraient peut-être pas spontanément et le Saint-Siège les invite publiquement à ne pas en tenir compte, mais il y a l'Allemagne : les agents allemands font le possible pour mettre l'univers dans leur jeu. C'est d'eux, plus que de leurs victimes ou de leurs dupes que nous devrions nous occuper. Répondons-nous assez? Le Temps disait avant-hier soir que nos communiqués et notre bon droit « suf- fisaient ». Le ciel entende notre confrère! Mais nous aimerions bien qu'on aidât le Ciel! De bons amis de Suisse nous disaient hier soir que la propa- gande pangermanisle dans leur pays était effroyable. Un correspondant des États-Unis au Daily Tele- grap/t, après avoir montré que la presse anglaise a agi sur l'Amérique, malgré le comte Bernslorf et le D"^ Dernburg, ajoute : C'est probablement sur la base du prétendu refus que l'Angleterre opposerait à des ouvertures de paix, que Dernburg et son bureau vont maintenant travailler, et il serait insensé de fermer les yeux sur le danger éventuel d'une réaction en ce sens du sentiment amé- ricain. Il n'y a pas le moindre doute que des demandes d'intervention ont été faites auprès des États-Unis par l'Allemagne . Tout oblige de croire qu'elles n'ont eu CHEZ LES NEUTRES. 321 qu'un but: jeter sur l'Angleterre l'odieux d'un refus. Ce qui a été essayé le sera encore n'en doutons pas. L'attaque est annoncée, la diffamation calom- nieuse prédite. Sachons la repousser. Non contents de nous montrer prudents et sages envers l'opinion des pays neutres, éclairons-la, assiégeons-la, organi- sons notre propagande. Il y va du succès final *. 1. Le lendemain nous écrivions pour « insister auprès du gouvernement » et « des particuliers ». — La cause nationale », disions-nous, « si bien défendue par l'année française, ne l'est pas ou ne l'est pas assez au dehors auprès des peuples de l'ancien et du nouveau con- tinent. Cela est d'autant plus fâcheux que les dispositions naturelles des peuples sont fort loin de nous être hostiles. On me communiquer cette lettre de Mexico, 22 septembre : " L'opinion "n Amérique de tous les éléments autant indigènes qu'étrangers est ouvertement pour les alliés, même pour les Russes... — et moi qui m'ét'iis toujours fiqurc que l'on avait de la sympathie pour les Allemands, comme j'ai été étonné, dès le début des hostiliés, d'entendre des gens, beaucoup de gens dire : Ah! si seulement on les battait, eslos cochinos; Et comme Mexico contient toutes les races, toutes (es nationa- lités J'ai entendu la même invocation dans toutes les langues.» On le voit, la spontanéité des cœurs va dans notre sens; mais, saprelotte, il ne faut pas s'endormir dessus. Cette donnée de la bonne nature, cet heureux facteur de l'histoire, cette fortune favorable, il faut nous en servir, il faut nous en armer, il ne faut pas laisser à l'état de friche le champ de bonnes volontés capable de porter pour nous tant de fruits! Les Allemands sont passés maîtres dans l'art de créer artificiensement par intrigue, le faux esprit public qui leur accorde une apparence de faveur. Cette faveur, elle est pour nous. Ne permettons pas qu'on la tourne ni qu'on la trompe. Sachons l'organiser et la consolider. Tout ami de la France vivant à l'étranger peut, sans doute, beaucoup dans cet ordre d'idées. Mais il nous semble que le gouvene- ment peut aussi quelque chose, c'est pourquoi nous nous adressons également à lui. {Ad. franc, du 18 octobre 1914.) 21 M. BOUTROUX ET L'ALLEMAGNE Même date que l'article précédent'. « L'ALLEMAGNE ET LA GUERRE » M. Emile Boulroux vient de publier dans la Revue des Deux Mondes des considérations qu'on lira avec charme. Sans comparer l'illustre professeur à des personnages officiels tels que le poète lauréat de l'Angleterre ou le poète du Gouvernement dans la République Argentine, on peut le tenir pour l'une des voix du régime : cousin ou beau-frère du prési- dent de la République, membre de l'Académie fran- çaise, arbitre de la Sorbonne. Ses idées sur l'Alle- magne et la Guerre peuvent aider à définir les idées qui courent le monde officiel. Elles sont en progrès. M. Boutroux nous change de déclamations un peu creuses sur le militarisme prussien ou bismarckien. Ce n'est pas à Bismarck, c'est à Fichte qu'il fait remonter les origines du germanisme brutal. Cette mention de Fichte consti- tue pour nous plus qu'une satisfaction, et presque un succès : il y a juste vingt ans que nous la deman- dons, il y a vingt ans que nous signalons l'impor- tance des Discours à la nation allemande, sur les- quels on s'appliquait toujours à glisser. Nos instances de 1895 concoururent à faire souscrire 200 exem- plaires de la traduction du capitaine Philippe au 1. Cet article a paru à notre revue de la presse sous la signature de mon ami Criton. M. BOUTROUX ET L'ALLEMAGNE. 3M conseil municipal de Paris. Et ce lut k p«u prie t«ut, jusqu'à l'article du 15 octobre 1914. Nous avons avec M. Emile Boutroux quelques au- tres points d'accord. « La culture allemande ditïere profondément de ce que l'humanité entend par culture et civilisa- tion ». Si M. Boutroux donne la plénitude de leur sens à ces mots de lui, ils correspondent à notre pensée. Et les vives peintures que Daudet a laites de l'Allemagne pourraient servir de préface aux remarques fines et justes, de M. Boutroux, sur la grossièreté de la nature allemande. Quel contraste, dit-il, entre la science de ce peuple et l'état de ses mœurs, sa médiocrité de caractère et d'âme! Chez tel savant spécialiste (mettons de chirurgie ou de philologie) « quelle disproportion souvent entre sa science et son degré d'éducation! Quelle vulgarité de goûts, de sentiment, de langage, quelle brutahté de procédés! » La fibre morale est en re- lard sur un développement scientifique, militaire et politique incontestable et incontesté. Quelques-uns aimeraient s'en tenir à cette explication. M. Bou- troux ne le veut pas. Il n'en est pas satisfait, et il a raison : cette grossièreté et cette barbarie savantes sont mises en système, dit-il. Il fait une analyse du système allemand. M. Boutroux a mentionné Fichte. Quel ennui qu'il n'ait pas tiré de ce nom et de cette doctrine tout ce qui y est contenu ! Son hésitation fâcheuse fait tour- ner court une analyse qui s'annonçait bien. Vous y trouverez de bons morceaux, des indications justes 324 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. des remarques de détail capables d'instruire et de divertir tout le monde. Vous saurez ce que c'est que la hiérarchie germanique des peuples suivant qu'ils sont naturvolker, lialbkulturvolker ou kullur- volker, ou même vollkulturvolker, lesquels emportent le bâton de maréchal de la Culture. Mais le passage de la basse nature allemande à la divinisation, plus basse et plus grossière encore, de cette nature, M. Emile Boutroux ne l'établit point. On sentira peut-être pourquoi. En attendant, il revient par un détour à l'idée des deux Allemagnes et de la corruption de la bonne par la méchante : la prussienne. A l'Allemagne qui fit sa liberté par l'unité, il oppose l'Allemagne qui voulait réaliser son unité par la liberté; à l'Allemagne de Sadowa et de Sedan, l'Allemagne du Parlement de Francfort, c'est-à-dire à l'Allemagne de la réussite l'Allemagne de l'avortement ! Même après un nouvel léna, ce point de vue risquera d'être trouvé faible en Allemagne. « Une Allemagne libre dans l'Europe libre » qu'il essaye de saluer dans un avenir idéal, rappelle cette Église libre dans l'État libre, quelque- fois entrevue en rêve, et qui a toujours mal tourné en réalité. EXCÈS OU LACUNES M. Boutroux croit devoir s'attendrir, s'étonner, se révolter devant la succession de ces deux Allemagnes : fi donc, après l'Allemagne de l'impératif catégorique et du moralisme kantien, l'Allemagne immoraliste des soldats de Bismarck et de Guillaume II ! On di- rait que M. Boutroux n'a jamais vu sortir le jacobin M. BOUTROUX ET L'ALLEMAGNE. 325 du libéral comme le fruit de la fleur; on dirait qu'il n'a jamais vu un 1793 naître logiquement d'un 1789 ni une Terreur d'une Déclaration des droits de l'Homme? Les marques d'émotion et de trouble données devant un enchaînement aussi naturel ne sont pas un état d'esprit très philosophique. Ce sont les trous de son analyse. Ils sont couverts delà façon la plus ingénieuse par d'intéressants sou- venirs donnés aux paradoxes dialectiques de la phi- losophie allemande, tels que l'inertie du bien, la fé- condité du mal ou la génération du bien par le mal. Mais ces jeux ne sont pas proprement allemands, la philosophie des Grecs ou leur sophistique ne s'y est- elle pas amusée plus d'une fois? Quant au culte de la force sur lequel M. Boutroux appuie si éloquem- ment, il y a des distinctions à faire. D'abord ce n'est pas la force en soi que l'Allemagne adore, c'est la force en tant qu'allemande. De plus, le culte de la force, le goût de la domination, l'appel aux puis- sances mystiques en faveur d'un empire ou d'une armée ne sauraient être confondus avec cette folle apothéose du moi allemand. Toute l'Europe des croi- sades s'est dite le soldat de Dieu, et la paix ro- maine (Rome : force) a, Par la bouche d'or du plus doux des poètes ' chanté son droit à s'imposer aux nations pour leur propre bien. M. Boutroux n'aura qu'à rouvrir l'Enéide aux vers qui suivent de près certain hexamètre ap- plicable au général Jofîre : 1. Frédéric Plessis, la Lampe d'argile. 5-26 L\ FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Ta regsre imp«rio populos. Romane, mémento ; Hae tibi erunt artes, pacique imponere morem Parcere subjectis et debellare superbos. Les pangermanistes ont beau démarquer ces beaux vers, ils ne feront pas de Virgile un impérialiste alle- mand. L'explication trop flottante de M. Boutroux enfermerait une profonde duperie si elle leur permet- tait Tembauchage du poète sacré. L'INDIVIDUALISME ALLEMAND Essayons d'esquisser ce que i\L Boutroux a laissé en blanc. La doctrine de Fichte, dans laquelle le libéralisme de Kant semble porter et mûrir son jacobinisme, est un individualisme absolu. Kani avait marqué la valeur transcendante de l'individu mais d'un individu général et abstrait. Ce que Kant avait cru du moi rationnel et humain, Fichte, en somme, le transporta à son moi concret de Germain. L'application qu'il en a faite à la nation allemande alors vaincue et terrassée, bénéficia du vaste courant de libéralisme politique et d'individualisme religieux qui coulaient en Allemagne non seulement depuis Kant et la Révolution française, non seulement de- puis Rousseau, mais depuis la Réforme de Martin Luther. C'est ce dont il aurait fallu se souvenir, en bonne philosophie de l'histoire, au seul nom de Fichte. Mais c'est aussi ce qu'il fallait bien éviter, en bonne doctrine officielle de la République. Kant, Rousseau, les Droits de l'Homme, la Réforme : dan- ger}. En pleine invasion germanique, est-il possible de montrer l'étroite affinité du monde germanique, de l'esprit germanique avec les trois ou quatre dieux M. BOUTROUX ET L'ALLEMAGNE. 7,^11 et déesses qui président à l'esprit public de noire régime et que ce régime a dû mettre sur les au- tels? L'Action française qui protesta énergiquement en 1912 contre le bicentenaire de Bousseau ne peut roncevoir les mêmes hésitations que M. Boutroux'. C'est d'ailleurs sa doctrine constante qu'elle retrouve et vérifie en s'exprimant en toute liberté sur ce fruit de Germanie : l'individualisme. IDÉES FRANÇAISES OU GERMAINES? « Idées françaises », disait-on. On peut se reporter à nos lointains fascicules de 1899; nous répondions déjà : elles sont germaniques, les idées de la Bévo- lution et de la Béformc ! Cela se lit presque en toutes lettres dans Montesquieu, et le protestant doctri- naire Guizot ne s'y trompait pas lorsqu'il enseignait que la thèse de la « liberté individuelle » du Contrat social et de la Déclaration des Droits nous était venue des Germains. L'autre soir, au Temps, M. Ed- mond Perrier, en rapportant cette opinion, s'en éton- nait. Il rapportait aussi le sentiment de Gœthe qui, lui, ne s'en étonnait point et qui donnait à Ecker- mann ce commentaire des vues de Guizot : 1. Il n'est que juste d'ajouter que, deux mois plus lard, M. Boutroux osa faire un pas en ce sens. Au cours d'une conférence donnée à Londres, en décembre, M. Boutroux rcmonia par delà Ficlite « jusqu'à Kant lui-même ■•. à qui il reprocha d'avoir enseigné une morale trop purement for- melle, ignorante de la matière des actes, pleine de mépris pour les cas. Des esprits lents et chicaniers ont reproché à M. Boutroux d'avoir éclairci et approfondi sa pensée depuis la guerre : la Gazelle de Francfort les en a récompensés. 328 LA FRA-NXE SE SAUVE ELLE-MÊME. « N'est-ce pas complètement exacte La Réformation n'en dérive-t-elle pas... Et ce salmigondis de notre littérature ; cette manie d'originalité chez nos poètes dont chacun s'imagine frayer de nouvelles routes, ce besoin qu'éprouvent nos savants de vivre à part et dans l'isolement; ces individualités qui ne relèvent que d'elles-mêmes, qui n'agissent qu'à ce point de vue, tout remonte à ce principe. Les Français et les Anglais ont plus de cohésion... Quant aux Allemands chacun pro- cède à sa guise ; chacun recherche sa propre satisfac- tion ; on ne s'inquiète pas d'autrui, car l'individu porte en soi l'idée de la liberté personnelle et celle-ci, en effet, inspire d'excellentes choses mais aussi bon nom- bre d'absurdités ». Les « traditions de brutal égoïsme », que Gœlhe trouvait propres à sa patrie ne purent être associées dans l'ordre politique ou administratif qu'à la ma- nière de Bismarck, usant d'abord du fer et du feu, puis maintenant la coopération de ces égoïsmes par un appel continu aux convoitises, aux goûts du pillage, aux passions de la rapine et du gain. A ce prix, mais à ce prix seulement, l'égoïsme forcené des personnes était mis en état de consentir des sa- crifices à un égoïsme collectif, à un égoïsme de race. La sociabilité spontanée n'existant point ou existant peu en Allemagne une sociabilité artificielle y naquit de la cupidité devant les proies offertes et les butins promis. LE PRIMAT DU MOI 'GERMANIQUE Le culte instinctif et traditionnel de chaque moi allemand est devenu ainsi le culte du nous germa- nique. Et là se montre une différence profonde entre l'apothéose que fait d'elle-même l'Allemagne et le M. BOUTKOUX ET L ALLEMAGNt:. .^'29 procédés qui y ressemblent de loin chez d'autres peuples. A la lueur de la doctrine individualiste on comprend que l'Allemagne veut déifier non l'idée qu'elle peut avoir de son droit et de sa raison ou mOme de sa force, mais purement et simplement l'idée qu'elle a d'elle-môme, l'idée allemande, le nom allemand. Quia nominor Deustc/dandl Athènes s'est épanouie dans le symbole de la sagesse humaine et divine, mais c'était la couronne môme de ses œu- vres, le rêve de son ait, l'expression et le signe d'une loi qu'elle obéissait. Rome s'est élevé des temples, mais en se prévalant de services séculaires rendus à toutes les races du monde. La chrétienté incarnait dans ses armes la volonté de Dieu, mais en commençant par considérer de combien de façons « païens ont tort, chrétiens ont droit ». Avec l'Alle- magne, tout change : elle commence par dire moi et, tout ce à quoi les autres peuples se subordon- naient, beauté, civilisation, science ou religion, elle se le subordonne à elle'. Sa science n'est pas bonne comme science, mais comme allemande. Cette ancilla Germanise se justifie par les services rendus à l'Alle- magne, non l'Allemagne par les services rendus à la science, l'individualisme germain ne pouvant être primé par quoi que ce soit^ Voilà l'erreur philosophique allemande. Son rap- 1. Dans son étude sur le manifeste des intellectuels alle- mands et sa préface des Tronçons du serpent, Louis Dimier a parfaitement montré comment, pour préférer son être inculte à l'Europe civilisée, l'Allemagne adopta avec passion les idées de Rousseau sur l'état de pure nature conçu comme supérieur à l'état social. 2. C'est ce que nous disions le 23 septembre précédent, à :î50 la FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. port avec le kantisme, qui fait tourner le monde autour du moi, qui prend le moi pour le soleil des planètes intérieures et extérieures, ce rapport-là n'est pas douteux. Il est à peine utile d'indiquer comment s'y rattachent le romantisme, ne cher- chant dans les arts que l'originalité, et l'esprit révo- lutionnaire, entendant par la politique le simple épanouissement — d'abord (1789) des « droits » de l'individu, puis (1795) des instincts, des passions et des intérêts du même individu, pour autant qu'il en a la force. L'individualisme libéral fonde l'Étal sur les vœux (ou les votes), de l'individu, à l'exclusion de tout le reste. Et quand on a exclu tout ce reste (traditions, coutumes, droits et établissements collectifs, condi- tions rationnelles et religieuses), il en découle au profit des individus de la majorité, une parfaite tyrannie de l'État qu'ils composent seuls. Le pays propos d'un commentaire paru dans Le Temps, sur « la doc- trine et le mysticisme » de cette « brutalité teutonique ». Le Temps avait dit : « Chez les Allemands, la barbarie n'est pas un point de départ, un instinct antérieur à toute culture. C'est un aboutissement, c'est le produit cherché, voulu, obtenu, d'une culture toute spéciale ». Nous disions déjà : ■< Le mystère achèverait de se débrouiller si Le Temps fournissait l'histoire de cette mise en système de la bruta- lité. Sous la double et triple inspiration de la Réforme, de l'individualisme kantien et fichtéen, du romantisme qui en découla, l'Allemagne a déifié son moi. Ayant admis que son caractère national était l'humanité par excellence, donc la divinité, l'Allemagne a opéré l'analyse de sa nature : elle y a trouvé le brutal, le grossier, le sauvage, le dur. Elle a mis sur l'autel toutes ces bonnes choses et rejeté avec mé- pris les qualités adventices, plus précieuses peut-être, mais nullement allemandes, qu'avait fait naître en elle, quelques siècles de civilisation romaine, catholi(iue et française. » J M. IU)[JTn()UX KT I.'ALLEMAGNF. 351 qui a 1« malheur de tomber sous le joug d'un Ét«l ainsi fait n'a quune branche de salut : la race peut y ùtre meilleure que le système et le citoyen peut y valoir mieux que l'institution. C'est assez le cas de la France. Ce n'est pas celui de l'Allemagne. L'erreur phi- losophique de l'Allemagne devait aboutir à des crimes contre l'Europe, puis entraîner au suicide allemand. LA DÉESSE ALLEMANDE Pourquoi? Parce (jue l'Allemagne valait encore moins que sa doctrine. Reportez-vous aux remar- ques si justes de M. Boutroux sur la grossièreté et l'épaisseur de l'étolTe de nation. M. Emile Bou- troux n'en a pas tiré les conséquences, mais ces conséquences existent. Tant qu'une doctrine supé- rieure, telle que le catholicisme, telle encore que la civilisation française au xvn*' siècle, lui était juxta- posée et proposée en exemple, il y avait espoir de progrès et de correction pour l'Allemagne. Mais quand la seule doctrine constante qui lui fût offerte de haut fut le conseil d'être de plus en plus conforme au caractère et au génie allemand, quand fut vécue et pratiquée cette formule du jacobinisme historique et philosophique, régulièrement dérivée de la Réfor- mation et du Libéralisme encyclopédique : « Soyons « nous-mômes, ne soyons que nous-mêmes, élevons « tous les traits de notre nature au-dessus de tout ». la régression la plus barbare était inévitable pour la Germanie. Étant admis que l'Allemagne signifie l'humanité 55V. LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. pure, parfaite et divine, TAllemagne opéra Fanalyse de sa nature. Elle se demanda qui elle était. Elle vit au fond d'elle-même ce qui y était : le brutal, le vio- lent, le sauvage, l'impoli, Findégrossi elle dur. Elle mit sur l'autel toutes ces belles choses, en rejetant avec mépris tout tempérament étranger. Le fou bossu qui se croirait Dieu mettrait la bosse au rang des attributs divins. Ainsi a fait l'Allemagne de ses bosses, de ses tares, de ses verrues, de tout ce que l'individualisme absolu appliqué à sa personne eth- nique, lui interdisait de redresser ou de réformer. Sa valeur allemande n'était plus à juger, puisqu'elle était juge ou critère et servait à juger le reste du monde. Un seul devoir : mettre à la disposition de ce juge et créateur du droit les éléments de force, les moyens de domination, capables de permettre son épanouissement absolu. Le succès pouvait être chanceux à l'époque de Jean Gottlieb Fichle : après Blûcher, Bismarck put se flatter de l'assurer et les pangerraanistes ont rêvé de l'éterniser. QJE UANARCHISME EST SUICIDE L'Allemagne n'a pas fait de révolution directe contre ses princes et ses rois, elle en a fait une contre la papauté au xvi^ siècle, elle en a tenté une au xix^ siècle et au xx" contre l'ordre du monde, l'Eu- rope et la civilisation. Sa discipline politique et mi- litaire comme son esprit scientifique, comme aussi la production de quelques personnalités de valeur ont mis longtemps, trop longtemps, des moyens de réalisation puissants au service d'une idée construite au rebours de la sagesse et de la raison : l'idée anar- M. BOUTROUX ET [/ALLEMAGNE. Ti?', chiste utilisée au profit d'un peuple. L'ordre maté- riel a servi de la sorte le désordre mental, etl'ordre politique le désordre moral le plus complet qui ail été vu el conçu depuis qu'il y a des hommes. Ces renversements, ces défis peuvent réussir, mais, comme disait Pascal, « jusqu'à un certain pointseu- lement », et leur succès devait contribuera rendre la chute plus profonde. L'individualisme allemand, l'anarchisme absolu systématisé par l'Allemagne et devenu le principe de son État, devait fatalement renverser de lui-même cet État ainsi que les forces militaires ou civiles subordonnées, et c'est ce qui est arrivé effectivement : en juillet-août 1914, on a pu voir Guillaume II et son fils jeter, de leurs mains, sur leur propre empire, la bombe destinée à accomplir cette destruction par le faîte. L'ALLEMAGNE CRIMINELLE 19 octobre 1914. Nous avons été des premiers à signaler aux Fran- çais Terreur de fait, génératrice d'autres erreurs plus redoutables (erreurs de jugement et erreurs de con- duite) qu'on se fût exposé à commettre en accumu- lant trop d'accusations sur la tête de l'Autriche. Tout ce qui peut exonérer l'empire allemand du Nord doit être traité en ennemi juré. Assurément, Vienne por- tera les responsabilités morales les plus lourdes : elles devront être d'autant plus lourdes que Vienne est plus civilisée que Berlin et que les avertissements du grand et admirable Pie X lui ont été prodigués dans les derniers jours. Mais enfin l'Autriche a suivi, l'Autriche a subi. Ce n'est point une vue de philoso- phie ou de droit, c'est une vue de fait; elle est éta- blie depuis longtemps par des pièces*officielles et des témoignages officieux d'importance inégale et également décisifs. M. Judet vient de passer en revue, en quatre ou cinq articles de son journal, les documents d'Etat. Il y a ajouté la déposition de M. Hanotaux que nos lecteurs ont connue au lendemain de sa publication dans le Figaro {Action française du 6 octobre). Mais du moment qu'il écoutait les particuliers, comment M. Judet a-t-il pu négliger la prodigieuse déposition versée au débat, le mois dernier, par le correspon- dant romain du Petit Marseillais? M. .Judet. s'il est l/AI.Ll-MAGNt; CRIMlNIiLLI'. 33h informé, ne peut ignorer l'origine dos communica- tions de M. Houdouresque. M. Boudouresque a décrit dans un tableau plein de couleur, de mouvement et de vie, la journée du l'"' août à Rome. D'abord la fausse bonne nouvelle, la nouvelle de la paix, donnée par l'ambassadeur de Russie au chef de la Consulta, et, celui-ci, à l'idée de la médiation que rAulriche accceplait, laissant échapper un peu trop vite ce cri du cœur énigma- lique : — Ma questoè lasconfiki primo délia balaglia. Eh! quoi, la défaite avant la bataille! Une demi- heure plus lard, la capitulation honorable, la conces- sion aux droits de l'humanité faite par le gouverne- ment de François-Joseph était confirmée par une dé- pêche de Russie.... Mais, le soir, l'Allemagne, entre en scène avec l'ultimatum à Paris-Pétersbourg, elle fait sa démarche auprès de l'Italie pour invoquer le casus fœderis de la Triplice : séance du conseil des ministresde Victor-Emmanuel, exposé « objectif» de M. di San Giuliano, exposé politique de M. Salandra en faveur de la neutralité et se réclamant de l'auto- rité du roi ; la même nuit, entre minuit et quatre heures, visite de M. von Flotow, l'ambassadeur de Guillaume II à Rome, et au petit matin sa sortie, le teint livide, les traits altérés par la déconvenue et le désespoir : la monarchie italienne, lui avait refusé de suivre la loi de Berlin! '. De nouveaux renseignements, tout à fait inédits, qui me parviennentà l'instant, confirmeraient encore, s'il en était besoin, ce que l'on sait de l'opposition 1. Voir VAc.l. fninc. du 2S ^sel)lf■lllbrp lOII, à la revue i\r l;i presse. 036 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. finale de Guillaume II à tout arrangement. Un très haut personnage, dont je ne suis pas autorisé à dire le nom, mais dont le témoignage m'a été communi- qué, entendit, en août dernier, M. Chébéquo, ambas- sadeur de l'empereur de Russie à Vienne, rappeler que, le jour de la rupture définitive^ il avait eu un entretien avec le comte Berchtold, que cet entretien avait été cordial et que, en se séparant, les deux hommes d'Etat étaient si près de l'accord complet, quih considéraient l'un et Vautre la paix comme assurée. Quelques heures plus tard, éclatait la nou- velle de l'ultimatum berlinois, puis de la guerre dé- clarée. Qui fut stupéfait? Deux personnes : l'ambas- sadeur du tsar et le premier ministre de François- Joseph. L'action décisive avait été brusquée sans eux, en dehors de leur volonté et, en définitive, contre la volonté qui les animait tous les deux. PAIX ET PACIFISME 20 nctol)rc 1914. LE PACIFISME A TRAVERS LES AGES Notre aversion pour l'état d'esprit pacifiste n'est si violente que parce que le pacifisme porte le germe de guerres infiniment plus cruelles que toutes celles qui naissent sans lui. Voyez la Réforme du xvi« siècle et son appel constant à l'évangélisme le plus littéral, c'est-à-dire, croyait-elle, le plus doux et le plus pur; elle a commencé par déchirer et ensanglanter son berceau, l'Allemagne; sa période de virulence s'est terminée par un combat fameux qui a duré la baga- telle de trente ans, au moment précis où le bon roi Henri IV tirait ses plans de paix perpétuelle. Voyez la Philosophie du xvni^ siècle. Elle était merveilleu- sement pacifiste : elle a déterminé près de vingl-cinq années de guern;, les plus coûteuses, les plus san- glantes qu'eût jamais vues le monde, et auprès des- quelles les plus cruelles luttes de l'ancien régime — alors même qu'elles duraient deux fois sept ans — paraissent de simples manœuvres d'armées. Voyez le mouvement des nationalités au xix« siècle : on n'y parlait que de déclarer la paix à l'Europe, chaque race embrassant sa voisine au chant d'une Mar- seillaise nouvelle, celle de Lamartine : or, des révo- lutions de 1848 (Paris, Vienne, Berlin, Rome), aux campagnes de Russie, d'Italie, de Danemark, d'Au- triche, de France et de Turquie, on n'a guère cessé. 338 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. pendant trente ans, de se battre de nation à nation quand ce n'était pas de concitoyen à concitoyen, comme nous l'avons fait entre pacifistes plus ou moins repentis en 1871. La faribole pacifiste a recommencé de sévir vers 1896 et 1897 : guerre turco-grecque, guerre hispano-américaine, guerj^e du Transvaal, guerre de Chine, guerre de Mand- chourie, guerre du Maroc, et j'en passe de plus récentes.... Parfois même, il y a une coïncidence complète entre la mise en circulation des formules de paix perpétuelle et le recours au droit du plus fort. D'autres fois, la chimère précède ou suit de peu les hostilités. Le tsar a établi son tribunal de paix euro- péenne entre la guerre des Boers et la guerre du Japon. En avril dernier, quand les plaies balkaniques saignaient encore et que nos blessures allaient s'ou- vrir, une revue mystique publiait, sous la signature d'un « mage » connu, les lignes suivantes : A côté de la politique nationale de chaque Etat, il existe des organismes peu connus de politique inter- nationale. Actuellement la constitution en deux cantons suisses de l'Alsace-Lorraine, la libération delà Pologne devenue le centre d'une Suisse balkanique (!), la dispa- rition de l'Autriche et la constitution des Etats-Unis d'Europe après l'écrasement définitif de la féodalité militariste, sont des problèmes qui se posent dans les conseils internationaux auxquels prennent part non pas des politiciens de carrière ou des ambassadeurs galonnés^ mais des hommes modestes^ etc.... On admirera les connaissances géographiques révélées par une position du problème qui met la Pologne au milieu des Balkans. Mais la vétille im- PAIX ET PACIFISME. 7,ô\i porte peu, ce qui importe, c'est l'intention. Elle y est bien : l'intention pacifiste, la préoccupation de rendre désormais la guerre non pas difficile ou brève, ou dans tous les cas humaine ou chevaleresque, mais radicalement impossible! Cela veut dire : pif! paf ! c'est le signe qu'on ouvre ou que l'on va ouvrir une porte d'écluse par laquelle coulera un fleuve de sang. Plus vous verrez celte préoccupation se mêler aux soucis des gouvernements, plus vous aurez sujet de prévoir d'effroyables consommations de vies hu- maines. Quand les citoyens d'un même État se sont dit les uns aux autres : la fraternité ou la mort, ils ne tardent pas à élever la guillotine en permanence. Quand une nation, les yeux brillants, la mèche allu- mée, dira à sa sœur : « Aime-moi ou... », la confla- gration sera générale. VRAIS AMIS DE LA PAIX ANTIPACIFISTES Déjà, c'est un peu faute de se sentir assez estimés et assez aimés que les Germains de Vienne ou de Berlin se sont jetés sur trois ou quatre nations à la fois. Mais contrairement à l'opinion démocratique, et en particulier à celle de M. Clemenceau, qui croit naïvement qu'il n'y a « pas l'esprit public en Alle- magne » les gouvernements d'autorité sont relative- ment (relativement à la nature de leurs peuples, aux ambitions, aux intérêts de leurs races), de tels gou- vernements sont, dis-je, des puissances modéra- trices. Plus les peuples se fréquenteront directe- ment, plus se multiplieront les causes et les possi- bilités de conflit. C'est l'évidence qui me frappait au premier séjour prolongé que je fis hors de France, 340 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, voilà déjà près de vingt ans, et j'en ai consigné dans un vieux petit livre la remarque, depuis trop abon- damment confirmée. Les passions nationalistes ne sont pas en baisse, bien au contraire! Et elles s'exprimeront d'autant plus vivement qu'il y aura entre elles moins d' « ambassadeurs galonnés », et que les intermédiaires seront moins bien stylés, moins empêtrés de formules et de traditions. La Constitution républicaine de Washington n'a pas empêché la guerre de Cuba, et les manœuvres diplo- matiques dont fut suivie cette guerre ont déployé une rigueur sans précédent. La Constitution parle- mentaire de la monarchie japonaise n"a pas rendu plus doux l'assaut de Port-Arthur: au contraire. Si par courtoisie envers la haute intelligence et le patriotisme de M. Vandervelde, ministre d'État républicain du royaume de Belgique, on voulait faire une concession à ceux qui jugent que la guerre actuelle est « une guerre à la guerre même », on pourrait, à la grande rigueur, tomber d'accord de cette formule mythique : — Les guerres à venir se rapprocheront de plus en plus de la guerre civile.... Mais qu'est-ce à dire, sinon qu'elles seront de plus en plus féroces? Un pareil cauchemar est certes à écarter. Mais écartons aussi son générateur, le songe creux du pacifisme. L'homme, qui est un grand dieu pour l'homme, est aussi pour l'homme un vrai loup. Si l'homme était moins complexe ou moins mystérieux, s'il était autre, on pourrait adopter quelque solution simpliste du grand problème international. Tel qu'il est, on me permettra de répéter la solution en trois PAIX ET PACIFISME. 7>H parties déjà énoncée ici : 1" il faut adoucir les mœurs générales et, pour cela, il faut que les esprits amis de la paix, au lieu de combattre la plus grande organisation internationale, s'entendent avec elle, je veux dire avec le catholicisme; 2° les peuples alle- mands, que leur nature constante a rendus, sous les HohenzoUern, aussi dangereux qu'ils l'ont été toutes les fois qu'ils ont été unis sous une dynastie saxonne ou souabe, autrichienne ou autre, doivent être rendus à leur état de division et de dispersion qui leur permet d'user de la vie européenne sans en abuser; 5" le peuple français doit se donner une organisation politique et militaire qui le mette à môme de voir, de savoir, de prévoir les menaces qui l'environnent et, le cas échéant, d'y faire face avec efficacité et rapidité. On peut chercher hors de ces trois directions garanties par la raison et l'expérience; mais les aventures de romantisme politique, cent fois démen- ties par les faits, garantissent aussi d'effroyables déconvenues. Que ceux qui s'y exposent s'y attendent et s'y préparent! Qu'ils en acceptent d'avance, par des actes publics, signés de leur nom, la responsa- bilité, pleine de honte, de ridicule et de sang. LA DOCTRINE NATIONALE 21 octobre 1914. Après avoir exposé quel nationalisme avide et glouton est propre aux races germaniques, Alfred Capus publie au Figaro ces définitions lumineuses d'un nationalisme français : ... Si cette guerre condamne un nationalisme furieux, qui ne se nourrit que de lui-même, vit de sa propre exaltation et finit par le détraquement, elle donne en revanche raison avec éclat à un nationalisme large et noble, ou plutôt à une doctrine nationale qui nous conduit à regarder toutes choses d'abord sous l'angle de la patrie. Ce n'est qu'après cette adaptation que l'esprit arrive sainement à la notion de solidarité entre les peuples et d'humanité. C'est alors en effet, et alors seulement, comme le dit Capus, que l'intelligence trouve une « base solide » sur « laquelle elle peut construire des rêves « d'avenir avec des éléments de réalité et de vérité », qui lui fournissent une « direction » et qui lui mon- trent un « chemin ». A cette indication si remarquable, Capus ajoute la vue générale : C'est par l'idée de patrie que l'idée de fraternité entre nations a pris sa valeur. Il n'y a pas à fortifier d'un appareil de preuves ces vérités dont la justesse est évidente au premier as- pect. Ce que nous voulons ajouter, pour réunir LA DOCTRINE NATIONALE. VtS solidement, h ce beau midi de l'cspril [)ublic français les anciennes heures crépusculaires d'il y a qui-ze ans, c'est que le principe reconnu ainsi par Capus en tôle du Figaro csl exactemenL, molp;tr mol, celui (jui fut souscrit au premier berceau de notre œuvre. On le formula en articles revêtus d'une vingtaine de signatures, qui sont conservées au numéro du 15 no- vembre 1899 de la Revue d'Action française. Le pre- mier de ces articles pose la nécessité de la société pour l'homme. Le second affirme que de toutes les formes politiques usitées par le genre humain, la seule complète, la plus solide et la plus étendue, est évidemment la nationalité et que depuis la Réformation du seizième siècle, où se fit la scission de l'antique République chrétienne, qui continuait à quelques égards l'unité du monde romain, la nationalité reste la condition rigoureuse, absolue de toute humanité. Les relations internationales, qu'elles soient politiques, morales ou scientifiques, dépendent du maintien des nationalités. Si les nations étaient sup- primées, les plus hautes et les plus précieuses com munications économiques ou spirituelles de l'univers seraient également compromises et menacées; nous aurions à craindre un recul de la civilisation. Troisième article : Entre Français, toutes les questions pendantes, tous les problèmes diviseurs, doivent être coordonnés et résolus par rapport à la nation. A l'article final, tous les Français étaient adjurés de ramener à ces vérités tutélaires leurs compa- triotes aveugles ou négligents. 344 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. Quel immense malheur qu'une vérité aussi claire n'ait pas suffi à rallier à soi tous les cœurs et qu'il y ait fallu le fléau des épouvantements de l'Europe! « TARATATA » QUI SONNE FAUX Dans une de ces pages où tout sonne faux, la bonhomie, la rhétorique, le patriotisme et même le bagout, M. Hervé, prétendant faire l'examen de conscience de notre armée, accuse l'artillerie fran- çaise de n'avoir pas su se donner à temps des pièces lourdes dignes du canon de 75. Comme tout le monde est prêt à répondre que le canon de 75, créé par Déport, Sainte-Claire Deville et Rimalho, adopté par le général Mercier, construit sous la surveillance du général Deloye et sur les conseils du général Langlois, mis décidé- ment en service par le général Billot, est l'œuvre de l'ancien État-Major, de l'État-ÎMajor antérieur à 1899, mais qu'après 1899 les besoins de l'armée ont cessé d'être suivis et considérés par l'État, — pour parer à cette réponse trop facile, Hervé rédige la grossière défaite suivante : Inutile dem'objecter que c'est mon parti qui a refusé des crédits, jadis, pour l'artillerie. Taratata ! Mon parti n'a jamais refusé un centime pour l'artillerie. C'est sur la question du temps de service dans l'infanterie que nous étions en désac- cord, etc. « Jamais refusé un centime pour l'artillerie! » Pour répondre à ce système de dénégation qu'affectionnent tous les coupables, je ne vais pas chercher les docu- ments de l'opposition nationaliste ni même ceux des gouvernants à tendances nationales représentés LA DOCTHINE NATIONALE. 7,i5 par Millerand ou par Messimy. Mais voici le rapport Ilumbcrt, le fameux rapport Ilumbert de juillet 1914, celui qui fut discuté au Sénat quinze jours avant la déclaration de guerre. J'y vois au chapitre de notre outillage militaire (crédits de la 5*= section) que les Services de la guerre faisaient des demandes, que leur ministre les réduisaient, que ces réductions faites, des réductions nouvelles étaient opérées sur l'initiative du ministre des finances et parfois parles Chambres. Notamment pour le budget de 1902 « le chiffre demandé par les services dépassait 98 mil- lions, il fut réduit de 52 millions par le ministre de la guerre, puis de 10 nouveaux raillions par le mi- nistre des finances. Dès lors, les directeurs des ser- vices durent réduire leurs prévisions par ordre, mais ces prévisions si réduites furent réduites encore par leurs supérieurs directs ou indirects. De 1905 à 1907, après le coup de Tanger, on dépensa bien 250 millions pour rattraper ces fausses économies, mais de 1908 à 1911, c'est-à-dire jusqu'au coup d'Agadir, — bien qu'on eût expérimenté au Maroc la valeur du canon de 75, — cet usage de doubles et triples compres- cions budgétaires recommença. Voilà, Monsieur Hervé, comment a votre parti n'a « jamais refusé un centime pour l'artillerie! » Voilà, triste et candide lecteur de M. Hervé, pour quelles contre-vérités intrépides M. Hervé embouche la trompette et sonne ses taratatas. On a refusé aux chapitres du budget qui comprennent l'artillerie r.l millions en 1908, 22 millions en 1909, 12 millions en 1910, 25 millions en 1911. « Pai> lin centime!... » As-tu fini? LES GERMAINS PEINTS PAR EUX-MÊMES 22 octobre 1914. Un pasteur de TÉglise réformée, habitant Vernoux en Ardèche, vénérable vieillard de plus de quatre- vingts ans, le Nestor du protestantisme européen, ayant connu jadis, en 1869,1e prédicateur de la Cour de Berlin M. le pasteur Dryander, lui écrivit tout au commencement de la guerre pour lui proposer une déclaration commune : 1° de leur patriotisme respec- tif, qui les divise de sentiments et d'intérêts ter- restres; 2° de leur commune foi chrétienne qui les réunit dans le ciel, mais qui, dès lors, les oblige tous deux à employer toute l'influence dont ils peuvent disposer pour que la guerre soit conduite avec autant d'huma- nité que possible, pour que le vainqueur quel qu'il soit n'abuse pas de sa force, pour que les personnes et les droits des faibles soient respectés... Au bout de six semaines, M. le pasteur Dryander répondit dans le Norddeutsch Allgemeine Zeitung, « sans avoir pris la peine d'en aviser son correspon- dant », note le Journal de Genève. Cette réponse est un refus. Et quel ! Après avoir consulté deux autres théologiens de son Éghseet de son pays, le docteur Lahusen et le li- cencié Axenfeld, qui ont signé la lettre avec lui, M. Dryander déclare repousser les propositions de M. Babut, non dans leur principe, mais pour un savoureux motif accessoire. I LES GERMAINS PEINTS PAR EUX-MÊMES. 547 Nous les rejetons parce qu'il ne doit pas y avoir la plus lointaine apparence que, d'après nous on ait besoin en Allemagne d'un avertissement ou d'un effort quel- conque pour que la guerre soit conduite en accord avec ses principes chrétiens et suivant les exigences de la miséricorde et de l'humanité. Pour notre peuple tout entier comme pour notre état-major, il va de soi que la lutte ne doit être conduite qu'entre soldats, en épargnant soigneusement les gens sans défende et les faibles, et en prenant soin des blessés et des malades sans distinction. Nous sommes convaincus, en pleine connaissance de cause, que cette règle est celle de notre armée tout entière, et que, de noire côté, on com- bat avec unemaitiisedc soi, une conscience el une douceur dont l'histoire universelle n'offre peut-être pas d'exemple.... Quand l'inqualifiable conduite de populations odieu- sement égarées par leurs gouvernements a rendu indispensables la destruction de propriétés privées ou l'exécution de francs-tireurs, nos chefs ont considéré ^ela comme un pénible devoir qui les obligeait à faire souffrir aussi des innocents pour préserver nos blessés, nos médecins, nos infirmières d'attaques scélérates. Quant à l'origine de la guerre, voici : Depuis l'empereur jusqu'au plus modeste journalier, on n'aurait pas trouvé en Allemagne cent hommes conscients qui — je ne dis pas cherchassent, mais vou- lussent la guerre avec nos voisins. Nous sommes, nous autres Allemands, le peuple le plus ami de la paix qui soit.... Jusqu'au dernier moment, alors que déjà les filets d'une [coalition sacrilège des peuples et des inté- rêts les plus disparates se resserraient sur nous, l'em- pereur et le chancelier ont poussé jusqu'aux dernières limites imaginables leurs efforts pour le maintien de la paix. Nous vous soumettons les explications de notre chancelier; elles sont, dans leur claire et simple vérité, grandioses... Ainsi nous ressemblons, nous autres Allemands, à un homme paisible qui serait assailli en même temps par trois hyènes altérées de sang.... 348 LA FRAxNCE SE SAUVE ELLE-MÊME. A cette soif du sang, la France joint un penchant « contre nature » pour la Russie et le dédain inju- rieux des avances courtoises que l'amoureuse Alle- magne lui prodigua. L'Angleterre ajoute à sa com- plexion d'hyène « le seul amour du penny » qui lui a donné des mœurs d' « assassin ». Bref, jurent les trois pasteurs Dryander, Lahusen et Axenfeld, quand M. le pasteur Babut voudra obtenir de ses collègues prussiens leur adhésion aux déclarations chrétiennes qu'il sollicite, il devra commencer par flétrir « pu- bliquement Vinfamie de Vattaque, le crime sacrilège qui a rendu cette guerre possible. » D'ici là, rien de fait. Pas de « communion fraternelle » avec les trois peuples hyènes ruées sur l'honnête Germain, seul humain. Guerre à outrance, guerre à mort, même entre pasteurs! Voilà comment jugent les hommes de paix du royaume de Prusse. Le manifeste des 95 a montré ce que leurs penseurs laïcs ont dans leurs fortes têtes. Menons l'enquête dans la région où c'est le senti- ment et l'instinct qui prévalent : le Temps d'avant- hier livrait à la publicité le journal de route d'un humble instituteur, sous-officier dans l'armée d'in- vasion, et tombé sur le champ de bataille; je ne transcrirai pas les lignes où déborde la gloutonnerie nationale, mais voici une réflexion où se montre la naïve sauvagerie. Il vient de voir brûler Visé, réunir tous les habitants que Ton a pu trouver et fusiller un sur trois de ces pauvres gens. Raison donnée par ce sous-officier : la population avait tiré sur le com- mandant de brigade. Moralité tirée par le même : t Dès l'instant qu'il faut perdre la vie d'une façon I.ES C.ERMAINS PEINTS PAR EUX-MÊMES ."W aussi barbare, mieux vaut ne pas laisser pierre sur pierre dans de pareilles localités et massacrer indis- tinctement innocents et coupables. » Dira-ton que c'était la suite d'un ordre supérieur, et que le militarisme prussien est seul coupable? Ce militarisme a bon dos. Nous penserons tout le mal que l'on voudra du militarisme prussien, et nous ne verrions qu'avantage à fusiller «sous les tilleuls», si nous les prenons dans la Wilhelmstrasse, Guil- laume et ses fils, les grands chefs dudit militarisme, mais il est intéressant de savoir comment les vo- lontés et les passions individuelles accueillent ces ordres et si elles les exécutent à contre-cœur ou autrement. Deux socialistes faits prisonniers ont déclaré qu'ils avaient été induits à des actes de traî- trise sous menace du revolver. A supposer que les prisonniers allemands soient des modèles de véracité et que le succès de l'accusation contre les chefs ne les entraîne pas à la renouveler trop souvent, à sup- poser que ce ne soit pas un mot d'ordre convenu, eh bien ! on voudrait demander à nos socialistes si la menace du revolver suffirait à les faire agir, eux, comme les kamarades. Non, n'est-ce pas? Cela juge la différence du Français et de l'Allemand, quelles que soient leurs conditions. Un officier allemand, ne parlant qu'à lui-même, traitant de ses hommes et de lui, écrit dans un jour- nal de route traduit et communiqué par VAgence Havas : C'est l'heure où l'on se moque de tout sentiment de civilisation et d'humanité. Quand une poignée de sol- dats s'abat sur une maison, on peut être sûr qu'il n'y 350 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. reste plus rien. Tous les instincts se réveillent avec une terrible puissance. Le soldat qui a entendu siffler les balles et éclater les obus se dit : — Pourquoi, si aujour- d'hui une occasion favorable s'offre^ dois-je ni imposer une privation? Demain, peut-être, je serai mort.... Et tous se précipitèrent dans la cave et sur les provisions comme des fourmis sur un rat mort. La nature allemande parle là toute pure. Les pré- dicateurs de Guillaume II nous assimilent à l'hyène altérée de sang, mais ses soldats se rendent eux- mêmes justice en se comparant à des fourmis avides et sales. Le ridicule de cette langue, où la pensée ne va jamais sans lourdes images, oblige à concevoir ce peuple sauvage véritablement comme il est: race enfant et d'esprit grossier, force rudimentaire qui n'excelle qu'à tout casser. UNE MANŒUVRE SOCIALISTE ALLEMANDE '23 octobre 1914. Au lieu de se livrer à des exercices qui achèveront de rappeler à la France les fautes de jugement et les erreurs de fait que le Parti accumule depuis vingt ans (sur la possibilité de la guerre comme sur l'amitié des populations germaniques) ces mes- sieurs socialistes français seraient sages de sur- veiller mieux qu'ils ne le font leurs coreligionnaires de la social-démocratie allemande par qui ils se trouvent compromis à plaisir et qui sont aux ordres de leur empereur, comme M. Andler les en a pré-- venus vainement dès l'année 1912. J'ai devant moi un assez récent article du Slutl- garter Neuer Taghlatt intitulé « La France et le serpent-à-sonnettes anglais » qui résume l'imposture d'un journal socialiste d'outre-Rhin : La Rheineeche Zeitung, organe de la social -démo- cratie, a reçu d'une main amie, communication d'une feuille volante qu'un socialiste français, qui signe Spar- tacus, a publié à Paris ces derniers temps, c'est-à-dire pendant la guerre. Cette feuille porte un titre signi- ficatif : « La France dans les anneaux du crotale. » Le crotale, comme l'explique la /?/it;inisc/!eZei7i«i (7, c'est l'Angleterre, que Spartacus attaque avec la plus grande violence. Spartacus voit le filet jeté par l'Angleterre sur les territoires et sur les peuples sous l'image d'un ser- pent à sonnettes gigantesque, dans les anneaux duquel la France, prise à son tour, est en train de rendre l'âme, pendant que de la bouche empoisonnée du monstre, sortent d'hypocrites exhortations. Au moment où la 352 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. France va périr, surviennent les ennemis du serpent qui lui ordonnent de lâcher prise. Quittant cette comparaison, Spartacus introduit un Boër estropié par les balles dum-dum, qui s'adresse à son tour à la France. 11 l'engage à fermer l'oreille aux hurlements de revanche du chauvinisme, à garder son sang-froid pour se rapprocher de l'Allemagne. Spaitacus ne manque pas de crier contre la barbarie de l'Allemagne; il n'en est pas moins convaincu que l'amitié des Français et de l'Allemagne aurait ouvert une ère de travail ordonié. A la plainte mensongère de la France officielle, disant que l'empereur Guillaume est l'auteur de la guerre et disant qu'il a voulu anéantir la France, Spartacus oppose l'irréfutable vérité: à savoir que l'empereur, s'il eût eu cette tentation, n'au- rait pas attendu pour la réaliser le moment présent « où la conjuration de sesennemis l'aforcé de déclarer la guerre pour défendre l'existence de son pays ». En conséquence, Spartacus conseille aux Fi-ançais de faire promptement la paix avec l'Allemagne. A l'Angleterre, il jette l'invective suivante : « Misérables engraissés d'envie, protégés par vos îles, diplomates félins, vous désignez d'abord entre les vôtres ceux qui seront désignés à la boucherie et qui crèveront pour amorcer votre jeu. Puis vous attendez tranquillement que les autres peuples se déchirent, afin de piller leurs cadavres.... Peuples, ressuscitez, levez-vous! Morts, sortez des ombres infernales et malédiction sur les îles des rois de la mer, qui font du pillage une industrie. Que la justice éternelle, etc.... » Ce gros style porte sa marque. Ce Spartacus doit être Made in Germany. Le factura a été forgé de toutes pièces dans l'officine où collaborent les dé- putés démocrates-socialistes au Reichstag et les fonctionnaires de Guillaume II. La feuille volante barbouillée de métaphores apocalyptiques n'a jamais circulé à Paris. Je crois fermement qu'une enquête UNE MANŒUVRE SOCIALISTE AIJ.EMANDE. 355 serait de toute inutilité. Mais il ne serait pas inutile que les socialistes français fussent au courant de la presse allemande et prissent la peine d'en désa- vouer les entre|)rises audacieuses. Partout oîi elles pénètrent, en Suisse, en Amérique, de telles fan- taisies font du tort, je ne dis pas aux rédacteurs de Vliumanité qui sont d'âge à savoir ce qu'ils ont à faire, mais à la bonne réputation du peuple fran- çais. C'est en tant que Français que nos socialistes mériteraient d'être défendus par leurs journaux. « L'ÉDUCATION SOCIALISTE > Il y a d'ailleurs des accusations plus sérieuses que V Humanité se devrait de repousser et sur les- quelles elle garde un silence fâcheux. L'article du Nouveau Journal de Stuttgart est du 14 octobre, mais je conserve depuis trois semaines, espérant le voir commenter ou contester dans les organes du I Parti », le résumé d'un article plus qu'étr.ange du Vorwaerts, résumé fait par le correspondant berli- nois du Carrière délia Sera. Malgré tout l'intérêt qu'elle avait à relever cette pièce presque insultante pour le patriotisme de ses camarades belges ou français, V Humanité n'a pas pipé. Les insinuations de l'organe de la social-démocratie allemande sont antérieures à sa suspension provisoire par l'auto- rité militaire et à la soumission définitive sur la- quelle, à Paris, on versa un hélas! Le VorwaertS]0\i\?,- sait de son franc parler quand il a publié l'article résumé par M. Morandetti, le 27, paru le 28 : Le journal socialiste Vorwaerts, pour démontrer les bons effets de l'éducation socialiste, observe que les 25 354 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. francs-tireurs interviennent contre les soldats alle- mands presque exclusivement dans les régions domi- nées par les cléricaux, alors que les régions socialistes comprirent que la guerre se fait entre soldats, sans intervention des habitants. Ainsi dans la ville ouvrière de Verviers il n'est rien survenu, ; lors que dans les districts suivants : Hervé, Battice et Visé, lieux d'édu- cation cléricale, des faits survinrent qui causèrent la dévastation de ces endroits. La libérale et socialiste Liège, avec son puissant prolétariat, s'nbstint; elle fut protégée, à part quelques exceptions, de l'assaut des soldats allemands, et c'est à cause de cette absten- tion qu'elle fut épargnée. La cléricale Louvain est détruite; la socialiste Huy est intacte; la cléricale An- denne est détruite. Aucune agression ne semble avoir été commise dans les districts industriels de Charleroi et du Borinage: population socialiste. La cléricale Dinant paye ses attaques (contre les soldats) de sa destruction, alors que dans la socialiste- libérale Bruxelles on n'eût qu'une seule attaque.... Le Vorwaerls continue en faisant remarquer que ces curieuses coïncidences ne dérivaient pas de l'excitation directe des prêtres contre les Allemauds, mais des con- ditions générales de l'esprit et de l'éducation dans lesquelles se trouvaient les masses cléricales. Ainsi d'après le Vorwaerls, l'énergie de la résis- tance spontanée, de la résistance civique varierait en raison inverse de l'énergie socialiste de chaque pays envahi : élancée jusqu'à l'héroïsme partout où la tradition catholique l'avait emportée, tombée à rien ou près de rien partout où l'idée « socialiste-libé- rale « avait le dessus. Nous, n'avons pas à prendre à notre compte les statistiques perfides du Vorwaerts. Nous les repous- sons même. La mise à l'ordre du jour de l'armée française de tel ou tel militant socialiste et le UNE MANŒUVRE SOCIALISTE ALLEMANDE. 35r. nombre de ceux <|iii tombent au champ d'honneur montrent que, selon le mot de Léon Daudet, bien des révolutionnaires sont de beaux soldats qui s'ij^norent. La valeur du bon sang belge ou français n'est pas diminuée par une doctrine sociale. Ce que je souligne, c'est la prétention de la sozial-démocra- tie d'Allemagne à se faire une alliée et une complice traîtresse de la doctrine socialiste enseignée chez les Belges et chez les Français. Les organes socialistes français seraient sages d'y contredire. D'autant plus sages que la prétention est vieille, elle ne date pas de la fin de septembre 1914. Bien avant la guerre elle a milité contre nous. En militant ainsi, le pangermanisme, couvert du masque socialiste, avait persuadé bien des esprits impar- tiaux de l'identité de ces deux propagandes. Quel est donc ce député nationaliste de la Pologne russe, qui, évincé par un socialiste, écrivait à la Revue Bleue de 1911 ou i9Iii que, par sa sozial-démocralie, l'Al- lemagne était en train de conquérir les socialistes étrangers, de les détacher de leur propre pays? Imputations calomnieuses! Contre elles les mem- bres des organisations françaises ont protesté et pro- testent encore en versant chaque jour le plus pur de leur sang pour repousser l'armée barbare de la terre de la patrie. Mais on voudrait entendre un peu moins rarement la protestation des chefs du parti, de ses écrivains, de ses guides. Le parti lui-même en serait honoré et, ce qui ne gâterait rien, le pays en serait servi au lieu d'être divisé par d'absurdes potins antiroyalistes et anticalholiques. LE RENOUVELLEMENT DES ÉNERGIES FRANÇAISES 25 octobre 1914. Tous les Français liront avec profit les principaux passage d'un article paru à la mi-octobre dans un journal ami de la France, la Gazette de Turin, à propos du dernier vol des taubes sur Paris. Notre confrère réprouve la cruauté inutile envers un vieil- lard et un enfant. Il déplore l'insulte à Notre-Dame. Il note que le seul effet possible des bombes aériennes est d'exalter le patriotisme des Français et aussi de leur faire regretter quelques lacunes de leur préparation militaire. Car enfin, dit-il, i. Dans ces lents travaux d'érosion latente, l'anarchie pédago- gique de M. Ferdinand Buisson porte le poids de responsabilités extrêmement lourdes. Qu'en pense-t-il? Il vient de le dire. Il pense comme après 1870 : si les dieux immortels lui prê- tent encore un long Age, il recommencera. Je ne répondrai que trois mots : — Pas la France. LA SAINT ALBERT La fête du roi Albert de Belgique va être célébrée dimanche sur un empire où le soleil ne se couche pas : du Japon à la France et à l'Angleterre, de la Russie à la Serbie et au Monténégro, les yeux se- 428 LA FRAN'CE SE SAUVE ELLE-MÊME. ront fixés sur ce petit point de Belgique non envahie où tantôt l'épée à la main, tantôt armé du simple fusil de ses troupiers, un roi régnant remplit son vieux devoir de chef de guerre et défend le dernier vestige du sol dont il refera la conquête. Adrien Mithouard, président du Conseil municipal, a raison de convier les Parisiens à pavoiser en l'hon- neur d'une action si nettement et si fortement « re- présentative du sentiment chevaleresque », si pure- ment, si entièrement dévouée à la morale de l'honneur. Comme il n'y a pas d'incompatibilité (au contraire) entre la morale de l'honneur et la religion du salut public et le culte désintéressé des hauts intérêts na- tionaux, je voudrais que la fête du roi Albert rap- pelât avec force et clarté les services que ce roi et son noble peuple nous ont rendus :nos grands idéa- listes auront peut-être pitié de nous, mais, quand il s'agit de notre France, je me sens devenir utilitaire à fond. Les Belges ont bien servi, écrit-on partout. On ditmême: ils nous ontsauvés. Servi àquoi. Peut-être n'a-t-on pas perdu le souvenir qu'ils nous ont donné le temps d'organiser et de mettre en train notre ré- sistance. Mais quand on demande en quoi consista le salut que nous leur devons, on oublie qu'ils nous ont préservés de l'attaque brusquée. De son air entendu, de son impayable ton de doc- teur Hervé, en se vantant, lui et les socialistes, d'a- voir tout vu, tout su, tout prévu (la défense natio- nale n'ayant connu quelques faiblesses que parce que, depuis dix ans, on ne les a pas suffisamment écoutés, Jaurès, Hervé et les bons b.., qui conseil- CHEFS ET DOCTEURS. 420 laiont de lever la crosse en Tair et de rompre les rang^s, ou qui, après avoir fait promulguer en 190.'), dix jours avant le Coup de Tanger, le service de deux ans, firent en 1907, sous le ministère Clemen- ceau-Picquart, abréger les périodes d'exercice des réserves), Hervé trouve moyen de loger ceci : Nous connaissons l'AlIeniagne , Ce n'est pas par l'attaque brusquée de quelques pauvres corps d'armée qu'elle est redoutable. Sans doute deux ou trois colonnes plus loin, Hervé publie une souscription « pour nos sauveurs belges ». Il serait inutile de lui faire remarquer que ces sauveurs n'auraient rien sauvé du tout si l'at- taque brusquée de quelques pauvres corps d'armée n'eût pas été redoutable et n'eût pas entraîné pour nous un risque d'écrasement. Mais ce que M. Gus- tave Hervé est incapable de comprendre, tout esprit sensé et lettré, tout Français digne de ce nom doit le savoir, le méditer, le rappeler en toute occasion. Les mots ont un sens. Ils portent avec eux l'esprit même des choses. Nous fêterions mal la saint Albert de demain si nous ne nous disions que c'est l'attaque brusquée d'une immense armée allemande tenue sur le pied d'activité (jue les héros belges ont amorlie à Liège, à Dînant, à Charleroi, à Anvers et partout où ils ont combattu. Notre reconnaissance, passion- née et lucide, doit faire l'exacte synthèse du mortel danger conjuré, de ceux qui nous l'ont épargné, des utopies qui nous y exposèrent dans le passé et des folies qu'il nous faudra nécessairement éviter à l'avenir. GÉNIE FRANÇAIS ET GÉNIE ALLEMAND 13 novembre 1914. Nos révolutionnaires et généralement tous nos hommes de gauche continuent de vivre à plat ventre devant ce que les malheureux appellent le génie allemand, même s'il se déploie dans les œuvres de mort : ainsi darîs Y Humanité d'avant-hier, le petit- fils du juif allemand Karl Marx, M. Longuet, député au Parlement français, réclamait en termes impé- rieux pour le commandant et les marins de VEmden, le respect, l'éloge, l'admiration, l'enthousiasme de toute la presse française, lui qui distille au compte- goutte le moindre témoignage d'estime à nos géné- raux! C'est que M. Longuet admire les hommes de VEmden, non pas comme soldats, ni même comme braves : ils sont Allemands. A YHomnie insuffisamment enchainé, M. Clemen- ceau, tovit cocardier qu'il se déclare, a bien soin d'insérer dans une théorie fuligineuse et sans con- sistance des deux « manières de penser et de comprendre », un hommage à cet individualisme allemand qui est cependant la vraie source du pan- germanisme. L'une de ces manières, dit-il... et il écrit n'importe quoi. Puis il ajoute : L'autre réclame, pour l'esprit humain, le droit à la diversité, à la liberté, qui a déjà donné, au regard de la seule production allemande, des résultats dont l'huma- nité tout entière a le droit de s'enorgueillir. Quant à Hervé, c'est aussi aux pieds du génie et GÉNIE FRANÇAIS KT GÉNIE ALLEMAND. 451 du sang ilc Tculobochus (ju'il se jcllc et se vautre pour mieux humilier notre race. Ah! ce n'est pas Ilcrvô qui dirait comme le Grec Moréas : « Oui, cest au sang lalln la couleur la plus halle ». Ce n'est pas lui qui reconnaîtrait à ce sang, avec toute l'histoire, avec toutes les voix du monde civilise, y compris tels civilisés née en Barbarie allemande, un droit d'aînesse incontestable dans l'invention des ordres logique, politique, militaire, littéraire, artistique. Car, pour Hervé, le Latin est une espèce de sauvage qui porte un pagne et qui fait des révolutions. Ce nigaud, qui devient parricide à force d'être bête, prend la mécanisation allemande pour une méthode organique : Observez que l'Allemagne, avec tous les grands dé- fauts que nous lui connaissions avant la guerre, a un gi'nie d'organisation (!) qui dépasse peut-être celui de l'Angleterre elle-même, et qui contraste si merveilleu- sement avec le débraillé de notre génie latin si prodi- gieux pourtant à d'autres égards (!) et ce gé7iie d'orga- nisation depuis quarante-trois ans préparait la guerre méthodiquement, alors que nous, les civilisés de l'Occi- dent, tout en nous y préparant, nous nous y préparions en amateurs, en artistes (!), en latins. Pouvions-nous croire sérieusement qu'une pareille horreur, si gro- tesque malgré sa monstruosité, était encore possible au vingtième siècle ? Ces lignes qui rappellent les idées du romantisme sur les rapports nécessaires du génie et du désordre, ne sont cependant pas aussi vides d'utilité qu'elles en ont l'air. 432 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. UNE THÈSE D'ABAISSEMENT Elles peuvent servir, elles peuvent aider à faire comprendre qu'il faut choisir entre deux explications de ce qui se passe en Europe. Ou la préparation de cette guerre est le fruit du génie allemand, d'une génération spécifique de l'Ordre sur la terre teutonne dans la chair et dans l'esprit teutons, et, alors, en gardant bonne opinion de nous-mêmes, il faudra nous tenir pour de simples bohèmes, des grœcuU, voués à la conquête comme le furent les Athéniens de la décadence : si ce n'est pas pour cette invasion ce sera pour la prochaine ! Ou ce que Ton observe chez nous d'inférieur ne tient ni au sang latin, ni à la qualité de Français, ni à la prétendue génialité de l'Allemagne en fait d'organisation, mais au système politique des deux pays : sensé en Allemagne, parce qu'il y est uni, autoritaire, hiérarchique; absurde en France, parce qu'il y est divisé, irresponsable, anarchique.... Et c'est pour éviter de poser ainsi la question République ou Monarchie que les révolu- tionnaires et les démocrates de tous les poils, deve- nus tous ensemble les officiels du régime, cèdent insolemment sur la valeur de notre race, sacrifient son passé, son génie, sa noblesse et ne lui recon- naissent que de vagues, brillantes et inconsistantes quahtés d'improvisation : malheureux qui ne sentent pas que la condamnation du régime est écrite dans ce simple mot qui avoue — neuf ans après Tanger I trois ans après Agadir — la nécessité où nous avons été, en 1914, d'improviser! C'est donc ainsi. Il faut trahir et désavouer lor- GÉNIE FRANÇAIS ET GÉNIE ALLEMAND. 433 f^^ueil de la France si l'on veut fermer les yeux sur rinférioril6 démocratique et républicaine; il faut lAcher la démocratie et la République si l'on veut continuer à porter haut le nom de notre race qui fit la synthèse de l'ordre intellectuel athénien et de l'ordre pratique romain, si l'on ne veut pas oublier (pie politiquement, la France est la digne patrie des (lolbert et des Vauban, des Sully et des Richelieu, des Fleury et des Suger, des 'Villèlle et des Talley- rand. Je signale l'alternative à tous les esprits qui allient au patriotisme la réflexion . Une chose vaut en Allemagne : est-ce la race? est-ce sa mise en œuvre administrative et politique? Une chose est gâtée en France : est-ce notre système politique? est-ce notre sang? Question de fait sans doute. Mais il ne faudrait pas que des intérêts de parti nous la fissent résoudre contre nous et à nos dépens, au déshon- neur des pères et au désespoir des petits enfants! Nous ne sommes pas assez jeunes pour nous dire de la génération auprès de laquelle M. Lavisse, dans la Revue de Paris, sollicite de l'indulgence. Mais, quoique nés un peu avant 1870, nous n'avons jamais eu « des âmes de vaincus » et c'est au nom de la dignité nationale que nous protestons contre une thèse d'abaissement ethnique, de discrédit physique et moral. 38 LORD ROBERTS 10 novembre 191i. Il est beau de périr à la fleur des vérifications de son rêve comme vient de le faire ce soldat de quatre- vingt-deux ans. Le maréchal lord Roberts avait con- sumé ses dernières forces à porter de ville en ville des paroles de prophétie. Il s'était fait le prophète de la guerre imminente, et l'on ne croit pas le mécon- naître en disant que l'apparition de l'épouvantable fléau à l'horizon des mers de l'île natale ne lui cau- sait aucun frémissement de joie ni de satisfaction. Les vrais guerriers sont ceux pour qui la guerre est un labeur ou un jeu de prédilection, mais qui en parlent sans complaisance, avec la gravité qui con- vient au langage des fatales amours. ... Ce malheur guerrier, dont on n'est pas maî- tre, on est maître de le prévoir, d'y pourvoir, d'en atténuer les épreuves et surtout d'en limiter les perles du côté de ceux qu'on chérit. Lord Roberts aurait moins aimé ses frères, ses fils et ses petits-fils d'Angleterre s'il eût moins redouté, s'il eût moins dénoncé les embûches que devaient tendre et les coups que devaient porter leurs mauvais cousins d'Allemagne. Lord Roberts s'attachait avec une extrême énergie à reformer l'armée anglaise et surtout à l'augmenter. L'armée anglaise est faite de volontaires et de mercenaires, en quoi elle put comporter aux yeux de lord Roberts des défauts, dont quelques-uns lui LORD HOBERTS. 435 semblaient 1res graves. Mais l'armée anglaise est nue armée de métier, et c'est un immense avantage ilont le vainqueur des Afghans et des Boers espérait sans doute conserver tout l'essentiel quand il préco- nisait avec autant de vigueur que de fermeté l'éta- blissement de la conscription. Quelques-unes de ses déclarations parurent témoigner qu'il se serait volon- tiers montré plus hardi. Serait-il allé jusqu'au terme de ces hardiesses, qui s'appelle la « nation armée »? C-ela est possible. Et, de même que « les résultats de « longues méditations et de l'expérience » lui fai- saient prononcer ce qu'il appelait hautement « des paroles décisives » sur l'insuffisance du système mi- litaire anglais actuel, de môme une méditation plus longue encore et des expériences ultérieures lui au- raient peut-être fait regretter de s'être avancé indis- crètement dans ce sens. En effet, l'opulence de l'immense empire britan- nique est-elle la seule explication de ces beaux orga- nes d'armement, d'équipement, de services alimen- taires et sanitaires, qui ont fait, depuis trois mois, l'admiration des connaisseurs? Peut-être aussi dans ces merveilles du beau fini anglais faut-il voir les elïels d'un système où l'élite tient plus de place que le nombre où l'on accorde un soin attentif à tout ce qui touche à l'organisation, à la préparation, à l'édu- cation des cadres d'abord, des hommes ensuite. Cet art minutieux et sévère reste compatible avec la conscription qui comporte un service ti termes iné- gaux et des conditions variées. Mais l'uniformité démocratique cadrerait-elle avec les mœurs de ce que l'on appelle avec une fausseté ridicule la démo- 436 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. cratie anglaise? On peut dire que cela fait question. Et Ion peut dire aussi que cette question est grave, si elle suppose un risque quelconque de livrer les forces militaires à la nécessité d'improviser. Cette nécessité, en France comparable à une grave mala- die, ailleurs pourrait déterminer le coup de la mort. Non nostrum inter vos... La réflexion patiente des hommes d'État britanniques finira bien par trouver une solution moyenne qui pourra accroître le nombre de leurs vaillants soldats tout en leur conservant, du haut en bas, l'incomparable valeur qualitative de ce bon et robuste instrument guerrier. Le maréchal lord Roberts gardera le solide honneur d'avoir posé à temps les termes rigoureux du rude problème, parce qu'il voyait qu'il était urgent de le résoudre. L'accent de son discours de Manchester, en septem- bre 1912, aux citoyens du « grand et saint empire » de la Grande-Bretagne unit à l'action pathétique cette clarté, cette familiarité, cette nudité d'expres- sion qui mène au sublime : « Si », disait-il entre autres belles et fortes choses, « si je me pose à moi- même cette question : « — Comment puis-je, même à « cette heure tardive et solennelle, le mieux servir « V Angleterre qui représente tout pour moi, l'Angle- « terre qui a tout fait pour moi? » je réponds de nou- « veau : « Armez-vous et préparez-vous à vous con- « duire en hommes., car le jour de l'épreuve est proche. » Il était venu voir sur le continent comment les hommes de son pays se tenaient à la grande épreuve réalisée du fer et du feu. Une pneumonie contractée jeudi dernier l'a emporté, dit très bien le Temps, « devant l'ennemi ». Magnifique mort de soldat. LE CATHOLICISME ET LA PAIX 17 novembre 1914. L'Encyclique annoncée depuis les débuts du nou- veau pontifical nous est résumée par le télégraphe. Comme elle a pour sujet la paix, il sera permis de renouveler d'abord à ce propos certaines remarques et certaines questions auxquelles on n'a pas répondu jusqu'ici. D'abord voici la seule Internationale qui tienne. Toutes les autres défaillent ou elles tendent ;\ défaillir. Pendant que les socialistes essayent vai- nement de se mettre d'accord sur la composition de leur bureau central et sur l'emplacement ou siège de ce bureau, les millions de catholiques pressés dans les armées et les États belligérants n'ont pas un doute sur la demeure du Saint-Siège ni sur la personne du Souverain Pontife. C'est au moins un sujet qui est hors de débat! L'article qu'on a lu plus haut montre suffisamment que tout le reste est contestations, disputes, coups de plume, coups de sabre et coups de canon'. Cela étant, comment se fait-il que les pacifistes du monde entier fassent si peu de cas de cette paix catholique romaine si fer- mement établie dans son ordre qu'au milieu d'une mer ainsi démontée il n'y a plus la moindre banalité à en comparer les assises à celles du roc? Le bon sens devrait suffire à faire sentir que, si l'on veut jamais 1. Article de Jacques Bainville sur « les difficullés de s'en- tendre ». On ne s'entend ni sur le socialisme, ni sur le Kantisme, ni sur le principe des nationalités.... 438 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MEME. obtenir quelque paix entre les hommes, il sera sage et prudent de tenir au moins compte de cet élément. Bizarrerie étrange : non. contents de n'en pas tenir compte, les pacifistes veulent plus ou moins le dé- truire. Tous ou presque tous sont anticléricaux et anticatholiques'. Je ne comprends pas. Il en est de même, et à plus forte raison, des socialistes. Pourquoi? C'est ce qu'on devrait m'expli- quer. Leurs trois journaux : Humanité. Bataille syn- dicaliste. Guerre sociale sont, avec une franchise iné- gale, mais une intensité profonde, ennemis déclarés ou sournois de tout ce qui est catholique. Depuis qu'a été jurée notre concorde intérieure du A août. ces journaux charment leurs loisirs, amusent leur détresse à manger du curé tout en gémissant sur l'étroitesse de l'esprit catholique. Comment donc méconnaissent-ils le point d'appui, cependant clair et net, que trouverait dans le centre romain une propagande en faveur de la paix universelle, en faveur du désir de tempérer la concurrence éco- nomique par un esprit de cordialité et d'équité? C'est leur secret. On en verra sans doute la clé dans la nouvelle pré- face du beau livre de Georges Valois, la Monarchie et la Classe ouvrière. Mais j'avertis que cette clé, ouvrant sur la conscience et sur l'intelligence des meneurs du Parti, ne les montre pas dans un très beau jour. Cependant, de deux choses l'une : ou bien, il y a dans l'effort du socialisme et du paci- fisme, un élément caché que l'on ne nous dit pas, ou 1. Et tous veulent faire sortir la papauté du rôle interna- tional. Li: CATiioiJcisMi-: i:r la taix. «9 Iticn, si rclï'orl esl sincère, ceLLc ignorance du calhc- licisme, celle hoslililé au calliolicisme demeure un scandale pour la raison. Qu'enseigne le pape? la paix. Et l'aulorilé qu'il exerce, la conlinuilé de son aulorilé, le respecl donl l'entourent d'innombrables populations sulfit à témoigner que cet enseignement pacifiste n'est pas un vain mot, il s'étend aux réa- lités, il porte sur les faits, les incline et les modifie dans son domaine avec une bien autre efficacité que n'ont fait, dans le leur, les Congrès pacifistes ou la Gourde La Haye. L'alliance et le concours généreux d'un tel pouvoir en faveur de la paix européenne serait à solliciter à tout prix si les pacifistes étaient sérieux. Ils le répudient. Ce sont des fols, ou bien quel mystère! PORTÉE POLITIQUE ET MORALE DE L'ENCYCLIQUE Les paroles de paix du Pontife catholique romain auront-elles la force de vaincre la ruée de la haine internationale? Les nations seront-elles sensibles à ce que S. S. Benoît XV appelle son premier « fré- missement dafCection pour tout ce qui louche l'hu- manité »? C'est une autre question et qui porte sur un autre ordre. Mais, là encore, il faut admirer la gravité, on voudrait oser dire le réalisme avec lequel l'Encyclique, pour viser l'avenir, s'applique à peser et à mesurer exactement les données du passé. Au lieu qu'il est impossible de lire sans bailler d'indifférence cl d'ennui les tirades oratoires qu'ali- gnent les clients et confrères de M. d'Estournelles de Constant, ici les conditions normales de la vie humaine se trouvent saisies et envisagées telles 440 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. quelles et comme chacun peut les voir. Certains points ne peuvent manquer d y échapper absolument à des profanes, mais d'autres concordent de la façon la plus saisissante avec les préoccupations néces- saires des citoyens. Personne n'y peut être insen- sible. Ainsi l'analyse des causes de la Guerre porte également sur la guerre extérieure et intérieure : nous sommes chez les philosophes et non chez les rhéteurs; s'il est horrible de se massacrer de peuple à peuple, il l'est plus encore de s'entretuer au sein d'une même nation. Au nombre des causes de guerre, le Pape relève l'injustice dans les relations des classes inégales qui pourraient s'aimer. Le Pape donne cette explication des guerres sociales : le mépris de l'autorité depuis qu'on a voulu assigner au pouvoir pour toute ori- gine la libre volonté des hommes ; cela revient à dési- gner l'élément d'anarchie et de lutte intestine inclus dans le libéralisme. Mais le point le plus digne d'être remarqué et médité est ce qui est dit du désir de bien-être matériel considéré comme un élément belliqueux. Notre jargon dirait : la cause écono- mique. Certains ont exagéré le rôle de cet élément. Il ne faudrait pas le nier ni trop le réduire. Tout le livre de Norman Angell, assez bien nommé la Grande Illusion, et qui n'est en effet qu'une illusion, mais sans grandeur, repose sur cette vue qu'il n'y aura plus de guerre quand on saura, quand on verra que la guerre ne paie pas ses frais. Le vrai est qu'elle cessera quand on croira cela, c'est-à-dire jamais : le grand producteur, le produc- teur effréné de richesses matérielles, le travailleur LE CATHOLICISME ET LA PAIX. 441 qui se flallc de créer et de multiplier celte sorte de biens dont l'essence est d'être partagés crée au- tour de lui et en lui, des puissances de destruction qui, en se développant, agiront à main armée. En clîet, il créera des jalousies furieuses. Il s'enivrera de ses propres rêves, et pour les mûrir plus rapide- ment, la destruction de toutes les rivalités s'offrira et s'imposera comme la plus prudente des ambitions. Ainsi il lui sera possible de griser et d'entraîner dans un mouvement belliqueux ces éléments voisins (jui d'eux-mêmes tendraient à préférer les douceurs de la consommation et de la jouissance. C'est ainsi que l'esprit d'équilibre conseillé par le premier degré du travail, de l'épargne et des autres arts dits paci- liqucs est promptement rompu par l'esprit d'entre- prise et d'initiative attaché à toute technique pure- ment matérielle. Il faut dépasser la conception des richesses divisibles et susceptibles d'être volées pour abolir ce genre de guerre de rapine qui est à la so- ciété des nations ce que le vol est à la société des familles. Normann Angell aurait pu démontrer que le vol ne paie pas ceux qu'il envoie au bagne : mais les en a-t-il convaincus? Sans compter qu'il y a des voleurs impunis, donc récompensés. Incomparablement plus sage, l'Encyclique con- seille de déraciner d'abord l'avarice. On se battra moins pour le bien-être matériel quand les hommes et les peuples en seront un peu détachés. Hors de ce détachement, hors de cet esprit catholique, toutes les perspectives d'avenir sont guerrières fatalement. Si Karl Marx a raison, si M. le ministre Jules Guesde a raison, si les fatalités du ventre doivent diriger de 4i2 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, plus en plus les pensées et les sentiments de l'homme futur, il faut aussi compter que l'acier des faucilles et celui des charrues et des couteaux de table seront de plus en plus changés en armes de défense ou en instruments d'agression. Telle du moins me paraît être l'évidence. Ceux (jui prétendent autre chose prononcent des mots décousus démentis par l'évé- nement. La faillite du pacifisme humanitaire n'a pas étonné ; depuis longtemps, il étonnait par sa mons- trueuse irréalité. Tout au rebours, le pacifisme catholique et ponti- fical se présente comme une doctrine intelhgible, liée, rationnelle, supérieure aux réalités, mais en accord avec toutes les lois des choses. Si l'on veut un autre exemple du genre de satisfaction intellec- tuelle qu'on y rencontre, on peut lire au dernier numéro des Études fondées par les Jésuites l'article d'Yves de la Brière sur « la guerre et la doctrine ca- tholique » ; la question de la force et du droit s'y trouve abordée et analysée : nous n'avions guère lu jusque-là dans les écrits français et allemands, que des balivernes sur ce sujet. Là se retrouve enfin l'esprit des choses et la liaison des idées. Même question : comment tous les profès du pacifisme ne donnent-ils aucune attention à cela? Je fais mon de- voir d'écrivain en leur disant et môme en leur criant d'un peu de regarder de ce côté. C'est très intéressant pour tout le monde. Cela devrait les passionner. C'est tout le contraire. Pourquoi ? DEUX SUCCÈS DE « L'ACTION FRANÇAISE « LE FISC ET LES HEROS ». M. CAILLAUX ET L'ALLEMAGNE Enfin! enfin! enfin! nous nous décidons à imiter des Anglais quelque chose de sage. On lit ù la fin du communiqué du Conseil des ministres d'hier : Le Conseil a décidé, sur la proposition du ministre des finances, de saisir les Chambres d'un projet de loi pour supprimer en ligne directe et au profit du con- joint survivant les droits de mutation sur les succès cessions des officiers et soldats morts sous les dra- peaux. Non, ce n'est pas sur la proposition de l'honorable M. Riboi, mais sur l'avis de Jacques Bainville, dans ÏAc(io)i française, qu'a été prise cette mesure plus que tardive et qu'il est permis de trouver insuffi- sante, comme nous aurons prochainement l'occasion de le voir et de le montrer. Aujourd hui, il nous suffira d'en prendre acte et d'y mettre la signature de notre collaborateur, en faisant remarquer de nouveau que cette idée de gouvernement a été ap- pliquée dans la monarchie anglaise qui nous en a donné l'exemple, il y a de longs mois, et qu'elle a été importée en France par un royaliste. L'essence tardigrade du régime et de l'esprit républicain se trouve donc pincée sur le fait une fois de plus. L'après-midi d'hier nous en a apporté la vérifi- cation redoublée avec le numéro du Temps qui paraît à cinq heures. Ce grand officieux du régime daté du 17 novembre aborde — enfin! enfin ! enfin! Mi LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. — la question des bons rapports de M. Caillauxavec l'opinion allemande. Il y a juste un mois jour pour jour que la Gazette de Francfort avait traité de ces rapports dans son numéro du 17 octobre, nous avons signalé le fait dans notre numéro du 26, lequel fut impitoyablement caviardé pour toute Té- tendue de notre citation du journal allemand. Le Temps, comme les Débats, s'obstine à attribuer, la paternité de l'article à la Nouvelle Presse Libre de Vienne. Or, tout ce qu'il en tire depuis la marque d'origine bordelaise, fausse ou vraie, jusqu'à l'allu- sion à un certain restaurant du Chaperon Rouge, se trouve identiquement dans la Gazette de Francfort. Vienne n'a fait que répéter l'évangile de Francfort. Mais le plus grand, le plus beau journal delà Répu- blique, feignant d'avoir ouï vaguement parler d'un texte explicitement rappelé ici le H novembre, se laisse aller à écrire : « Ces invites de la Nouvelle « Presse Libre et aussi de la Gazette de Francfort, « DIT-ON... » L'accent de ce doute témoigne d'un esprit critique à rebours. L'incrédulité du Temps ne signifie rien que sa lenteur extrême à former des jugements justes. Ce ne sont pas les Autri- chiens, ce sont les Allemands qui ont formé le pre- mier acte de foi et d'espérance en M. Caillaux. Ce n'est pas Vienne, c'est Francfort. Le Temps veut-il voir la coupure originale? Préfère-t-il qu'on la dé- pose chez le notaire? Le Temps ferait mieux de pren- dre garde à la course générale des cb ^ses : elle suf- firait à lui démontrer qu'en ce mon.,j/ plus que jamais le paradoxe de la veille publié pt», VAction française doit devenir la vérité du lendemain. L'ALLEMAGNE ET LES NATIONS. 44:. L'ALLEMAGNE ET LES NATIONS Il nous vient d'Amérique d'amusantes informa- tions. L'ambassadeur d'Allemagne à Washington promet de respecter au Canada la doctrine de Mon- roë ; la presse américaine demande si la promesse sera respectée comme le traité de Berlin en Bosnie et en Herzégovine ou comme les engagements à main- tenir la neutralité du territoire belge... Cette impro- bilé allemande a le don de fouetter la verve anglo- saxonne. On a lu à VOpinion de samedi un très intéressant résumé que vient de faire M. Raymond Guasco des idées exposées récemment sur ce point par M. Chesterton dans l'édition insulaire du Daily Mail. Chesterton est une sorte de Carlyle nouveau, un Carlyle catholique et, comme son maître, doué ma- gnifiquement des talents du langage, une imagination riche, belle, singulière, étant mise au service d'une excellente vivacité d'esprit. Ces dons sont assez rares pour renouveler tous les sujets et forcer ici les cu- riosités, là les assentiments. Ses fortes remarques sur la malhonnêteté teutonne viennent heureusement en stricte et pure confirmation de ce qui a été ex- primé ici sur la commune racine de l'infériorité des Allemands : la religion de leur moi ethnique, l'ap- plication de l'individualisme absolu à leur peuple et à leur État, l'apothéose de l'être allemand en tant qu'Allemand. Le sujet allemand peut supporter une règle, mais l'Allemand souverain n'en a d'autre que sa fantaisie ou son intérêt. Par rapporta l'Europe et au monde, c'est un anarchiste. Pareil anarchisme 446 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. aboutit naturellement à ne tenir aucun compte des engagements du passé pour la conduite de l'avenir, ce qui doit rendre esclave des instincts, des inté- rêts, des désirs, des besoins. Un moraliste latin ex- primerait cela en disant par exemple qu' « ils se sont affranchis même de la constance et l'univers entier les subjugue chaque malin. » La fantaisie de Cherteston a plus de montant. Il fait de la « pro- messe » le signe vivant et l'effet concret de cette constance : « frêle corde jetée des collines oubliées d'hier aux invisibles montagnes de demain » ; sur ce pont jeté entre le passé et l'avenir il fait porter tout le poids sacré de notre condition d'homme et rend sinon plus clair, du moins plus sensible et tangible, ce qu'il y a de barbarie etd'humanité dans l'anarchie de l'être, dans l'anarchie du peuple qui fait profes- sion de promettre sans tenir. L'image coloriée de ce fils de Shakespeare, de ce disciple de la Bible, illustre vivement et utilement les définitions hasar- dées de ce côté-ci du détroit. On ferait la môme observation sur la brillante analyse du manque d'esprit de réciprocité chez les Allemands. Ils ne sont pas les autres. Ils sont à part des autres et au-dessus des autres. Pourquoi? Parce qu'ils sont eux. Toujours l'individu de Fichte : alle- mand signifie tout l'homme! L'Allemagne équivaut à rhurnanité. Le terme de comparaison leur manque pour mépriser ou même pour désigner une humanité qui ne serait pas allemande et, par hasard, existe- rait. P0U1\ LINIKIIÈT \)i: TOUS! 18 novembre 1914. M. de Monzio, qui nous discute dans le Radical, pcul le croire : nous sommes aussi peu désireux que possible de prononcer un mot de nature à fausser l'esprit public ni à servir l'intérêt d'un parti. L'intérêt que nous voulons servir, c'est seulement celui de M. de Monzio lui-même, et de ses collaborateurs du Radical et de leurs lecteurs dans la mesure où tous ces messieurs participent à l'intérêt français. Une monarchie de couleur ou de parti, de caste ou de clan ne nous intéresserait à aucun degré. Ce que nous voyions dans le mode d'organisation monar- chique, c'est un instrument de paix et de guerre capable de donner à nos forces, à nos ressources, à nos capacités nationales tout le plein de leur rende ment. Nous pouvons certes nous tromper et, si l'er- reur existe, on nous rendra service en nous la mon::i trant ; mais, si nous ne nous trompons pas, si nous voyons juste, il existe un bien dont M. de Monzie n'a pas la notion, il existe des maux, il existe sur- tout des facteurs de bien et de mal auxquels M. de Monzie et ceux qui pensent comme lui ne prennent pas garde. Alors, nous crions : — Citoyens, citoyens, qui que vous soyez, nos frères de France, il y a quelque chose d'essentiel, de central et de capital à saisir de ce côté-là ! Loin de tirer à nous une « couverture » quel- conque, c'est de couvrir la France que nous nous 448 LA FRANGE SE SAUVE ELLE-MÊME. occupons. Ceux qui nous ont bien lu le savent. M. Sembatnous a rendu cette justice quand il a parlé de « l'énorme point d'interrogation tracé par nous au tableau noir » à propos de notre livre Kiel et Tanger. Les réflexions faites dans ce gros petit livre sur dix-huit ans de politique extérieure (189o-1913) ont été gravement vérifiées par les derniers faits connus, par les derniers documents diplomatiques publiés et publiables (je ne parle que de ceux-là) : comment est-il possible de nous désintéresser de vérifications de cette puissance et qui s'ajoutent à la séiie des confirmations qui n'ont cessé de se pro- duire et d'accourir dans la décade antérieure ? Il ne s'agit point des erreurs ou des retards du « service des postes » , ni des erreurs ou des retards de la « censure » quelle qu'en ait pu être la gravité : nous ne traitons que de l'essentiel et du général, des conditions supérieures de cet Ordre public, distri- buteur, sinon générateur, des forces nationales. Réfléchir sur des points de cette importance, c'est travailler à rendre le pays plus lucide et mieux ren- seigné, plus libre et plus heureux dans ses mouve- ments à venir. Tous les bons Français y ont le même intérêt. M. de Monzie ne paraît d'ailleurs pas s'être ar- rêté à une circonstance. Quand nous écrivions ici le 15 novembre. « Une chose vaut en Allemagne : Est-ce la racel Est-ce sa mise en œuvre administra- tive et politique? Une chose est gâtée en France : Est-ce notre système politique? Est-ce notre sang? », ce n'est pas nous qui avions ouvert le débat, c'é- taient des écrivains républicains de son bord, entre POUR L'INTl'RfiT DE TOUS! '.49 lesquels M. Ilervt';. M. Hervé, avec sa brièveté d'es- prit coulumière, avec cette légèreté qui lui inspi- raient avant-hier encore les plus sombres sottises sur les «lélicates alfaires d'Italie, M. Hervé avait jugé à propos de concéder à nos ennemis allemands la supériorité du sang, du génie, de la race, de la na- ture enfin sur tout le chapitre de l'organisation et de l'ordre! Sans cette Iblle concession, qui bifle les 09/100 de notre histoire et de l'histoire des AUe- magnes, mais qui est malheureusement courante dans la presse républicaine et socialiste, nous n'au- rions pas été amenés à protester en rappelant les titres de notre présent et de notre passé. L'honneur français nous y obligeait. Mais l'honneur satisfait par nos protestations, il était inévitable de poser alors la question d'utilité nationale : — Comment celui des peuples qui est le plus ordonné dans ses affaires privées est-il en proie à l'incohérence et à la désorganisation politique? Et comment un peuple médiocre, tel que le peuple allemand, hôte d'un ter- ritoire relativement disgracié, a-t-il fait ces chefs- d'œuvre d'organisation? Si d'autres causes que celles qui tiennent à l'histoire et à la constitution politiques de l'Allemagne et de la France ont été en jeu, M. de Monzie rendrait service à tout le monde en les dé- couvrant. Il faut savoir cela afin de prévoir et de pourvoir : il n'est pas d'intérêt public au-dessus de cette pressante et commune nécessité. 29 LA . CONSCIENCE » AU SERVICE DE LA NATION 19 novembre 1914. Nous lisons tous les jours tantôt dans un journal socialiste, tantôt dans un journal radical-libéral ou opportuniste des plaidoyers d'une remarquable insistance en faveur des personnes qui ont été, au- raient été ou risqueraient d'être victimes « de l'ap- plication trop hâtive ou trop étroite des justes me- sures prises par le gouvernement » contre les sujets de l'Allemagne ou de l'Au triche-Hongrie. Les er- reurs policières, judiciaires ou fiscales commises au détriment d'innocents, celles qui transformeraient en coupables de simples suspects, inspirent à ces divers journaux des réclamations auxquelles nous applaudirions sans réserve, si la question était envi- sagée en son entier. Mais on s'obstine à n'en consi- dérer qu'un aspect qui est toujours le même. A côté de l'erreur déplorable qui atteint des particuliers, il y a l'erreur symétrique, celle qui atteint la patrie et l'armée, celle qui tue ou laisse tuer nos soldats. A l'erreur née de la précipitation, de la hâte, de la sévérité, s'oppose l'erreur qui résulte de la négli- gence, du laisser-aller, parfois d'autres mobiles, intéressés et plus coupables. N'en sera-t-il jamais question ? Le Temps conseillait le « doigté ». Oui, il faut du doigté en tout. Le Temps veut bien ajouter : et de la conscience. Que le Temps prenne garde. La con- LA . CONSCIENCE •• AU SEHVICE DE lA NATION. IM scicMice 110 si^Miilio pas sciilcmonl, la lenteur scrupu- leuse et la liniidilô calculée. Il faut aussi au magis- trat qui veut a^ir la conscience ardente de son de- voir, et le sentiment vigoureux que son devoir n'est pas limité à la faculté de trembler devant le « droit » d'étrangers équivoques, s'ils sont entourés de pro- tections puissantes. La conscience du magistrat se déploie aussi dans la rigueur sereine et dans l'in- flexible lucidité d'une action juridique et [)atrio- tique. Ce (jui importe, c'est de poursuivre l'ennemi embusqué, c'est d'atteindre son espionnage, c'est de ne pas se laisser paralyser par les manœuvres qu'il rétribue. On a confessé que naguère, avant la mobilisation du '2 août, nos hôtes allemands et autri- chiens étaient les maîtres de Paris. S'ils sont partis, beaucoup de leurs amis et de leurs complices sont restés. Il y a même lieu de penser que, dans la dé- tresse commune, ils ont su faire des razzias opu- lentes, et rien ne prouve que leur or doive présente- ment demeurer inactif. Raison de plus pour recom- mander aux magistrats la conscience, celle qui regarde droit devant elle, celle qui n'a pas froid aux yeux, celle qui est armée et ne craint pas de sévir. En temps de guerre, les intérêts particuliers de nos nationaux se sentent plus voisins, leur addition se fait mieux et se rapproche davantage de l'intérêt général qui les limite et les déborde. Mais il ne faut faut pas croire que tous les intérêts trop particu- culiers ou même révoltés et rebelles se soient éva- nouis du coup. Un de nos amis habitant un fameux pays de bains de mer nous écrit à ce sujet une lettre- i52 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME, type où se laissent voir et palper les infirmités et les médiocrités de la pauvre nature humaine, qu'une moisson de héros ne suffira jamais à transfigurer : Nous avions en août, septembre et dans le mois d'octobre, beaucoup d'Allemands contre lesquels on ne prenait que des mesuras de sûreté insuffisantes, parce que l'intérêt du propriétaire louant son chalet ou sa maison l'emportait sur l'intérêt national, sur le pa- triotisme. Mon propriétaire, qui était aussi adjoint au maire, fermait les yeux sur ces Boches, en particulier sur l'un d'eux, son locataire depuis 20 ans et marié dans le pays: il est, me disait-il, incapable de travailler pouries Boches, pour espionnage ou autre chose, car on peut le considérer comme naturalisé ; il se trompait ou voulait s'excuser, carie brave Boche a été, à deux heures du matin, arrêté dans les derniers jours de septembre et envoyé à... avec troisou quatre autres. Ce propriétaire est pourtant un brave homme qui défendrait son pays sans peur s'il n'avait soixante ans passés. Le mal que l'intérêt laisse faire à des Français un peu faibles dont le cerveau est farci de nuées, il doit le laisser faire à plus forte raison à des hommes de moins de scru- pules. II est assurément absurde, dangereux et fol de prendre pour des Boches les Alsaciens-Lorrams ou les Arméniens pour des Turcs. Mais les faux Ar- méniens et les faux Alsaciens-Lorrains sont certai- nement plus à redouter que des Boches avoués et des Ottomans convaincus. L'intérêt allemand est de multiplier les faux-nez de ce genre. Il n'est pas de notre intérêt de vivre sans nous en méfier du tout. C'est pourtant ce que l'on conseille à l'État. C'est ce qu'on lui demande, au nom de la conscience, quand ce n'est pas au nom du doigté. Et l'on y réussit dans une mesure étroite, mais puissante et LA « CONSCIENCE » AU SERVICE DE LA NATION. iNS par l,-^ m6me fort dangernuse : en mt^lant un peu de bonhomie sincère, beaucoup de fausse philanthropie et de générosité théâtrale à un soupçon d'intérêt matériel ou moral, il est facile d'obtenir de petits courants d'opinion capables de désarmer ou de dé- moraliser les autorités, car il suffira d'agir à la bonne place, de manœuvrer dans les couloirs du Palais de Justice et des administrations. Qui en portera le poids? La France espionnée et trahie. Et qui paiera? Son sang prodigué. Ce prix nous semble exorbitant. On peut toujours réduire à peu de chose les chances des erreurs ad- ministratives, policières, judiciaires, fiscales. Mais si, absolument, il faut qu'une erreur soit commise, eh! bien, mieux vaut la moindre erreur : celle qui afflige et désole quelques particuliers! Ce qu'il importe de préserver d'abord, c'est la France. L'État n'a plus de raison d'être quand il néglige ou sacrifie cette cause de la patrie, la cause de tous. LE FISC ET LES HEROS 18 et 19 novembre 1014. UN MAGISTRAT RÉPUBLICAIN Hier, en relatant la décision prise en Conseil des ministres sur la proposition de Jacques Bainville, dans V Action française du 2 octobre, nous disions que notre collaborateur et ami trouvait la mesure insuffisante et se réservait de demander qu'elle fût complétée. Il me communique, en effet, deux notes fort intéressantes qui lui ont été adressées. Elles doivent être mises sans tarder sous les yeux du public en général et, en particulier, du Conseil des ministres de la République française. La première émane d'un magistrat parisien, qui, le 2 octobre, a lu, par hasard, l'article « le fisc et les héros ». Félicitant Bainville, il lui proposait ce « complément nécessaire » : Il ne suffira point de dispenser les héritiers des sol- dats morts pour la patrie de tous droits de mutation. Nous devons nous efforcer, en outre, de leur épargner la plaie du ■partage judiciaire et des licitations. Reportez-vous à Le Play, notamment, et vous verrez quel danger est suspendu sur la tête des veuves et des orphelins de la guerre. Les petits héritages seront mangés en frais de justice, si on n'apporte une réforme de ce côté. On pourrait tout simplement étendre aux petits biens ruraux les dispositions successorales de la loi du 12 juillet in09 sur le bien de famille insaississable LE FISC ET LES IlfiROS. i^o (art. 18 et 19). Au lieu d'être astreints au partage forcé , les héritiers mineurs pourraient demeurer dans l'indivision jusqu'à la majorité du plus jeune enfant. Au lieu do mettre aux enchères le bien familial, et de le livrer à un vil prix à un étranger, on le conser- vera dans la famille; il pourra même être attribué sur estimation soit à la veuve, soit à l'un des héri- tiers. Pour le cas où lalicitation sera inévitable, on devrait recourir à une procédure simplifiée, analogue à celle de la loi belge — ou de la loi allemande, celles dont jouissent actuellement les Alsaciens-Lorrains à qui il ne faudrait point imposer notre procédure archaïque et spoliatrice. 11 n'est point prématuré de lancer l'idée dès à pré- sent et môme d'y insister, car les gens de loi réussi- raient plus tard à la faire écarter, comme toutes les réformes judiciaires un peu sérieuses. Nous avons été heureux de constater qu'il se trou- vait un jurisconsulte républicain pour verser dans nos deux hérésies : la méfiance à l'égard des gens de loi et l'évocation de l'enseignement de Le Play. Comme l'illustre auteur de la Réforme sociale est un de nos premiers maîtres, et que la basoche fut tou- jours notre béte noire, nous éprouvons le même plaisir à insérer la communication d'un autre juris- consulte, celui-ci de nos grands, de nos meilleurs amis. UN JURICONSULTE ROYALISTE Voici sa lettre Comme le magistrat républicain qui, hier, donnait son sentiment sur la proposition heureuse de Bainvillc, le royaliste se montre effrayé 456 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME du flot de procédures que va déchaîner Tapplication du Code Napoléon. Un père de famille est tombé sur le champ de bataille ; quelques-uns de ses enfants sont encore mineurs. Il suffit du caprice d'un héritier, de l'obsti- nation d'un conseil de famille pour que la maison où le champ soit licite, exposé aux enchères publiques. Quels frais ! Pour les très petits héritages, ils vont parfois jusqu'à 60, 80 ou même 100 pour 100. Ce n'est pas seu- lement le fisc, ce sont les hommes de loi qui dévorent la substance des orphelins et des veuves. Pour les immeubles les plus importants, c'est toujours une exaction ruineuse. Quelques efforts ont été faits, depuis une trentaine d'années, pour diminuer cette déperdition de l'héri- tage qui se renouvelle automatiquement à chaque décès; la réforme essayée n'a donné que des résultats insignifiants, et les statistiques du ministère de la jus- tice montrent qu'il est souvent ruineux d'hériter. Est- ce là ce que nous allons voir se reproduire à l'ouver- ture de ces successions deux fois sacrées? Les hommes de loi vont-ils se refaire avec les lambeaux de propriété laissés par ceux qui ont défendu le sol de la France contre l'invasion allemande"? C'est par centaines de millions qu'il faudrait compter les capitaux engloutis et par dizaines de mille les héritiers de nos héros réduits à la misère. En Angleterre, un tel fléau est inconnu, l'héritage est recueilli par un seul, qui pourvoit en retour (d'une manière ou de l'autre) à la subsistance et à l'avenir des cadets. Mais avec le partage égal, sans atténuation d'aucune sorte, qui est la base de notre loi successo- rale, et avec l'axiome rigoureux du code civil que nul n'est tenu de rester dans l'indivision, nous sommes en face d'un véritable abîme, ce qui n'aura pas été dévoré par la mitraille et l'incendie le sera par la légalité. On me permettra de noter ici Tun des traits dis- LE FISC ET LES HÉROS. 457 linclifs de l'i'^lat moderne, de l'Étal né de la Révo- lution, qu'afl'ermit et consolida le premier Bona- porle : c'est un État destructeur, un État ennemi de la nation. En 1815, un de nos plus fameux vain- queurs' se montrait généreux et pitoyable envers nous, en disant que nous étions bien assez afTaiblis comme cela par notre loi successorale.... A bien des égards, nous ne nous sommes pas relevés des coups que nous a portés cette loi. Est-ce qu'elle va nous achever au lendemain de l'invasion? Le jurisconsulte royaliste répond : Ce qu'il faudrait d'abord, c'est abolir l'article 815, ou du moins en suspendre l'application pendant une quin- zaine d'années. Ce qu'il faudrait, en outre, c'est auto- riser le partage amiable alors même qu'il y a des héri- tiers mineurs ou absents. (Les absents, les disparus ne seront-ils pas en nombre incalculable après la guerre ?) Je ne proposerai pas — car on dresserait aussitôt devant nous le spectre de la féodalité — le rétablis- sement du droit d'aînesse. Je demanderai seulement qu'on introduise dans notre législation, sous le coup des nécessités actuelles, quelques dispositions ana- logues à celles de la loi du 12 avril 1906 sur les habita- tions à bon marché. En vertu de l'article 8 de cette loi, le conjoint survi- vant ou n'importe quel ayant droit peut demander que l'indivision soit maintenue jusqu'à la majorité du plus jeune des héritiers. D'autre part, s'il y a lieu de par- tager, l'un quelconque des héritiers peut demander qu'il lui soit fait attribution de la maison sur estima- tion, au moyen d'une procédure très simple et très rapide dont l'arbitrage est confié au juge de paix. La mise en vente publique est évitée, ainsi que les frais 1. Lord Castlereagh. 458 LA FRANCE SE SAUVE ELLE-MÊME. considérables qu'elle entraîne, et la maison du défunt reste dans la famille. Les dispositions de cette loi sont demeurées lettre morte ou à peu près, en raison de son caractère très spécial. Il faudrait les élargir et les appliquer, de droit, à toute succession ouverte par le fait de la guerre, quelle qu'en soit d'ailleurs la consistance ; q u'il s'agisse de terres ou de bâtiments, que la succession soit minime ou opulente, La loi de 1906, d'ailleurs, n'est qu'une ébauche assez imparfaite de législation familiale. Mais le principe en est infiniment supérieur à la barbarie savante du Code civil et du Code de procédure civile, et je doute qu'une occasion plus favorable se présente pour obtenir la réforme radicale de ces lois d'émiettement des for- tunes privées que la Révolution et l'Empire nous ont léguées. Tout Français doué d'esprit politique voudra tourner ses réflexions vers ces vérités lutélaires, aujourd'hui animées, colorées, rendues vivantes et sensibles par la nécessité première de « mettre à l'abri des corbeaux » ce que notre correspondant appelle « l'héritage des morts glorieux ». Ainsi les sentiments d'une noble amitié reconnaissante pour les défenseurs du pays tombés au champ d'honneur servira et militera pour la France future, pour ces foyers, pour ces berceaux « deux fois sacrés » qu'il s'agira, plus que jamais, de défendre ou de relever. Ce qu'il y a de vif et de concret dans les principes nationalistes de l'hérédité apparaît ainsi peu à peu dans nos heures cruelles. Ces familles misérable- ment morcelées, ces héritages cruellement ran- çonnés par les lois de démocratie plébiscitaire et parlementaire (plus que jamais dans ces derniers I.E FISC KT LES HI^ROS. 450 quinze ans, le Temps d'hier soir ravoiiail), les succes- sions et les foyers sont enfin reconnus pour les deux colonnes de la patrie. Nos Français vivants, les meilleurs, les soldats, on les voit, hélas ! se dresser et tomber dans une minute glorieuse, mais éphé- mère : si, à travers eux et au delà d'eux, il subsiste une France durable, c'est par la chaîne de l'esprit et du sang que leurs familles développent. Il n'y a point de France sans la continuité des familles fran- çaises. Mais la famille ne se soutient, ne se main- tient et ne se défend que par le foyer légué et par le foyer hérité. Une œuvre de restauration domestique s'impo- sera donc sous l'influence de la guerre. Il y a des lois à refaire, des lois à corriger, des lois à abolir. Les faits présents ont des clartés qui suffisent à faire voir que de ces réformes dépendent notre vie ou notre mort en tant que nation. Si l'on veut qu'au bout de quelque temps il ne naisse plus de Français, il n'y a qu'à laisser agir les lois « hache menu » de la démocratie. CONCLUSION LA MAISON DU PASSEUR 6 décembre 1914. Cette Maison du passeur que nos troupes disputaient à l'ennemi depuis de si longs jours, et qui a fini par être enlevée, donne la juste idée de la troisième partie de cette guérite : symbole de patience et de ténacité qui fait autant d'honneur aux soldats de la France que leur 7'etraite en ordre depuis la Belgique et leur ardent retour offensif sur la Marne. Évidemment, c'est une phase. Il n'y a pas à la généraliser, ni à supposer quelle durera toujours. Mais il faut l'apprécier à son importance. Comme pour éclairer ce moment transitoire à l'aide d'un passé qui fut d'un genre assez différent, de larges et substantiels aperçus, les uns officiels, d'autres offi- cieux, permettent de prendre une vue cavalière des opé- rations de ces quatre mois. I\ous repassons et nous clas- sons dans leurs ordres de claires notions entrevues : l'élan et l'en-avant de Maunoury sous Paris; le coup de Foch dans la Marrie, les résistances de Sarrail dans l'Argonne, les belles manœuvres de Castelnau et de Dubail sur les Vosges et sur la Moselle. Puis, d'autres noms de généraux déjà environnés d'estime et d'admiration diffuses : les FrancJiet d'Esperey, les Langle de Carry, les Maudhuy, les Hache, les Urbal, les Ronarch' sur l'Yser, à Dixmude, coni- LA MAISON DU PASSEUR. ifil mencent à paraître dans la seule gloire qui leur convienne : le cAtrtège de leurs actions. Ainsi la haute armée sort peu à peu de l'ombre. Ainsi se dissipe l'anonymat si justement dénoncé par Jules Delahaye. Ainsi commence à devenir intelligible le rébus publié au Temps de mardi soir, confessant les inégalités de la préparation militaire : € la France s'est sauvée elle-même » . Oui par le bras et le cœur de ses soldats! Par la tête et le cœur de ses généraux ! TABLE DES MATIERES DÉDIDACE V Le moral (1" août 1914) i Après vingt ans : paix ou guerre (2 août 1914) 8 Devant l'ennemi (5 août 1914) 16 La vérité (4 août 1914) 19 Rage de cyclope (5 août 1914) 23 Erreurs qui affaiblissent (6 août 1914) 26 Maggi et « l'avant-guerre » (9 août 1914) 29 Alsace et Lorraine (10 août 1914) 32 Une souveraine restaurée (11 août 1914) 54 Les ordres du roi (12 août 1914) 38 Le Fédérateur allemand (13 août 1914) 40 Le travail national (14 août 1914) 48 La nature allemande (15 août 1914) 52 En avant les civils! (16 août 1914) 56 Vers Strasbourg (18 août 1914) 60 Pie X (21 août mi] 65 Les nouvelles d'hier (22 août 1914) 68 L'Allemagne au-dessous de tout (23 août 1914) 70 M. Lavisse retrouvé (24 août 1914) 75 Deuil provençal (25 août 1914) 80 Contre les murmures ,'26 août 1914) 85 L'embusqué (27 août 1914) 89 Les nouveaux ministres (28 août 1914) 94 « L'appel • du gouvernement (29 août 1914) 101 La mémoire de Pie X (31 août 1914) 111 Libéralisme et barbarie (1" septembre 1914) 115 La pression orientale gage de la victoire (2 septembre 1914) 118 Le départ et la victoire (3 septembre 1914) 122 Vive la nation! (4 septembre 1914) 128 La manœuvre de Thersite (5 septembre 1914) 133 On nous a dit la vérité (6 septembre 1914) 138 La coalition décisive (7 septembre 1914) 143 Le corps diplomatique au Vatican (8 septembre 191'i-) . 150 Le romantisme impérial (9 septembre 1914) 153 Le danger des harangues (10 septembre 1914) 158 TAHLF DF-S M ATII'RKS. 4W 1870 et H)14(ll septembre 1914) 1G2 La victoire de la Marne (12 septembre 191-i) 169 Les fruits de la victoire (1Ô septembre 1914; 174 Sur la ruine de l'ennemi (14 septembre 1914) 181 Poursuite militaire, poursuite politique (15 septembre 1914) 185 Vers la plus grande Allemagne (Ifi septembre 1914) . . 188 La révolution en Allemagne, peut-être que oui, peut- être que non? (17 septembre 1914) 192 Pourquoi pas Valmy? (18 septembre 1914) 198 Responsabilité capitale des Allemands (19 septembre 1914) 204 Contre la cathédrale de Reims (20 septembre 1914) . . 208 Une démence (21 se|)li'mbre 1914) 210 Le pédagogue homme d'État (22 septembre 1914) . . . 216 Entre Fran(;ais (25 septembre 1914) 218 Religion, patrie, politiciue (24 septembre 1914) 224 Vers l'unité française (26 septembre 1914) 233 De Berne et de Bàle à Senlis (27 septembre 1914) ... 236 Internationalisme et nationalisme (28 septembre 1914) . 239 Au nom des Alsaces possibles (29 septembre 1914). . . 245 L'antique nature allemande (50 septembre 1914) .... 249 Pour la paix française (1*" octobre 1914) 253 Contre les ■• clémences d'Iéna ■■ (2 octobre 1914). . . . 257 Le sapeur providentiel (5 octobre 1914) 260 Église et patrie (4 octobre 1914) 263 Les inconséquences d'Hervé (0 octobre 1914) 268 Rumeurs infâmes (7 octobre 1914) 271 Patriotisme sans condition (8 octobre 1914) 276 Prosélytisme négatif (9 octobre 1914) 282 Où est le piège? (10 octobre 1914) 284 La paix religieuse et morale (11 octobre 1914) 293 Les doctrines écroulées (12 octobre 1914) 297 Encore les intellectuels allemands (13 octobre 1914) . . 300 L'État belge sur le territoire français (14 octobre 1914) 304 Une politique religieuse (15 octobre 1914) 509 Décadence allemande et simple crise française (16 oc- tobre 1914) 314 Chez les neutres (17 octobre 1914) 319 M. Boutroux et l'Allemagne (17 octobre 1914) .... 322 L'Allemagne criminelle (19 octobre 1914) 354 Paix et pacifisme (20 octobre 1914) 357 La doctrine nationale (21 octobre 1914) 542 Les Germains peints par eux-mêmes (22 octobre 1914). 546 464 TABLE DES MATIÈRES. Une manœuvre socialiste allemande (23 octobre 1914) . 551 Le renouvellement des énergies françaises (25 octobre 1914) 356 L'art français et les barbares (27 octobre 1914) 359 Race et état (28 octobre 1914) 363 La préparation de la guerre (28 octobre 1914) 367 Nord et Midi (29 octobre 1914) 369 L'évangéliaire de Reims (30 octobre 1914) 574 Toujours la question religieuse (31 octobre 1914) ... 381 Au pays latin (1"^ novembre 1914) 387 L'Orient et l'opinion (3 novembre 1914) 388 Quelle est cette manœuvre? (4 novembre 1914) .... 392 L'empire du germanisme (5 novembre 1914) 396 Finances et mobilisation (7 novembre 1914) 400 Calomnies et calomnies (8 novembre 1914) 407 L'intelligence et la force (8 novembre 1914) 410 Confiscation et cbâtiment (10 novembre 1914) 418 Pour mémoire (11 novembre 1914) 421 Chefs et docteurs (12 novembre 1914) 424 Génie français et génie allemand (15 novembre 1914) . 430 Lord Roberts (16 novembre 1914) 434 Le catholicisme et la paix (17 novembre 1914) 437 Le fisc et les héros (17 novembre 1914) 443 M. Caillaux et l'Allemagne (17 novembre 1914) 443 Pour l'intérêt de tous! (18 novembre 1914) 447 La " conscience » au service de la nation (19 novembre 1914) 450 Le fisc et les. héros (18 et 19 novembre 1914) 454 Conclusion. — La Maison du passeur (6 décembre 1914). 460 Imprimerie Lahore, 9, rue de Fleurus à Paris. hh mm % BBR^:^ M DO NOT REMOVE THE GARD FROM THIS POCKET University of Toronto Library Acme Library Card Pocket Uader P«t. "Rd. 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